Espace café de L'Eldorado de Dijon DR
Inauguré le 2 juillet 1920 avec Hors de la brume (Out of the Fog - 1919) d’Albert Capellani ou encore Bibi Bill et Pupuce (1919) de Benjamin Rabier au programme, l’Eldorado de Dijon a été construit en lieu et place d’une salle de bal déplacée peu avant la Première Guerre mondiale pour l’installer en plein centre. « C’était un bal populaire ouvert les vendredis et samedis soirs. Tout le quartier venait danser. Nous aimons l’idée qu’il y a peut-être encore les fantômes des danseurs qui habitent le lieu et qui donnent envie de rire et de danser », sourit Matthias Chouquer, le directeur et co-programmateur de cette salle dijonnaise. Si le cinéma a remplacé la danse, l’esprit du lieu, lui, est resté le même au fil des années. Cent ans plus tard, on y célèbre encore la fête, la culture et la convivialité. « Nous avons habituellement (hors période COVID-19, NDLR) un petit salon dans lequel les spectateurs peuvent boire un café ou un verre car il est important pour nous qu’ils puissent discuter entre eux, et avec nous, des films qu’ils viennent de voir ». Cette convivialité n’est pas le seul élément hérité du passé à L’Eldorado. Le cinéma est en effet reconnu pour sa façade Art déco inscrite à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en août 1986. « Selon un membre de la DRAC (Direction régionale des affaires culturelles) qui l’a classée, il s’agit d’une façade Art déco – Marie-Antoinette : elle a des lignes très pures et présente des motifs floraux jolis mais légèrement grossiers. C’est un contraste intéressant ».
Cette façade, arborant le nom du cinéma écrit en lettres dorées, a été rénovée en 2012 en accord avec l’Association Nationale des Architectes des Bâtiments de France. Nettoyée, elle a ensuite été repeinte et surtout modifiée pour retrouver le style d’époque. « Les ouvertures d’origine ont été recrées. Nous avons fait pour cela des recherches dans les archives départementales et municipales. Nous avons utilisé des couleurs qui se faisaient beaucoup dans l’Art déco, comme le blanc-cassé crème et la teinte sable utilisée pour souligner les soubassements », explique Matthias Chouquer. Autres modifications réalisées en 2012, le cinéma a été complètement rénové et réhabilité pour répondre aux normes d’accessibilité, avec notamment l’installation d’un ascenseur. Les fauteuils ont été changés et les écrans des trois salles numérisés même si le cinéma a souhaité conserver les projecteurs 35 mm dans ses deux plus grandes salles (230 et 130 fauteuils), seules capables d’accueillir deux projecteurs. « Nous nous en servons de temps en temps pour des rétrospectives. Nous avons tous ici le CAP de projectionniste et cette pratique de la pellicule nous manque ». Ces rénovations de l’ordre d’un million d’euros – qui ont pu être faites notamment grâce à une aide sélective pour les travaux - ne sont pas les premières vécues par le cinéma. La fosse d’orchestre a été supprimée en 1952, une nouvelle salle a été ouverte en 1977 puis un troisième changement profond est intervenu en 1985 avec un agrandissement du hall et la création d’une troisième salle à partir du balcon de la salle 1.
Un « savoir-faire perpétué »
Doté de trois écrans, L’Eldorado est un cinéma classé Art et Essai depuis janvier 1972 et labellisé Jeune Public, Patrimoine et Répertoire ainsi que Recherche et Découverte. « Nous avons un fort tropisme « Répertoire » : nous aimons beaucoup les histoires du cinéma et nous organisons de nombreuses rencontres avec des critiques, historiens du septième art et réalisateurs ou encore des ciné-clubs », détaille Matthias Chouquer qui met également en avant sa programmation jeune public très nourrie. « C’est un héritage. Cet important volet ‘enfants’ était déjà l’œuvre lorsque j’ai racheté le cinéma. Nous perpétuons un savoir-faire.
On leur montre un film autrement que dans des gestes de pure consommation avec une concentration limitée sur tablettes ou ordinateurs ». Cette programmation « Ciné-Mômes » s’accompagne régulièrement de goûters et rencontres pour attirer encore davantage les jeunes au cinéma.
Autre particularité de L’Eldorado, il peut compter sur un « noyau de 300 spectateurs soutenant très activement le lieu ». Si l’équipe du cinéma ne compte que 4 personnes, de nombreux bénévoles s’investissent dans l’établissement, notamment via le Collectif Eldo, une association de spectateurs qui « œuvre au soutien, à la valorisation et à la promotion » de ce cinéma indépendant. « Nous échangeons beaucoup virtuellement avec eux en ce moment. Il y a un soutien financier : l’adhésion permet en effet de faire des actions. Ils soutiennent des ateliers, la venue d’un réalisateur, organisent des ciné-gourmands, des ateliers d’écriture… On pourrait presque dire qu’il s’agit d’un cinéma à deux têtes, nous faisons les choses ensemble », s’enthousiasme le directeur du cinéma en espérant que ce modèle associant les spectateurs se développe dans davantage d’établissements. Ce soutien est en effet important au quotidien, en particulier lors des situations de crise pendant lesquelles la fréquentation peut faiblir. « Nous tirons notre épingle du jeu dans ces cas-là car les personnes qui se mobilisent autour de nous depuis toutes ces années viennent voir des films pour nous soutenir ».
Des difficultés à surmonter
Seul cinéma indépendant de Dijon, L’Eldorado fait face à une forte concurrence, avec notamment deux cinémas en centre-ville – les cinémas Darcy et Olympia – ainsi que le multiplexe Ciné Cap Vert de Quétigny (à la sortie de la ville), tous programmés par le groupe Pathé-Gaumont. « Nous ne sommes pas nombreux à l’Eldorado et nous sommes tous payés pareil – et peu. Nous survivons davantage que nous vivons. Mais le cinéma est heureusement soutenu : il a la prime Art et Essai, il fait partie du réseau Europa Cinémas et il bénéficie aussi du soutien financier de la ville de Dijon et du Département de la Côte-d’Or ». A ces difficultés viennent s’ajouter les conséquences des fermetures liées à la COVID-19 ; pandémie qui a également provoqué une baisse de la fréquentation lorsque les salles étaient ouvertes.
Si Matthias Chouquer et son équipe sont déçus de ne pas avoir pu rouvrir en décembre, ils continuent de travailler pour préparer leurs retrouvailles avec le public. Ils comptent ainsi proposer des animations, telles que des rencontres avec des critiques de cinéma et des discussions pour enfants autour de films, dès la réouverture. « Nous espérons que les choses vont reprendre leur cours normal », conclut-il. Ce qui leur permettrait d’ailleurs d’enfin fêter les 100 ans du cinéma originellement programmés en juillet dernier. « Une fête sans pouvoir se toucher ou trinquer ensemble… Il était impossible pour nous d’imaginer une fête avec toutes les règles sanitaires. Et nous ne pourrons pas le faire tant que la situation perdurera. Nous fêterons donc les 101 ans, plutôt que les 100 ans ! »