Le Trou de Jacques Becker (1960)
Le film de prison est un genre en soi. Les parois d’une cellule se substituant au cadre de l’image renforcent l’effet produit sur un spectateur conscient de sa condition. Ce processus d’identification avec le ou les protagonistes du récit explique peut-être que les pénitenciers ont toujours été un territoire cinématographique privilégié. En France, deux films sortis à quelques années d’intervalle vont, par l’épure de leur mise en scène, faire date. Un condamné à mort s’est échappé de Robert Bresson (1956), autour de la tentative d’évasion d’un résistant de la prison de Montluc à Lyon. Le cinéaste utilise la voix off pour mettre à nu la conscience du malheureux, isolé entre quatre murs. Quand Jacques Becker entreprend quelques années plus tard la réalisation du Trou, il a en mémoire le réalisme bressonnien et notamment cette façon de sacraliser le moindre geste pour en décupler la portée. Le Trou, d’après le récit véridique de José Giovanni, raconte, lui aussi, une tentative d’évasion. Sauf qu’ici, les détenus sont cinq dans une même cellule et doivent se partager un espace et des tâches bien précises pour mener à bien leur entreprise. Jacques Becker, qui tourne pourtant en studio, refuse tout confort et compose sa mise en scène en respectant l’exiguïté « réelle » du lieu. Il en résulte un film sans artifice, d’un réalisme brut. L’humanité tout entière joue sa survie dans moins de 10 mètres carrés.
All is lost de J. C. Chandor (2013)
La prison à ciel ouvert entraîne une sensation de vertige paradoxale. Alors que l’immensité suppose une totale liberté de mouvement, l’absence de limites renvoie l’être humain à sa fragile condition, impuissant face à ce qui le dépasse. Les murs invisibles se dressent face à lui. Infranchissables. Au cinéma, l’espace et les océans sont des territoires de jeu propices à cet enfermement « dégagé ». « Dans l’espace, personne ne vous entendra crier », promettait l’accroche d’Alien, le film de Ridley Scott. « ... Au milieu de l’océan non plus ! », semble nous dire en substance celui de l’Américain J. C. Chandor, All is lost, avec un Robert Redford seul au monde sur son bateau en souffrance au milieu de l’océan Indien. L’homme dont on ne connaît pas l’identité exacte, se bat contre les éléments, colmate les brèches de son embarcation et tente de survivre. À mesure que son espace vital se réduit, le vaste monde qui l’entoure devient de plus en plus oppressant.
Le Scaphandre et le Papillon de Julian Schnabel (2007)
Quand le corps humain ne répond plus, il devient une prison. C’est ce que raconte en substance Le Scaphandre et le Papillon, tiré du récit de Jean-Dominique Bauby, atteint d’un locked-in syndrome des suites d’un accident vasculaire cérébral. Ce syndrome entraîne une paralysie complète du malade totalement conscient de sa nouvelle condition. Seul le mouvement des paupières permet de communiquer avec l’extérieur. « L’imagination et la mémoire sont les deux seuls moyens de m’évader de mon scaphandre », nous dit en voix off le malheureux protagoniste de ce drame interprété par Mathieu Amalric. Seule solution pour lui, « s’accrocher à l’humain qui est en vous et vous survivrez ». Julian Schnabel privilégie ici la subjectivité et à l’instar de l’espagnol Alejandro Amenábar avec Mar andentro deux ans auparavant, invite le spectateur à un implacable huis clos psychologique.
Marie-Octobre de Julien Duvivier (1959)
Marie-Octobre ou le whodunit à la française. Unité de lieu, de temps et en bout de course, un criminel confondu. La romancière britannique Agatha Christie a élevé le genre au rayon des Beaux-Arts. Julien Duvivier, aidé de Jacques Robert qui adapte son propre livre et d’Henri Jeanson aux dialogues, respecte à la lettre les contraintes dictées par un récit cloisonné. Dans une belle demeure, les anciens membres d’un réseau de résistants se retrouvent à l’invitation de Marie-Octobre. Quinze ans plus tôt, leur chef a été dénoncé et tué ici même par la Gestapo. L’un des leurs est le traître. Mais qui ? Les interprètes ne savaient pas au moment du tournage le fin mot de cette histoire. Duvivier tourna donc dans la continuité. Le cinéaste réunit un casting de stars : Danielle Darrieux, Paul Meurisse, Bernard Blier, Lino Ventura, Noël Roquevert, Robert Dalban, Paul Frankeur... Dans ce panier de crabes, chacun semble avoir ses raisons. Au-delà de sa fonction dramatique pure, le huis clos devient la manifestation de la culpabilité humaine.
Le Limier de Joseph L. Mankiewicz (1972)
Tout commence dans un labyrinthe. Dans le jardin anglais d’un imposant manoir, Milo (Michael Caine) doit essayer de retrouver Andrew (Laurence Olivier). Un jeu qui place d’emblée un rapport de force entre deux hommes que tout semble opposer, à commencer par leur statut social. Le labyrinthe dicte aussi la loi de l’ensemble. Le récit ne sera, en effet, que faux-semblants, chausse-trapes, dissimulations et tâtonnements. Le labyrinthe est aussi mental puisque Milo va devoir faire fonctionner toutes les synapses de son cerveau pour trouver les preuves de son innocence. L’histoire raconte que Joseph L. Mankiewicz, fatigué du tournage de Cléopâtre, rêvait ouvertement d’un face-à-face en huis clos. Il clôt donc son imposante carrière avec ce Limier, dont le cadre strict de l’intrigue décuple paradoxalement la complexité d’un scénario volontairement retors.
Malmkrog de Cristi Puiu (2020)
Avec Malmkrog, le Roumain Cristi Puiu éprouve tout à la fois l’espace (limité à quelques pièces d’un manoir transylvanien), le temps (fragmenté par d’invisibles ellipses) et surtout la parole (le scénario est une joute verbale ininterrompue). Malmkrog est l’adaptation – au mot près – des Trois Entretiens, sur la guerre, la morale et la religion du penseur russe Vladimir Soloviev, publiés à la toute fin du XXe siècle. Le spectateur sort des 3 h 20 de projection dans un état proche de la transe. Le flot de paroles et la puissance des idées qui s’en dégagent finissent par construire un imposant édifice, sorte de monolithe invisible qui retient prisonnier celui ou celle qui s’y frotte. Malmkrog est un huis clos vertigineux dont le calme apparent cache un bruit sourd.