L’Enfance nue (1968)
Maurice Pialat a déjà 43 ans quand il signe son premier long métrage de fiction, inspiré par une envie de documentaire sur les enfants de l’Assistance publique. Au départ, personne ou presque ne croit à ce débutant tardif à l’exception de François Truffaut qui va rameuter plusieurs de ses amis (Mag Bodard, Véra Belmont, Claude Berri…) pour cofinancer ce projet. L’enfance, Truffaut et Berri connaissent bien le sujet pour l’avoir mise en scène dans Les 400 coups ou Le Vieil homme et l’enfant. Mais bien que produit par ces deux réalisateurs reconnus, Pialat semble se construire en réaction à ces deux films. Dans L’Enfance nue, toute émotion est bannie. Juste avant le tournage, il a revu en boucle les films des frères Lumière et veut en revenir au cinéma des origines, débarrassé de toute artificialité. Sur le tournage, il filme avec des bouts de pellicule et du matériel récupéré un peu partout. Fidèle à ce qui sera sa réputation, il est d’une humeur massacrante et finit même un jour par frapper son jeune interprète, Michel Tarrazon. On appelle Truffaut pour tenter de raisonner le cinéaste qui n’en fait qu’à sa tête, y compris au moment du montage. Ses producteurs avaient prévu de le confier à Albert Jurgenson, figure réputée de l’exercice qui avait travaillé sur La Vérité ou La Grande Vadrouille. Mais Maurice Pialat s’occupe du montage lui-même, assisté de sa coscénariste Arlette Langmann. Le résultat est un triomphe. L’Enfance nue est récompensé à Venise puis remporte le Prix Jean Vigo. Pourtant, le public ne suit pas et Maurice Pialat en est profondément affecté. « Si L’Enfance nue avait été réalisé par un autre, je ne serais pas allé le voir. En tournant un tel sujet, j’ai bel et bien cherché mon insuccès et je ne dois m’en prendre qu’à moi-même. » Il pense d’ailleurs que ce premier film sera son dernier, que plus personne ne voudra le financer. Il se trompe.
Nous ne vieillirons pas ensemble (1972)
Quatre ans après son premier long, celui qui a depuis tourné le feuilleton La Maison des bois pour l’ORTF, revient au cinéma. Pour un autoportrait intime : un cinéaste ne peut se résoudre depuis six ans à quitter sa femme pour sa jeune maitresse qui, lassée, lui annonce son mariage avec un autre homme. C’est Jean-Pierre Rassam, le beau-frère de Claude Berri, dont la sœur est la compagne de Maurice Pialat, qui pousse ce dernier à refaire un film. Rassam a une idée précise de la production : la réussite d’une œuvre tient dans les moyens fournis au cinéaste. Pialat et Rasssam fondent ensemble la société Lido Films et Pialat décide de porter à l’écran le roman qu’il vient de publier, inspiré par six années d’une passion amoureuse tumultueuse. Pour jouer son alter ego, il choisit Jean Yanne avec qui il a fait l’acteur dans Que la bête meure. Et pour jouer sa maîtresse, il opte pour Marlène Jobert qui vient d’enchaîner les succès de Dernier domicile connu, du Passager de la pluie et des Mariés de l’an II. Rassam est ravi : il a le casting de stars qu’il voulait. Pourtant, tout ne va pas se dérouler comme prévu. Le ton monte vite entre Pialat et Jean Yanne. A la fois parce que le réalisateur ne supporte pas que le comédien use d’antisèches sur le plateau et parce que ce dernier fait un rejet de son personnage - trop lâche à ses yeux. Il faut dire qu’à travers lui, Maurice Pialat ne se fait aucun cadeau et se décrit dans ce qu’il juge être la vérité la plus nue, aussi désagréable soit-elle. Très vite, les deux hommes ne se parlent plus. Plus problématique encore, Jean-Pierre Rassam, catastrophé des premiers rushes, envisage de stopper net le tournage. Pialat va pourtant aller au bout de ses idées. Et Nous ne vieillirons pas ensemble enchantera cette fois-ci autant le public (1,7 million d’entrées) que la critique et les professionnels (Prix d’interprétation à Cannes pour Jean Yanne).
A nos amours (1983)
A l’origine d’A nos amours, il y a Les Filles du faubourg, un scénario écrit par Arlette Langmann. Il s’agit du portrait d’un groupe de jeunes filles dans les années 60. Mais Pialat ne parvient pas à le financer. Il décide alors d’investir l’argent qu’il avait commencé à réunir pour un autre projet, Meurtrières, inspiré par l’assassinat d’un automobiliste par deux jeunes auto-stoppeuses. Il commence le tournage en 1976 avant d’abandonner, vaincu par une accumulation de problèmes. Il enchaîne alors Passe ton bac d’abord et Loulou. Puis décide d’en revenir à Meurtrières et lance un nouveau casting. Venue accompagner sa sœur, Sandrine Bonnaire impressionne Maurice Pialat qui décide de lui confier l’un des deux rôles principaux de Meurtrières. Mais pour la deuxième fois, le film ne se fait pas. Comme il ne veut pas laisser filer une actrice aussi puissante, il décide de lui confier le rôle central des Filles du faubourg, dont le scénario va être totalement remanié. Fini le film de bande des sixties. Devenu Suzanne puis A nos amours, il est désormais contemporain de son époque et centré sur une seule adolescente. Une fois encore Pialat aborde ici un sujet autobiographique puisqu’Arlette Langmann s’est largement inspirée de son frère Claude Berri pour l’écrire. Et une fois encore, le film réussit à convaincre tout le monde : la critique, le public (950 000 entrées) et les professionnels avec à la clé, le Prix Louis-Delluc et les César du meilleur film et du meilleur espoir féminin. A la fin des années 90, Pialat essaiera une dernière fois, mais encore en vain, de donner vie à Meurtrières. C’est sa dernière épouse Sylvie – rencontrée sur A nos amours où elle était régisseuse – qui le produira trois ans après sa mort, en 2006, avec Patrick Grandperret aux commandes.
Police (1985)
Au cours des années 80, Maurice Pialat s’impose donc comme un auteur à succès. La Gaumont décide alors de lui commander un polar. Pour dépeindre le plus fidèlement possible le monde des flics et des voyous, le cinéaste fait appel à Catherine Breillat, dont il apprécie les romans. Elle s’immerge dans le quotidien d’une brigade de police parisienne et en rapporte des récits, des fragments de vie ou des faits divers que Pialat va modeler comme bon lui semble. Mais entre l’auteure et le cinéaste, la tension monte et ils se brouillent. Sylvie Danton (future Sylvie Pialat) et Jacques Fieschi sont alors appelés pour finaliser le scénario. Le tournage est également émaillé de conflits en tout genre. Si Police scelle les retrouvailles entre Pialat et Depardieu qui s’étaient violemment disputés sur le tournage de Loulou, le cinéaste ne ménage pas les autres comédiens. Sandrine Bonnaire, sa protégée, est cantonnée à un petit rôle et doit laisser la place à Sophie Marceau. La jeune actrice devient le souffre-douleur du cinéaste et de l’acteur principal, tout comme Richard Anconina, martyrisé par Pialat. Malgré les relations tendues, Police est un film unique, un mélange atypique. A la fois film de genre au réalisme quasi documentaire (la petite délinquance de Belleville) et mélo tragique où la caméra suit les errances de personnages constamment rattrapés par leur destin et la société. Ce grand polar devient le plus gros succès en salles du cinéaste, rassemblant plus 1,8 million de spectateurs.
Sous le soleil de Satan (1987)
Deux ans plus tard, Maurice Pialat porte à l’écran le roman de Georges Bernanos publié en 1926. Le livre et le film raconte la confession d’une jeune criminelle à son abbé. C’est la rencontre au sommet entre un auteur dévot et un cinéaste athée qui, bien qu’ayant déjà parlé de foi dans deux courts métrage (Isabelle aux Dombes et Congrès eucharistique diocésain), n’avait jamais signé une œuvre à ce point portée sur le mysticisme. Sur le plateau, Maurice Pialat reste fidèle à sa réputation. Les disputes se succèdent et, souffrant d’hypertension, le réalisateur reste cloîtré une semaine dans sa chambre sans pouvoir se rendre sur le plateau. Des techniciens sont renvoyés. Le rôle du docteur Gallet est successivement incarné par Claude Berri et Jean-François Stévenin avant que le cinéaste ne le confie à son monteur Yann Dedet… le lendemain de la fête de fin de tournage. Et une fois tout fini, le cinéaste déclare : « Si on fait un grand film en tournant comme cela, alors c’est complètement injuste puisque ce que je fous tous les jours c’est une honte, c’est dégueulasse, on ne peut pas tourner aussi mal ! ». Quoi qu’il pense de son film, il remporte la Palme d’Or - la première Palme française depuis Un homme et une femme en 1966 - à Cannes sous les huées d’une partie de la salle qui aurait préféré voir Les Ailes du désir de Wim Wenders couronné. Fuse alors sa célèbre répartie : « Si vous ne m'aimez pas, je peux vous dire que je ne vous aime pas non plus. ». Le public français, lui, continue à le plébisciter. Sous le soleil de Satan totalise 815 000 entrées.
Le Garçu (1995)
Après Police, Sous le soleil de Satan et Van Gogh, Maurice Pialat décide de revenir à la veine autobiographique de ses débuts et fait le portrait d’un homme au crépuscule de sa vie. C’est un film-testament sur son existence où, plus que jamais, réalité et fiction ne font qu’un. Comme le personnage principal incarné par Gérard Depardieu, le cinéaste a lui aussi eu un enfant sur le tard, Antoine, qui joue d’ailleurs son fils à l’écran. Séparée depuis 5 ans de Gérard Depardieu, Elisabeth Depardieu campe ici son ex-femme, prénommée Micheline, comme la première compagne du cinéaste. Le Garçu apparaît comme l’aboutissement de son travail d’artiste-artisan, entre la biographie et l’invention. Mais cette fois-ci, les spectateurs le boudent. Seuls 300 000 se déplacent sans savoir alors qu’il n’y aurait plus jamais d’autre film de Pialat.