"Peau d'âne" a 50 ans

"Peau d'âne" a 50 ans

15 décembre 2020
Cinéma
Peau d'âne de Jacques Demy
Peau d'âne de Jacques Demy Marianne Productions - Parc Film - mk2 Films - Ciné-Tamaris
Le film de Jacques Demy est sorti le 16 décembre 1970 en France, il y a tout juste cinquante ans. Retour sur le plus gros succès public de son réalisateur.

Les Parapluies de Cherbourg (1964) et Les Demoiselles de Rochefort (1967), comédies musicales sous la double influence du glamour hollywoodien et de la liberté de ton de la Nouvelle Vague ont établi le profil atypique de Jacques Demy, révélé en 1960 avec Lola. Sollicité par Hollywood, il s’installe deux ans à Los Angeles où il réalise Model Shop (1969), un échec patent. Son crédit est un peu entamé, il faut le rétablir. Lui revient alors en tête une vieille obsession. Depuis toujours, cet admirateur de Jean Cocteau caresse l’idée d’un film où le poétique et le merveilleux se mélangeraient dans la grande tradition des contes pour enfants. Il se souvient que, dans sa propre jeunesse, il montait pour son théâtre de marionnettes des histoires inspirées de Charles Perrault, des frères Grimm ou de Hans Christian Andersen. Le récit de Peau d’âne (Perrault) l’avait notamment marqué : ce roi qui veut à tout prix épouser sa fille dissimulée sous une peau d’âne pour lui échapper est d’une ambiguïté et d’une richesse inépuisables. Dès 1962, il avait travaillé sur un scénario et obtenu l’accord de principe de Brigitte Bardot et d’Anthony Perkins pour être de l’aventure. Mais le budget trop élevé du projet et son statut encore fragile avaient empêché Demy d’aller au bout de son rêve. Après le succès des Demoiselles de Rochefort, il avait évoqué, de son exil américain, sa nouvelle idée de comédie musicale inspirée du conte de Perrault à Catherine Deneuve qui s’était montrée enthousiaste.

Alors qu’il hésite à rentrer en France (les Américains souhaitent qu’il tourne un second film), Jacques Demy reçoit la visite à Los Angeles de sa productrice Mag Bodard. Celle-ci connaît son attachement à Peau d’âne et son envie de réactiver son projet – le scénario est prêt, les chansons de Michel Legrand, écrites. Elle lui apprend qu’elle a obtenu les financements et que Catherine Deneuve est toujours désireuse de tenir le rôle principal. L’accord de Jean Marais pour jouer le roi interviendra dans la foulée. Fin 1969, Jacques Demy retrouve sa maison de Noirmoutier où il entre en préparation. Le costumier, décorateur et scénographe Agostino Pace est engagé pour imaginer les costumes féériques et délirants des personnages. Pour les trois robes demandées par la princesse à son père, aux couleurs du temps, de lune et de soleil, Pace et sa consœur Gitt Magrini se surpassent. Sublimes, elles sont par ailleurs tellement lourdes à porter pour Catherine Deneuve que pour ses longs déplacements, des tabourets seront fixés à même ses jupons afin qu’elle puisse se reposer entre les prises ! L’artiste argentin Hector Pascual se voit, de son côté, confier les costumes animaliers. Son plus gros défi consiste à rendre portable la véritable peau d’âne, issue d’une dépouille animale directement prélevée dans un abattoir. Il faut la retoucher, encore et encore, notamment pour enlever les odeurs. Elle sera finalement doublée quatre ou cinq fois sans que Catherine Deneuve soit informée de sa provenance. Le peintre britannique Jim Leon, rencontré par Demy aux États-Unis, est enfin chargé d’imaginer les maquettes des décors que réalisera le chef décorateur Jacques Dugied.

Catherine Deneuve dans Peau d'âne de Jacques Demy Marianne Productions/Parc Film/mk2 Films/Ciné-Tamaris/DR

 

Le tournage débute le 1er juin 1970. Il durera huit semaines, le réalisateur voulant profiter de la belle lumière naturelle procurée par l’été. L’équipe passe des châteaux de Chambord et du Plessis-Bourré dans la Loire (pour les scènes du château rouge, du château bleu et du mariage) à ceux de Neuville dans les Yvelines (pour les scènes de ferme et de cabane dans la forêt) et de Pierrefonds dans l’Oise (pour la scène finale). Demy a dû sacrifier des mises en place et des mouvements de caméra complexes en raison d’un budget certes conséquent de quatre millions de francs, mais principalement dévolu aux costumes, décors et autres trucages artisanaux. Cela n’empêche pas les accrocs. L’équipe découvre par exemple que le lit de la princesse et son mécanisme qu’ils ont fait fabriquer par un sous-traitant ne correspondent pas du tout à ce qu’ils avaient imaginé. Les décorateurs doivent improviser un lit de rechange à la va-vite ! À l’arrivée, il y aura un dépassement de budget d’environ 800 000 francs qui empoisonnera la relation de Demy avec la production.

Lors de la postproduction du film, Catherine Deneuve est doublée pour les chansons par Anne Germain – comme sur Les Demoiselles de Rochefort. Jacques Perrin et Delphine Seyrig, interprètes respectifs du Prince et de la Fée des lilas, sont eux doublés par Jacques Revaux et Christiane Legrand, la femme de Michel. Tout est prêt pour une sortie événement à une semaine des fêtes de Noël, le 16 décembre 1970. Le public est bel et bien au rendez-vous : avec près de 2,2 millions de spectateurs, Peau d’âne se classe douzième du box-office de l’année. C’est de très loin le plus gros succès de Jacques Demy qui ne retrouvera plus un tel niveau de popularité avec ses films suivants. Il marque enfin pour Catherine Deneuve l’apogée de sa première période d’actrice et pratiquement la fin de carrière de Jean Marais qui ne reviendra à l’écran que sporadiquement à partir de 1985, toujours pour Jacques Demy, dans Parking.