"Mourir d’aimer", du fait divers au film

"Mourir d’aimer", du fait divers au film

19 janvier 2021
Cinéma
Mourir d'Aimer d'André Cayatt
"Mourir d'Aimer" d'André Cayatte Franco-London Films - Cobra Film - LCJ Editions & Productions - Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC) - Splendor Films
En 1971, André Cayatte s’emparait d’un fait divers tragique qui avait divisé la France – le suicide de Gabrielle Russier, professeure jugée pour détournement de mineur – et réalisait l’un de ses films les plus marquants. Retour sur la genèse de Mourir d’aimer, alors que l’on commémore ses 50 ans, en ce mois de janvier 2021.

Tout commence par un fait divers qui fait pendant plusieurs mois la une des journaux, divisant la France avant de se terminer en tragédie. Une histoire d’amour interdite entre Gabrielle Russier, une professeure agrégée de lettres de 32 ans et l’un de ses élèves, Christian Rossi, alors âgé de 17 ans. Mère de famille célibataire, Gabrielle Russier s’est révélée la cible des mouvements les plus réactionnaires d’une France post-Mai 68 pas encore totalement décorsetée. C’est plus précisément le 15 octobre 1968 que tout s’accélère quand les parents de Christian lui ayant, en vain, demandé de rompre, saisissent le juge pour enfants avant de porter plainte pour détournement de mineur.

Emprisonnée durant huit semaines à la prison des Baumettes, Gabrielle refuse de dire où se trouve Christian qui a fugué et qu’elle allait rejoindre quand elle a été arrêtée. Le procès a lieu au mois de juillet 1969. Gabrielle Russier est condamnée à douze mois de prison avec sursis et 500 francs d’amende. Une peine que l’amnistie qui fait suite à l’élection de Georges Pompidou à la présidence de la République va pouvoir effacer. L’enseignante pense alors pouvoir reprendre une vie « normale ». Sauf que l’Académie d’Aix-en-Provence dont elle dépend ne l’entend pas ainsi. Elle pousse le parquet à faire appel et lui refuse le poste d’assistante de linguistique pour lequel elle postulait. Cet acharnement mine profondément la jeune femme. Elle fait une première tentative de suicide en août 1969 et, alors même que son père engage le ténor du barreau Albert Naud (qui fut notamment l’avocat de Louis-Ferdinand Céline de 1947 à 1951) pour le procès en appel prévu pour le mois d’octobre, elle ouvre le gaz dans son appartement et se donne la mort le 1er septembre 1969.

En 1971, désormais majeur, Christian Rossi donne un unique entretien à la presse pour saluer la mémoire de Gabrielle. On peut y lire : « Je ne suis pas responsable de sa mort. J’estime qu’il y a d’autres responsables. J’accuse toute la société : les juges, les parents bourgeois. Je voudrais que ça se tasse et qu’on oublie. Enfin, moi je n’oublierai pas. On s’aimait, on l’a mise en prison, elle s’est tuée. C’est simple, la passion ce n’est pas lucide. »
C’est aussi cette même année 1971 que de nombreux artistes vont rendre hommage à Gabrielle Russier. Serge Reggiani écrit Gabrielle, Anne Sylvestre, Des fleurs pour Gabrielle et Charles Aznavour, Mourir d’aimer. Le titre du film d’André Cayatte, à qui le chanteur demandera l’autorisation. Si Jacques Deray est le premier cinéaste à avoir exprimé son intention de réaliser un film sur Gabrielle Russier, cinq jours après sa mort, celui-ci ne verra jamais le jour.

Avocat de formation – il a exercé dans les années 30 – André Cayatte s’est spécialisé depuis les années 50 dans des films qui décryptent les rouages et les enjeux de la justice comme Justice est faite, centré sur un jury d’assises ou Nous sommes tous des assassins sur l’inefficacité de la peine de mort. En 1967, il avait déjà réalisé un film tiré d’un fait divers, Les Risques du métier, dans lequel Jacques Brel campait un instituteur accusé à tort de pédophilie par une de ses élèves et se retrouvait pris dans l’engrenage de la machine judiciaire.

Mourir d'aimer Franco-London Films - Cobra Film - LCJ Editions & Productions - Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC) - Splendor  Films

 Franco-London Films - Cobra Film - LCJ Editions & Productions - Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC) - Splendor FilmsPour écrire Mourir d’aimer, André Cayatte s’adjoint les services de l’avocat Albert Naud et du journaliste Pierre Dumayet, le cocréateur – entre autres – de la célèbre émission de l’ORTF, Cinq colonnes à la une. Pour se détacher de l’histoire de Gabrielle et signer une œuvre universelle, il change le nom des personnages et déplace l’intrigue des Bouches-du-Rhône à la région de Rouen. Il va ensuite s’employer à développer un récit qui développe les faits dans un souci d’objectivité et de nuances. Alors que cette affaire divise toujours la France, lui ne sépare pas ses personnages en bons d’un côté et méchants de l’autre. Par exemple, les parents de l’école où enseigne Danièle Guénot, l’héroïne de Mourir d’aimer, ne prennent pas tous parti contre elle. Pour raconter ce qu’il juge être une profonde injustice, Cayatte prend soin de se baser sur les faits et non sur la morale, prisme jusque-là majoritaire quand on traitait de cette affaire tragique. Sa connaissance du monde juridique lui permet évidemment de restituer les étapes et les rouages de la procédure judiciaire qui poussèrent l’enseignante au suicide tout en se basant sur la règle de base commune à tout justiciable : la présomption d’innocence.

Grand film féministe, Mourir d’aimer fait polémique à sa sortie. François Truffaut dénonce ainsi dans une lettre ouverte la manière, qu’il juge très démagogique, avec laquelle Cayatte a traité son sujet. Mais le public lui réserve un triomphe avec près de 6 millions d’entrées, soit le troisième plus gros succès du box-office français de l’année 1971 (derrière Les Aristochats et Les Bidasses en folie mais devant La Folie des grandeurs, Love Story ou Le Casse). Il remportera le Grand Prix du cinéma français avant et d’être nommé au Golden Globes du meilleur film en langue étrangère.

Mourir d’aimer va aussi changer le destin de son interprète principale Annie Girardot (face au débutant Bruno Pradal). Sa popularité explose en France comme à l’international et elle va enchaîner à partir de là une décennie de succès tous azimuts. Elle retrouvera André Cayatte à trois reprises, dans Il n’y a pas de fumée sans feu (1972), À chacun son enfer (1977) et L’Amour en question (1978).

Mourir d’aimer

Réalisé par André Cayatte
Scénario : André Cayatte, Me Albert Naud, Pierre Dumayet
Musique : Louiguy
Production : Roger Fellous, Lucien Massé, Franco-London-Films, Cobra Film, LCJ Editions & Productions, Compagnie Commerciale Française Cinématographique (CCFC)