Première Guerre mondiale. Un jeune homme patriote s’engage dans l’armée portugaise. Il est envoyé sur le front au Mozambique où la réalité va mettre à mal ses idéaux. Egaré par son unité, il va découvrir une Afrique insoupçonnée... Entre errance métaphysique et réalisme barbare, Mosquito impressionne et impose João Nuno Pinto comme un cinéaste à suivre. Il évoque les films qui ont nourri son imaginaire.
Apocalypse Now
« L’un de mes films préférés de tous les temps. Un chef d’œuvre antimilitariste avec une part égale d’horreur et de drame, mis en scène d’une façon impossible à reproduire aujourd’hui. Bien que ce soit un film de studio, Apocalypse Now ressemble à un film d’art et essai, en ce sens où il ne cherche pas à donner d’explications aux spectateurs qui doivent se faire leur propre interprétation. Ses excès surréalistes proviennent de la guerre elle-même et des situations extrêmes dans lesquelles sont plongés les hommes. Ce voyage aux enfers et dans les recoins les plus sombres de notre humanité me fascine. Le livre d’origine de Joseph Conrad (Au cœur des ténèbres) montre bien l’ambiguïté et l’hypocrisie de l’Occident sur la question de la colonisation. Comme l’a signalé l’écrivain nigérian Chinua Achebe, le roman de Conrad, écrit à la fin du XIXème siècle, propose une vision eurocentrée de l’Afrique, cet “autre” continent par opposition à l’Europe, qui serait le continent civilisé. Conrad y décrit l’Afrique comme « un endroit où l’intelligence et le raffinement tant vantés de l’homme sont finalement moqués par la bestialité triomphante. » Une vision partagée en 1917, à l’époque de l’action de Mosquito, et malheureusement aujourd’hui encore répandue. Comme le colonel Kurtz, dans Apocalypse Now et Au cœur des ténèbres, ou comme le lieutenant Coelho dans mon film, joué par le regretté Filipe Duarte, Il y a toujours, chez les colons occidentaux, une tentation de jouer à Dieu avec les “sauvages”. Cette vision est à l’origine de mon désir de réaliser Mosquito. »
Aguirre, la colère de Dieu
« Aguirre est la personnification du conquistador obsédé par la quête tragique de l’Eldorado dans la jungle sud-américaine. Le film de Werner Herzog raconte l’obsession occidentale de l’argent, des ressources naturelles et des possessions maritimes ; et comment la confrontation entre l’Europe “civilisée” et le pouvoir brut de la nature du Nouveau Monde met à nu les fantômes et la folie des hommes. Ce sont des thèmes qui m’intéressaient pour Mosquito. Comme Aguirre, mon personnage, Zacarias, est obsédé par la gloire - pas la gloire acquise par la richesse, mais celle qui vient lorsqu’on est un héros. Son Eldorado, c’est Lake Niassa où son unité est censée se trouver. Ses ennemis sont également invisibles, ces soldats allemands qui peuvent surgir à tout moment de n’importe quel buisson. Rien ne pourra l’arrêter tant qu’il n’aura pas atteint son but, quitte à se perdre, corps et âme. L’obsession d’Aguirre était partagée par Klaus Kinski et Werner Herzog qui ont plongé l’équipe de tournage dans des conditions extrêmes. Cela fait partie intégrante de l’ADN du film. Mosquito s’inscrit modestement dans la lignée de ce chef d’œuvre. J’ai moi aussi désiré que le sang, la sueur et les larmes qui ont émaillé le tournage servent le film, qu’ils inspirent les acteurs et le langage cinématographique. »
Les Sentiers de la gloire
« Situé dans les tranchées, le film de Stanley Kubrick raconte l’histoire d’un colonel français confronté à un ordre ignoble : après la retraite forcée de ses troupes incapables d’attaquer une position renforcée allemande, il est chargé de choisir au hasard trois soldats qui seront jugés et exécutés pour lâcheté, pour l’exemple. C’est une illustration exemplaire de la violence gratuite et de l’absurdité de la guerre - en particulier de la Première Guerre mondiale - et des abus de pouvoir de la hiérarchie militaire. La scène où le colonel Dax, joué par Kirk Douglas, reçoit les terribles ordres de ses supérieurs est sur ce point édifiante. Il rencontre des vieux militaires débonnaires, installés dans un quartier général luxueux, loin du front et de ses horribles tranchées. Dans cette guerre, comme dans toute autre, les soldats sont réduits à de simples numéros, manipulés à des fins obscures. Les politiciens et les militaires créent une peur collective qui joue sur la fibre patriotique afin de transformer des citoyens paisibles en machines à tuer. Dans Mosquito, Zacarias est sensible à ce discours en s’embarquant pour la France pour combattre les Allemands. Au lieu de ça, il est envoyé au Mozambique où une version obscure de la guerre prend place, à l’insu du monde et des médias. La même absurdité s’y déploie, avec des attaques illogiques et des victoires impossibles. La grande différence réside dans le fait que tout le monde, y compris les officiers, est entouré d’animaux sauvages, de maladies tropicales et de ce qu’ils perçoivent comme des indigènes non civilisés. La gloire, pour eux, est un concept lointain qu’ils ruminent dans leur tête, par procuration. A la fin des Sentiers de la gloire, on assiste à la scène la plus puissante vue dans un film de guerre : une prisonnière allemande est obligée de chanter dans un bar rempli de soldats ivres qui se conduisent comme des bêtes. Chacun d’entre eux est présenté comme un violeur potentiel. Mais, quand elle commence à chanter, son innocente et fragile voix les renvoie à leur humanité perdue. Les soldats commencent alors à fredonner avec elle, transformant une scène cruelle en moment de tendresse et de solidarité. A la façon des soldats étrangers et des Mozambicains dans Mosquito, les prédateurs et les proies sont tous victimes de l’horreur dans le contexte de la guerre. »
La Ligne rouge
« Quand La Ligne rouge est sorti, vingt ans après le dernier film de Terrence Malick, j’étais comme tout le monde impatient de le voir. J’étais tellement imprégné des visions de La balade sauvage et des Moissons du ciel que je n’ai pas accordé d’importance à la poésie un peu désuète du film qui deviendrait plus tard sa marque de fabrique. Je n’ai en revanche jamais eu aucun doute sur le fait que Malick était un formaliste génial, capable de nous transcender avec son approche visuelle de la nature et de l’âme humaine. La Ligne rouge, quoi qu’on en pense, est une référence inévitable pour quiconque veut faire un film sur la guerre -plutôt qu’un film de guerre. J’ai été marqué par la façon dont il décrit le conflit comme une violation de la nature et de ses habitants et les conséquences d’une victoire à la Pyrrhus. Durant la Première Guerre mondiale, l’armée portugaise a pratiquement perdu tous ses combats contre les Allemands, subissant des pertes humaines considérables en France, en Angola et au Mozambique. Pourtant, elle a défilé sur les Champs-Elysées avec les Alliés après la victoire... En raison de cela, la guerre en Afrique a été réécrite et les épisodes tragiques rejetés dans l’oubli. Le voyage de Zacarias dans Mosquito est aussi un voyage dans cette mémoire refoulée. Pour lui, la nature est une menace constante qui peut briser sa volonté et sa santé mentale. On peut y voir la main de Dieu qui a le dernier mot face à l’arrogance des conquérants blancs. »
Lore
« Ce film de Cate Shortland raconte l’histoire de Lore, la jeune fille du commandant allemand d’un camp de concentration, qui doit échapper aux Alliés avec ses frères et sœurs. Aussi difficile que cela puisse paraître, nous nous identifions du début à la fin à cette jeune nazie et à sa fratrie. Le mérite en revient à la capacité de la réalisatrice à nous raconter cette histoire de manière surprenante et sensible. Magnifiquement tourné à la main, au plus près des acteurs, Lore nous fait sentir chaque souffle, chaque vision des protagonistes dans l’inextricable Forêt Noire. Comme Mosquito, c’est un film initiatique avec un personnage principal arrogant et moralement douteux. Lore et Zacarias sont endoctrinés, détachés de la réalité et de la décence humaine. Leur rédemption et leur éveil découleront des épreuves qu’ils traverseront. Lore m’a inspiré parce qu’il transforme un “petit” sujet en quelque chose d’universel et d’éternel, le tout de façon très contemporaine en raison de son approche cinématographique. Lore est un film organique, perturbant, souvent sensuel, toujours beau. C’est un brillant film d’art et essai, le genre de film que j’espère avoir réussi avec Mosquito. »
Mosquito, en salle le 22 juin, a reçu l’Aide aux cinémas du monde, l’Aide franco-portugaise et l’Aide sélective à la distribution.