Les Enfants des Lumière(s) est un programme d’éducation à l'image développé par le CNC depuis 2015 en partenariat avec les académies de Paris, de Versailles et de Créteil. Destiné aux enfants scolarisés en zone d’éducation prioritaire, ce dispositif, d’une durée de deux ans, leur permet de découvrir la magie du cinéma à travers différents ateliers, mais aussi de réaliser leurs propres courts métrages.
Après une première année au sein du dispositif, où ils ont découvert de nombreux films et appris les codes du cinéma, les élèves de CM1 de l’école Planchat réaliseront pendant l’année scolaire 2022-2023 le court métrage dont ils ont déjà écrit le scénario et choisi le titre. Un titre dont les enfants ont d’abord eu du mal à se souvenir. Et pour cause, Emma et l’invasion des zombies venus de l’espace s’inspire des trouvailles filmiques de Guillaume Rieu, telles L'Attaque du monstre géant suceur de cerveaux de l'espace (2010) et Tarim le Brave contre les Mille et Un Effets (2015). « On lui dit merci pour cette idée de titre à rallonge », s’amuse leur enseignante et coordinatrice, Valérie Lamache-Thiébaut.
Ce n’est pas le seul clin d’œil de leur projet au réalisateur et à son court métrage L’Attaque…, dont la découverte a beaucoup marqué ces cinéastes en herbe. La raison de cette rencontre n’est autre qu’une lettre envoyée par les écoliers au cinéaste pour demander l’autorisation d’incorporer un extrait de son film dans leur court métrage. À leur jeune âge, la classe de CM1 semble déjà avoir une compréhension du concept de « droit d’auteur » qui pourrait faire pâlir certains adultes. D’ailleurs, remarquant une scène de L’Attaque… qui semble réutiliser des images de classiques comme La Guerre des mondes et King Kong, Aristide n’hésite pas à demander : « vous aviez bien sollicité toutes les autorisations ? ».
Non sans malice, Guillaume Rieu leur révèle son astuce : « j’ai recréé moi-même ces séquences cultes, de manière à ce que les références soient reconnaissables sans utiliser des images dont je n’ai pas les droits. Ceux-ci seraient de toute façon hors de mon budget ».
Ces classiques ont été sa première école de cinéma à une époque où l’éducation à l’image n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui. Guillaume Rieu ne cache pas son enthousiasme pour les générations suivantes bénéficiant de programmes comme celui des Enfants des Lumière(s). « À mon avis, faire des films à l’école devrait être obligatoire. C’est une expérience qui permet d’aborder toutes les matières en restant ludique : les mathématiques, le français, mais aussi de développer l’esprit d’équipe et la confiance en soi. J’aurais adoré avoir cette opportunité à l’époque ». Et si certains peuvent penser que l’âge de 9-10 ans est trop jeune pour réaliser un premier film, le réalisateur s’oppose à cette idée reçue. « C’est le meilleur âge. Ils ont encore une énergie et une envie de s’investir, qui peut parfois s’estomper un peu avec l’adolescence ».
De l’énergie et de l’investissement, les élèves de l’école Planchat en ont certainement à revendre, comme le prouvent les questions qui fusent sans discontinuer. Certaines interrogations sont pragmatiques : « quelles sont les études pour devenir réalisateur ? », demande Unam. Tout en évoquant son BTS montage et sa spécialisation dans les effets spéciaux, Guillaume Rieu ajoute qu’il y a « mille façons de devenir réalisateur ». Les écoliers fascinés par L’Attaque…, qu’ils redécouvrent sur grand écran, s’enquièrent aussi des intentions derrière les choix artistiques forts du film. Ainsi, Alexis veut savoir : « comment est venue l’idée de mélanger couleur et noir et blanc dans votre film ? ». Le cinéaste retourne une décennie en arrière et se remémore le bouillonnement créatif qui l’animait alors : « Je me suis dit très tôt que ça pourrait être chouette de mélanger deux genres de films très différents. Quelles œuvres s’opposent aux films de monstres hollywoodiens en noir et blanc ? C’est là que les comédies musicales colorées et enchantées de Jacques Demy me sont venues à l’esprit. J’ai trouvé amusant d’imaginer des gens qui chantent et qui dansent se faire attaquer par des monstres ».
Le pari de la musique est aussi une réussite. Lorsque les premières notes du film envahissent la salle de projection et que les acteurs se mettent à chanter, tous les enfants les rejoignent en chœur. Une réaction qui surprend leur maitresse et ravit Guillaume Rieu. « Il faudrait que je fasse une version karaoké », plaisante-t-il à moitié.
Certaines questions des élèves sont aussi très candides, innocentes. « Le chien carbonisé au début de L’Attaque, c’était un vrai ? », s’inquiète Luc. Le metteur en scène répond malicieux : « c’était un vrai chien… avant qu’il ne se fasse carboniser. Ensuite, quand il se fait cramer, on a fabriqué une maquette de chien peinte en noire. Sur un tournage, on n’a pas trop le droit de tuer des animaux, ni même des gens, c’est dommage ». Fier de sa plaisanterie macabre, les cris outragés des enfants ne le font que sourire davantage. Il y a aussi cette question d’Arman à la suite de la projection de Tarim le Brave contre les Mille et Un Effets qui se conclut par une scène de baiser : « c’est un vrai bisou ? ». « Au cinéma, ce sont toujours des vrais bisous, leur apprend-il. Ça ne veut pas dire que les acteurs s’aiment vraiment, mais ils ne font pas semblant », ajoute le réalisateur, jamais désarçonné. Ce à quoi la salle réplique par un « Eurk » collectif venant du cœur.
Le magicien des effets spéciaux
Guillaume Rieu a un côté magicien. Ce passionné de cinéma ancien use de tous les sorts à sa disposition pour maintenir en vie un art secret en perdition : les effets spéciaux artisanaux. Trucages, moulages, figurines et « matte painting » (ndlr : plaque de verre sur laquelle on peint un décor) … : le cinéaste savant-fou ne se prive d’aucune astuce pour créer ses mondes imaginaires. Ces parti pris esthétiques font évidemment rêver les enfants mais aussi leur professeur d’arts plastiques, Yann Duchateau. Le cinéaste n’y va pas par quatre chemins : « Même quand les effets numériques sont très bien faits, on sent que ce n’est pas réel. Alors que dans les vieux films, on peut au moins se dire "ça ils l’ont vraiment tourné, ça a existé, c’était palpable"… Il y a une magie dans les effets spéciaux manuels alors qu’aujourd’hui tous les effets sont fabriqués sur ordinateur. La question du "comment c’est fait" disparaît progressivement. C’est dommage, car on perd une partie de la magie du cinéma ».
L’architecte des effets spéciaux présente des diaporamas du processus de création de ses trucages et de ses monstres divers. Certains, comme les tentacules de son « monstre géant suceur de cerveaux de l’espace » en fil d’aluminium couvert de latex, impressionnent les jeunes apprentis cinéastes. « Oh c’est bien fait ! », s’exclament-ils devant les photos. Les tables ne tardent pas à tourner. Guillaume Rieu leur demande comment ils comptent réaliser leurs effets spéciaux, et particulièrement celui d’une soucoupe volante essentielle dans leur scénario. Lou-Ahn est un peu embêtée par cette requête : « Bonne question (rires)… Soit on le fait sous forme de maquette, soit je ne sais pas… ». Heureusement, son camarade Julien court à sa rescousse : « créer une maquette réaliste est compliqué, donc on pense plutôt à réaliser une lumière passant comme une étoile filante ». Guillaume Rieu hoche la tête pour saluer cette débrouillardise avec les moyens du bord.
Passage de flambeau
Guillaume Rieu s’étonne toujours de l’attrait particulier de ses créations sur les enfants : « je réalise mes films, avec seulement moi, comme public idéal, à l’esprit. Ensuite, on me dit que ce sont des films jeunesse. Donc, ça m’amène à me poser des questions sur moi-même (rires). En fait, je réalise des films qui me plaisent et mes goûts plaisent aux enfants, donc on s’y retrouve ! »
Selon la maitresse, « les élèves voulaient déjà réaliser un film de zombies et le court métrage de Guillaume Rieu les a confortés dans ce choix ». « Toutes les idées viennent d’eux, insiste-t-elle. Dont celle d’utiliser un extrait du court métrage L’Attaque pour lancer leur propre film ».
Beau passage de flambeau de Guillaume Rieu à cette classe enthousiaste de CM1. C’est dans l’ordre naturel des choses que les élèves fassent référence à ce réalisateur, qui lui-même ne cesse de rendre hommage aux films qui ont marqué son enfance. Certaines références se sont forcément perdues en cours de route, de son enfance à la leur. Guillaume Rieu est d’ailleurs peiné quand un des écoliers lui demande « qui c’est Indiana Jones ? ». A contrario, lorsqu’on interroge la classe sur l’influence principale de la partie chantée du film, Unam répond Les Demoiselles de Rochefort, presque du tac au tac.
Les cinéastes en herbe sortent galvanisés de cet échange, avec de nouvelles idées en tête. « Pour les zombies, on va faire du maquillage comme dans L’Attaque. », explique Unam. « C’était génial », s’enthousiasme Lou-Ahn. « Guillaume Rieu, c’est notre inspiration premium », s’exclame Arman.
Un dernier conseil du cinéaste pour la réalisation de leur film : « je sais que ça va sonner très cliché, mais il faut y croire. Il ne faut pas faire les choses à moitié, être à fond dans le projet et le résultat sera forcément à la hauteur ».