Prix du public à la Mostra de Venise. Prix du meilleur film et prix du public au Festival international du film de Saint-Jean-de-Luz. Prix Bayard d’or du premier long métrage à Namur pour À peine j’ouvre les yeux en 2015. Oui mais encore ? Valois d’or du Festival du film francophone d’Angoulême 2021 (doublé d’un prix d’interprétation masculine pour Sami Outalbali) quelques semaines après sa sélection en clôture de la Semaine de la Critique à Cannes pour Une histoire d’amour et de désir. Leyla Bouzid collectionne les récompenses et a réussi, en seulement deux films, à s’imposer comme l’un des plus solides espoirs du cinéma d’auteur.
Le 7e art est une passion de toujours pour cette native de Tunis, grâce à son père, Nouri Bouzid, le réalisateur de L’Homme de cendres - sélectionné à Cannes en 1986 - et coscénariste d’Halfaouine, l’enfant des terrasses de Férid Boughedir, mais aussi grâce à sa mère, auprès de qui elle a grandi, médecin de profession qui l’emmenait régulièrement au cinéma. En salle, elle découvrira ses deux premiers chocs cinématographiques : Citizen Kane d’Orson Welles et Sonate d’automne d’Ingmar Bergman. Très tôt, elle s’imagine embrasser une carrière de chef opératrice avant que son envie de mettre en scène et de diriger des comédiens se précise, à la suite de son arrivée en France à l’âge de 18 ans. Elle y obtient une licence en lettres modernes à la Sorbonne avant de décrocher le concours de la Fémis, section réalisation, où elle signe ses premiers courts métrages. Elle va parfaire sa formation sur le terrain, comme scripte sur Millefeuille que réalise son père, et comme assistante sur de nombreux tournages - en particulier celui de La Vie d’Adèle d’Abdellatif Kechiche.
Dans la foulée, Leyla Bouzid met en scène ses premiers films - le moyen métrage Zakaria et le court Gamine - hors des murs de la Fémis, avant de se lancer dans l’aventure du premier long. Nous sommes en 2015. Avec À peine j’ouvre les yeux, la cinéaste décide de remonter le temps en 2010, juste avant la révolution tunisienne qui avait provoqué la chute de Ben Ali. « Quand cette révolution a eu lieu, expliquait-elle à l’époque, il y a eu une grande volonté de la filmer et de la représenter. De nombreux documentaires ont été réalisés, tous remplis d’espoir, tournés vers l’avenir. Moi, j’ai eu envie de filmer tout ce qu’on avait subi : le quotidien étouffant, les pleins pouvoirs de la police, la surveillance, la peur et la paranoïa des Tunisiens depuis vingt-trois ans. Je ne me voyais pas me tourner vers l’avenir sans revenir sur ce passé. » Dans ce film, elle suit le quotidien agité de Farah, 18 ans, rockeuse insoumise qui croque la vie à pleines dents et ose balancer des messages politiques dans ses morceaux contre l’avis de sa mère, pourtant elle-même figure contestataire dans sa jeunesse, qui souhaiterait voir cette élève douée devenir médecin. « L’histoire de ce film n’est pas autobiographique, même si on y retrouve des situations que j’ai pu vivre, comme découvrir qu’un ami proche était en fait un indic pour la police, censé nous surveiller et nous infiltrer. À peine j’ouvre les yeux pose en fait une question toute simple : comment se défaire de la famille, de la société et du système en Tunisie ? Il ambitionne de montrer l’énergie que cela nécessite. Celle de Farah, mue par une soif de vivre qui dérange et qu’on va chercher à punir et écraser. »
Dès sa présentation à la Mostra de Venise, le bouche-à-oreille est enthousiaste et ne se démentira jamais, saluant notamment son mélange de mélancolie et de rage. Dans la foulée, Leyla Bouzid commence à travailler sur son deuxième film avec l’idée de « filmer un jeune homme qui ne parvient pas à vivre pleinement son sentiment amoureux. Un jeune homme timide, littéralement submergé par le désir, mais qui y résiste. Un jeune homme de culture arabe, parce que c’est la culture que je connais le mieux, qui doute, qui a des fragilités, qui n’assume pas ses élans de vie », comme elle l’explique dans le dossier de presse d’Une histoire d’amour et de désir. Elle a aussi l’envie d’érotiser le corps masculin à travers un sujet rarement traité au cinéma : la première expérience sexuelle d’un garçon. « C’est comme s’il n’y avait pas de sujet. Ce qui est assez incroyable, surtout face à la quantité de films consacrés à cette étape-là chez les jeunes filles. »
Une histoire d’amour et de désir met en scène la rencontre sur les bancs de la fac entre Ahmed, un Français d’origine algérienne très timide (Sami Outalbali, vu notamment dans la série Sex Education), et une Tunisienne pleine de fougue tout juste débarquée à Paris (Zbeida Belhajamor qui fait ses débuts à l’écran), sur fond de littérature arabe sensuelle et érotique. Leyla Bouzid tourne toutes les séquences de l’université à Malesherbes, l’annexe de la Sorbonne où se trouvent les étudiants en lettres modernes de Paris IV, le cycle qu’elle a elle-même suivi quinze ans plus tôt.
Après un premier long métrage tourné majoritairement caméra à l’épaule pour saisir au vol l’énergie de la jeunesse, sa mise en scène (toujours accompagnée par le même directeur de la photo, Sébastien Goepfert, rencontré à la Fémis) se fait plus posée pour dégager une forme d’érotisme discret – inspiré notamment des peintures d’Egon Schiele, autant pour leur gamme chromatique que pour la posture des corps – jusqu’à la scène d’amour finale.
Un hymne célébré à Cannes comme à Angoulême en attendant de voyager un peu partout dans le monde, notamment en Tunisie cet automne. Et cette fois, Leyla Bouzid n’attendra pas cinq ans pour mettre en route son nouveau projet : le scénario de son troisième film est déjà écrit, et il sera cette fois question d’un secret de famille qui devrait être tourné à Sousse.
UNE HISTOIRE D’AMOUR ET DE DÉSIR
Image : Sébastien Goebfert
Montage : Lilian Corbeille
Musique originale : Lucas Gaudin
Production : Blue Monday Productions
Distribution : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide International
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