Le 23 septembre sort chez Institut Lumière/Actes Sud Les lumières de Lhomme de Luc Béraud. Un récit foisonnant qui embrasse à la fois la carrière du directeur photo de L’armée des ombres et de La maman et la putain et cinquante ans d’histoire du cinéma français. Ancien assistant de Claude Miller et Jean Eustache, scénariste et réalisateur, Luc Béraud a souvent côtoyé Pierre Lhomme au cours de sa carrière et avait convenu avec ce dernier, avant sa mort, de consacrer un livre à son travail. Le résultat est passionnant.
Vous confiez dans l’épilogue que Pierre Lhomme aurait préféré un livre d’entretiens. Pourquoi teniez-vous à la forme du récit et aux digressions que cela suppose ?
Quand j’ai soumis à Pierre Lhomme mon projet, il m’a aussitôt parlé d’un livre en forme de conversation. Il aimait cette idée de deux professionnels parlant “métier”. Je me suis alors souvenu de ce que Thierry Frémaux m’avait dit un jour : « Un livre, ça s’écrit ». Il se trouve que je me vois plus comme un passeur que comme un intervieweur et que Pierre était plus un homme d’action qu’un grand théoricien. Il s’est finalement rangé à mon point de vue.
Plus qu’un portrait romanesque de Pierre Lhomme vous posez un regard particulier sur le métier de directeur photo qu’il a incarné avec noblesse et un sens aigu de l’artisanat pendant des décennies.
Exactement. Ca agaçait d’ailleurs un peu Pierre que je parle d’autres chefs opérateur français ou étrangers ! (rires) Je ne voulais pas que mon livre ne s’adresse qu’à des techniciens, mais qu’il parle aussi aux amoureux du cinéma. Jean-Paul Rappeneau m’a adressé un beau compliment en me confiant que j’avais finalement écrit sur cinquante ans de cinéma français - Pierre ayant exercé de 1958 à 2003.
Il ressort de votre livre son exigence, sa fidélité, son goût du risque aussi qui épousent son amour du cinéma. Et cet amour était d’ailleurs tout sauf tiède, comme en témoigne la liste des réalisateurs avec qui Lhomme a travaillé, de Bresson à Blier, en passant par Cavalier, Marker, Melville, Duras, Rappeneau...
C’est vrai. Pierre tenait beaucoup à évoquer son travail avec les plus grands. J’ai volontairement écarté du livre les anecdotes en rapport avec les films ratés ou inintéressants qu’il a pu faire. Ca ne lui aurait pas rendu justice et ça n’apportait rien au récit.
On a l’impression qu’il allait naturellement vers les réalisateurs réputés « difficiles ». Comme une volonté de lutter, de s’imposer, de repousser ses limites…
Vous remarquerez tout de même qu’il n’a pas travaillé avec Pialat... (rires) Je vous répondrais qu’il aimait travailler avec des gens exigeants, qui savaient ce qu’ils voulaient. Ca pousse effectivement à se surpasser. Il n’y a rien de plus terrible pour un technicien que l’absence de visions ou de réponses de la part des réalisateurs.
Parlons de son style. Peut-on définir Pierre Lhomme comme le peintre des couleurs froides, ce qui correspond notamment à son travail sur L’armée des ombres ?
C’était en réponse à Melville qui voulait réaliser un film en noir et blanc et éviter les couleurs chaudes. Pierre a réitéré sur Dites-lui que je l’aime de Claude Miller pour les mêmes raisons. Champion des couleurs froides, oui, mais pas seulement. Le Sauvage de Jean-Paul Rappeneau ou Quartet de James Ivory, c’est le contraire des couleurs froides ! Au fond, Pierre s’adaptait en permanence. C’est la force des grands techniciens. Il avait néanmoins une réputation qui lui collait à la peau. Truffaut, par exemple, trouvait que sa photo était triste. Ca avait beaucoup blessé Pierre d’autant que Truffaut ne s’intéressait pas vraiment à la photo.
Il n’a jamais travaillé avec Truffaut, ni avec Chabrol, Godard ou Rivette. Seul Rohmer a fait appel à lui pour Le Signe du lion. Comment expliquez-vous ce rendez-vous manqué avec la Nouvelle Vague ?
Truffaut, je viens de vous dire pourquoi. Chabrol travaillait avec Jean Rabier, Godard devait penser que Pierre venait d’une gauche trop conventionnelle... Rivette a quant à lui failli l’employer sur un projet qui n’a jamais abouti. Je pense par ailleurs que le côté syndicaliste de Pierre, à cheval sur les horaires et les tarifs, a joué contre lui auprès de ces réalisateurs. Nuytten, qui l’a embauché sur Camille Claudel, craignait, m’avait-il confié, un type un peu chiant, un peu raide... Il s’est finalement réjoui de leur collaboration.
Vous écrivez : « Aux yeux de Pierre, les nouveaux réalisateurs sont plus littéraires que visuels, ils écoutent mais ils ne regardent pas. Il trouve qu’ils ne savent pas voir. » S’agissait-il d’une pique envers les cinéastes de la Nouvelle Vague justement ?
Oui, et il ne l’a pas dit par aigreur. C’était un constat objectif. La Nouvelle Vague était constituée d’universitaires, de gens très cultivés, peu versés dans la technique. Tout l’inverse du cinéma d’avant, fait par des hommes qui se considéraient d’abord comme des artisans. Pierre s’inscrivait dans leur lignée.
Lhomme était d’ailleurs déçu de ne jamais avoir reçu le soutien de ses aînés alors que, lui, était dans la transmission.
Il avait notamment été déçu par le grand chef opérateur Henri Alekan dont il avait été l’assistant et qui n’était pas allé voir ses premiers films comme Le combat dans l’île ou La vie de château. C’est compréhensible.
Il n’y a pas de style Lhomme comme il y a eu un style Coutard ou Almendros pour citer deux de ses plus prestigieux contemporains. Pensez-vous que son ego en ait souffert ?
Pas du tout. Dans la dernière partie de sa vie, il a reçu des hommages du monde entier, il en était très honoré. Pierre a tout de même opéré la transition entre le classicisme et ce qu’on a appelé l’école de “la lumière naturelle” qui consistait à reproduire la lumière dite du “Bon Dieu”. Des gens comme Bruno Nuytten, Renato Berta ou Denis Lenoir reconnaissent son influence.