Il est un peu plus de 14h dans la petite salle de projection du Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Une vingtaine de jeunes adolescents prend place dans les fauteuils bleu nuit. La classe de 4e du collège Elsa Triolet du Mée-sur-Seine (77) vient d’être fraîchement intégrée dans le dispositif des Enfants des Lumière(s). Ce programme d’éducation artistique et culturelle que le CNC développe depuis 2015, en partenariat avec les académies de Paris, de Versailles et de Créteil, s’adresse aux classes des écoles élémentaires, des collèges et des lycées technologiques et professionnels scolarisés en éducation prioritaire qui n’ont pas facilement accès à l’art et à la culture.
Capter le mouvement
Au programme de l’après-midi : huit courts métrages (muets, en noir et blanc, sonores, en couleurs…), dont certains ont rarement été projetés au cinéma. C’est donc un voyage à travers l'histoire du cinéma qui attend les élèves : trois films tournés par des opérateurs de la société Lumière, V. Pyramide (1899), Danse serpentine [II] (1899) et Danse espagnole de la feria Quadro Flamenco [II] (1900), lequel fut tourné durant l’exposition Universelle de Paris ; Dislocation mystérieuse (1901), un film de – et avec – Georges Méliès ; À l’assaut de la Tour Eiffel (1947) d’Alain Pol, premier film sonore du programme, vainqueur du Prix Lumière en 1948 ; Entraînement au cirque de Pékin (1976), un documentaire signé Marceline Loridan-Ivens et Joris Ivens ; La Face Nord du camembert (1985) de Nicolas Philibert, making-of d'une séquence du film Billy Ze Kick (1987) de Gérard Mordillat ; et enfin le court métrage Danse ou ballon (2021) réalisé par les élèves de CM1-CM2 de l’école Joséphine Baker à La Courneuve (93) dans le cadre des Enfants des Lumière(s).
Avant de débuter la projection du premier film, un test en guise d’échauffement : « Qui sont les inventeurs du cinématographe ? », demande Béatrice de Pastre. Une dizaine de mains se lèvent. « Auguste et Louis Lumière, bien sûr ! », répond la jeune assemblée en chœur. Les élèves échangent ensuite sur l’histoire de la bobine de film ou encore sur le rôle de la silice dans le traitement des vieilles pellicules. Cette séance de projection est l’occasion de revenir sur certaines des techniques utilisées par les cinéastes au fil des époques et de tenter de les décrypter. « Comment les frères Lumière ont-ils réussi à coloriser la robe de la danseuse ? », interroge Béatrice de Pastre à propos du film Danse serpentine [II] dans lequel est mis en scène une danseuse à la robe multicolore à une époque où le cinéma se fabriquait encore en noir et blanc. « Ils ont peint la pellicule », répond un des collégiens. Banco. Les élèves découvrent également comment le cinéma a exercé sa fascination sur les spectateurs dès ses origines.
À partir de janvier 2023, les collégiens commenceront à travailler sur leur court métrage, encadrés par le réalisateur Elliot Clarke. Tous se sont portés volontaires pour rejoindre l’aventure des Enfants des Lumière(s). « Ce qui va être le plus intéressant, et qui va d’ailleurs être un défi à relever ensemble, c’est la manière dont on va les faire passer de la technique au fait de raconter une histoire collective », souligne Vincent Garibal, coordinateur du projet et professeur de Sciences et Vie de la Terre (SVT). Durant deux ans, à raison de deux heures par semaine, il va accompagner cette « classe cinéma ». À ses côtés, d’autres enseignants (mathématiques, lettres, histoire), également investis dans le projet, apporteront leurs compétences dans l’aide à l’écriture du scénario ou la structuration des idées.
Après être revenus sur l’épopée du premier trucage au cinéma dans le film Dislocation mystérieuse de Georges Méliès – « une sorte d’explosion, un feu d’artifice des corps ! », s’exclame l’un des jeunes spectateurs – les 4e découvrent la manière dont le corps d'alpinistes a été filmé dans le film d’Alain Pol, À l’assaut de la Tour Eiffel, ou encore la manière dont on « double » le corps d'un acteur lors de scènes dangereuses comme dans dans La Face Nord du camembert, le documentaire sous forme de making-of du tournage de Billy Ze Kick.
Le cinéma, une histoire d’équipe
Durant la projection des films, ils sont plusieurs à se retourner discrètement dans la pénombre afin d’apercevoir les projectionnistes, et surtout observer « comment la bobine tourne », révèle Aidan, qui a rejoint cette « classe cinéma » dans le but de « raconter des histoires et provoquer des émotions ». Dans la salle, entre visionnages et débats, les questions fusent. Le cadrage, la plongée, la contre-plongée, la voix-off, le son… : les mains se lèvent, on hésite, on a la réponse, mais on n’ose pas forcément la dire… Et puis on se lance collectivement. « En les voyant, je me dis que nous sommes déjà en train de former un groupe », remarque Vincent Garibal. « On espère que ce travail leur donnera une ouverture d’esprit plus large. Le cinéma est nécessaire à la construction du jeune citoyen, poursuit l’enseignant. J’aimerais aussi qu’il leur permette de voir l’autre différemment ». Car le cinéma, c’est avant tout une histoire d’équipe. Du métier de scénariste à celui de réalisateur, en passant par le travail du monteur, du perchiste ou encore du costumier, les élèves vont découvrir que le cinéma se fait d’abord à plusieurs. Comme certains de ses camarades, Aidan a déjà une petite idée du rôle qu’il souhaiterait tenir dans le court métrage. « Je ne voudrais pas gâcher le plaisir aux autres, mais j’aimerais beaucoup faire l’acteur », avoue timidement le garçon.
Pour clore ces projections, toutes les classes visionnent Danse ou ballon, la comédie musicale sur les clichés filles/garçons réalisée en 2019-2021 par les CM2 de l’école Joséphine Baker à La Courneuve (93). L’occasion d’échanger sur l’égalité des sexes dans le sport mais aussi sur la différence entre la qualité technique d’un court métrage et celle d’un making-of tourné par des amateurs. De quoi esquisser aussi les contours du travail à réaliser prochainement et acquérir des conseils pour leurs futures productions.
Pour le moment, les 4e du collège Elsa Triolet n’ont pas défini le genre de film qu’ils souhaiteraient réaliser, mais le jeune Aidan semble déjà avoir une réponse. « Un court métrage d’horreur ! », avance le garçon. Rendez-vous pris en 2023 pour découvrir un avant-goût de leur création.