Mohammed Latrèche : « Mohamed Zinet était un homme viscéralement libre ! »

Mohammed Latrèche : « Mohamed Zinet était un homme viscéralement libre ! »

Zinet, Alger, le Bonheur de Mohammed Latrèche
« Zinet, Alger, le Bonheur » de Mohammed Latrèche Vivement Lundi ! Distribution

Dans le cadre d’un hommage à l’acteur et réalisateur algérien Mohamed Zinet, la Cinémathèque française organise, le 7 juin, la projection du documentaire Zinet, Alger, le Bonheur de Mohammed Latrèche. Des ruelles de la Casbah au port d’Alger, il retrace le parcours du cinéaste, électron libre du cinéma algérien, en partant à la rencontre des Algérois et de ceux qui l’ont connu. Un film accompagné par le Fonds de soutien audiovisuel du CNC.


Zinet, Alger, le Bonheur brosse le portrait de l’acteur et cinéaste algérien Mohamed Zinet (1932-1995), un être insaisissable tant sa trace semble se perdre constamment en route. Pourquoi avoir décidé de lui consacrer un documentaire ?

Mohammed Latrèche : Il faut entreprendre un travail de mise en valeur pour que la trace d’un artiste reste vivace. Or, concernant Mohamed Zinet, celui-ci a été très insuffisant, voire malmené. Son unique film en tant que réalisateur, Tahya Ya Diou (aussi appelé Alger insolite) tourné en 1970, n’a pas bénéficié d’une sortie digne de ce nom. Heureusement le négatif réapparu miraculeusement en 2016 a permis au film d’être restauré grâce au ministère algérien de la Culture. Quand j’ai commencé à faire des films, Mohamed Zinet était déjà décédé [le 10 avril 1995 – ndlr]. Mon profond attachement à son égard vient à la fois de son talent, de son courage et de sa fragilité. C’est une source d’inspiration. Comme lui, j’essaye de travailler en Algérie et en France avec toutes les difficultés que cela suppose. Comme lui, je défends ma liberté de création dans les deux pays. Et comme lui, je me suis demandé si je n’allais pas être l’auteur d’un seul film et, face aux difficultés, perdre pied.

Qui était Mohamed Zinet ?

La vie de Mohamed Zinet a épousé les soubresauts de l’histoire. Acteur de théâtre dans l’Algérie coloniale, il a très tôt milité pour l’indépendance et a rejoint le maquis durant la guerre. Il faut noter aussi ses années de convalescence en Tunisie, ses études en Allemagne, puis son retour dans une Algérie indépendante, portée par le parti et la pensée unique, et enfin, son exil, dans la France des années 1960-1970, marqué par le racisme. Comme évoqué plus haut, son existence a accompagné le mouvement de l’histoire algérienne. Mais cette histoire, malgré son foisonnement, est à l’origine d’une frustration. Mohamed Zinet a été un cinéaste empêché : il n’a pas trouvé sa place dans le système de production étatisé, car il s’agissait d’un homme viscéralement indépendant. Mohamed Zinet était aussi un être doté d’un humour et d’une impertinence qui pouvaient déranger.

La ville d’Alger a été très peu filmée, surtout par les Algériens. Mohamed Zinet l’a fait de manière presque magique. Grâce à Tahya Ya Didou, Alger a été saisie pour l’éternité.
Zinet, Alger, le Bonheur SB Films, Vivement Lundi !

Quelle a été la genèse précise de Tahya Ya Didou ?

Après l’indépendance algérienne en 1962, Mohamed Zinet a cherché à adapter au cinéma sa pièce de théâtre, Tibelkachoutine, qu’il a joué par intermittence depuis le début des années 1950. Il n’a jamais réussi à faire ce film. En 1969, il a saisi l’opportunité de réaliser une commande de la mairie d’Alger qui cherchait à promouvoir la ville. Mohamed Zinet et Anne Papillault, sa compagne, ont d'abord écrit le scénario d'un moyen métrage. Mais pendant le tournage, Mohamed Zinet a introduit de nouveaux personnages, de nouveaux éléments documentaires que lui a offert le réel, ce qui a modifié le film. Tahya Ya Didou est né ainsi. Ce que je trouve magique, c’est justement la façon dont Mohamed Zinet s’est réapproprié cette matière dite documentaire pour la transformer en fragments poétiques. Il s’est laissé emporter par l’énergie de la ville.

L’ex-directeur de la Cinémathèque d’Alger, Boudjemaa Karèche, dit justement à propos de ce film qu’ « il a inscrit Alger dans le monde. » En quoi cette oeuvre est-elle si importante ?

La ville d’Alger a été très peu filmée, surtout par les Algériens. Mohamed Zinet l’a fait de manière presque magique. Grâce à Tahya Ya Didou, Alger a été saisie pour l’éternité.

Pour réaliser mon film, j’ai rassemblé toutes les traces éparses et enfouies de l’existence de Mohamed Zinet comme un immense puzzle.

 Très peu d’archives documentent la vie de Mohamed Zinet. Comment avez-vous construit votre film ?

Pour réaliser mon film, j’ai rassemblé toutes les traces éparses et enfouies de son existence comme un immense puzzle. Mohamed Zinet est un homme qui ne se prenait pas au sérieux. À chacune des étapes de sa vie, il faisait ce qu’il estimait important. Or, classer ses archives, écrire ses mémoires et les diffuser ne faisait pas partie de ses préoccupations. 

Table de montage de Zinet, Alger, le Bonheur SB Films, Vivement Lundi !

Comment s’est développée sa production ?

Les processus d'écriture et de financement ont été longs et compliqués. Mes producteurs algériens (Sb Films) et français (Vivement Lundi !) ont mobilisé toutes les ressources nécessaires, parfois même leurs fonds propres, pour permettre au film d’exister. Nous avons pu compter sur une aide du F.D.A.T.I.C, l'équivalent algérien de l’Avance sur recettes du CNC et d’une coproduction avec le C.A.D.C, le Centre Algérien du Développement du Cinéma. En France, l’apport de la Région Bretagne a été capital comme le soutien de la plateforme KuB. Enfin la contribution du CNC à travers son Fonds de soutien audiovisuel (FSA), dispositif dédié aux documentaires dits fragiles, nous a permis de boucler le financement et de mener à bien notre projet.

Pourquoi ce titre Zinet, Alger, le Bonheur ?

Il m’importait de faire apparaître dans le titre du film le tandem Zinet/Alger. Les deux sont intimement liés. Quant au « bonheur », c’est une allusion directe à Tahya Ya Didou qui me procure une immense joie à chaque visionnage.

Quelle va être la nouvelle vie de Tahya Ya Didou ?

La copie restaurée circule de plus en plus, notamment dans les festivals internationaux. Il reste cependant beaucoup de travail à faire : organiser une vraie ressortie dans les salles en Algérie et en France, programmer des diffusions à la télévision et sur des plateformes, concevoir des éditions vidéo. J’aimerais que ce film soit à la portée de tous.
 

Zinet, Alger, le Bonheur

Affiche de « Zinet, Alger, le Bonheur » réalisé par Mohamed Latrèche
Zinet, Alger, le Bonheur Vivement lundi !

Écriture et réalisation : Mohammed Latrèche
Production : Sb Films, Vivement Lundi !, en coproduction avec le Centre Algérien de Développement du Cinéma
Montage : Philippe Ramos, Nico Peltier
Image : Yanis Kheloufi, Oussama Zouaoui, Yann Seweryn
Distribution : Vivement Lundi ! distribution

Projection à la Cinémathèque française le vendredi 7 juin à 21 h

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA)