Après Le Nom des gens, La Lutte des classes s’empare de sujets très sociaux, voire politiques. Quel genre de cinéma pratiquez-vous ? De la comédie sociale ou un cinéma plus politique ?
Il y a dans mes films un point de vue sur le monde qui nous entoure, donc on peut estimer que je fais de la comédie sociale. Par contre, je refuse de dire que je fais du cinéma engagé ou du cinéma politique. Je suis un observateur. Je décris des personnages mus par des convictions fortes, mais je ne prêche pas ! Pour moi le cinéma politique est un cinéma plus… manichéen. Et le problème des militants, c’est leur désir de neutraliser l’autre. Personne ne s’enfonce dans une salle obscure pour subir une démonstration. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas de convaincre, c’est de montrer la complexité du monde. Si je devais définir mon cinéma, je dirais que je suis d’influence « renoirienne » : comme dit le personnage d’Octave dans La Règle du jeu, « chacun a ses raisons ». Je suis définitivement plus Jean Renoir que Ken Loach.
Si vous acceptez la qualification de comédie sociale, qu’est-ce qui est le plus important pour vous : la comédie ou le social ?
C’est difficile de répondre. Je n’arrive pas à m’exprimer autrement que par la comédie. Ca m’est complètement naturel pour des raisons évidentes : d’abord je n’ai pas envie de m’appesantir sur les choses et je ne veux pas apitoyer le spectateur. Du coup, la comédie reste le moyen le plus évident pour parler du social ; elle permet de réfléchir à ces sujets mais sans s’en apercevoir, sans se prendre la tête. Le grand modèle pour moi, c’est le cinéma italien. Les cinéastes de l’époque savaient décrire des milieux populaires sans avoir un regard méprisant ou misérabiliste. Ils trouvaient le ton juste. C’est cette vibration-là que j’aimerais retrouver.
Vous partez toujours de questions qui agitent la société. Pourquoi avoir choisi la fiction et pas le documentaire ?
La fiction permet de mettre en scène les pensées secrètes des personnages, les plus sombres, ce que le documentaire ne réussira jamais à faire… Et puis elle permet aussi de décompresser, d’utiliser les clichés pour jouer avec, de rire avec les gens, avec leurs défauts, leurs excès, leurs névroses. Et ça, ça permet finalement de se mettre à leur place. Dans le genre de film que je fais (assez naturaliste et très en phase avec le réel), chaque spectateur pourrait être potentiellement l’un de mes personnages ; je dois donc faire très attention à ne pas perdre l’affection qu’on leur porte, à ne pas privilégier le bon mot à l’empathie. C’est un équilibre compliqué à trouver.
Vous parlez d’équilibre : c’est plus important de faire rire ou de faire réfléchir ?
Je ne sais pas. Ce que je sais en revanche, c’est que je ne pourrais pas faire une comédie qui repose uniquement sur des mécaniques de boulevard ou qui n’aurait pas une dimension sociale. Ca ne m’intéresse pas du tout. Je suis très admiratif du travail de Pierre Salvadori, mais je serais bien incapable de faire son cinéma.
Comment expliquez-vous le renouveau du genre ?
J’y vois deux raisons principales. D’abord, une raison économique : la comédie est devenue le genre roi. Il n’y a plus que ça qui fonctionne en salles, alors les cinéastes s’expriment à travers la comédie pour pouvoir traiter de tous les sujets. Y compris de choses sérieuses. Et puis, une raison plus sociale : la société est littéralement obsédée par certaines questions. L’école, le délabrement institutionnel, l’égoïsme individuel… Obsédée au point que ça transpire dans tous les arts. Et certains cinéastes ont donc décidé de traiter ces névroses à travers le prisme de la comédie.
Et c’est une forme qui tout en parlant de nos travers contemporains, permet aussi d’accéder à l’universel.
Oui, tout en procurant un peu de joie au spectateur. C’est très important de donner du plaisir au cinéma. C’est loin d’être anecdotique !
La lutte des classes de Michel Leclerc a bénéficié de l’aide à la production du fonds images de la diversité et l’aide à la création visuelle ou sonore du CNC.