Pleins feux sur l’assassin (1961) est le troisième long métrage de Georges Franju, après La tête contre les murs (1959) et Les Yeux sans visage (1960). Une nouvelle fois, le cinéaste a confié l’écriture du scénario au duo d’écrivains Pierre Boileau et Thomas Narcejac, dont les romans Celle qui n’était plus et D’entre les morts ont déjà été adaptés avec succès au cinéma. Le premier par Henri-Georges Clouzot (Les Diaboliques, 1955), le second par Alfred Hitchcock (Sueurs froides, 1958). Comme pour Les Yeux sans visage, les deux auteurs ne s’appuient pas sur une matière préexistante mais imaginent un scénario original.
Improbable absence
C’est l’histoire d’un héritage impossible. L’action se passe dans un château du XVe siècle en Bretagne dans lequel viennent se perdre les membres de la famille d’un comte tout juste décédé mais dont le corps reste introuvable. « Médicalement, il est mort. Juridiquement, il est absent...», explique le notaire. Tout le monde cherche activement la trace du défunt afin d’accélérer la procédure d’héritage. En attendant, cousins et cousines mettent sur pied un spectacle de son et lumière au château inspiré d’une vieille légende. Et très vite, les cadavres s’accumulent au sein de la famille.
Si Pleins feux sur l’assassin n’est pas véritablement un huis clos, toute l’action se cristallise au sein du château envisagé dès les premières minutes comme un gigantesque caveau. Le vieux comte (Pierre Brasseur) arborant la tenue d’apparat des chevaliers de Malte, ouvre une porte secrète cachée derrière un miroir sans tain. L’homme à bout de souffle s’installe sur un fauteuil et agonise. « Hommes qui aimez la gloire, soignez votre tombeau ! Tâchez de faire bonne figure, car vous y resterez longtemps... », déclare le vieillard avec une emphase teintée d’ironie. Derrière sa glace, l’ancêtre devenu une marionnette désarticulée est désormais aux premières loges pour observer, sans être vu, ses descendants s’agiter pour le retrouver. L’homme devient ainsi une projection du spectateur de cinéma, observateur inactif du monde. Pierre Brasseur tenait déjà le rôle principal des Yeux sans visage, celui du chirurgien fou essayant vainement de recomposer le visage de sa fille accidentée avec la peau de cadavres.
Rigueur et précision
Il enfonce le clou au moment de la préparation de Pleins feux sur l’assassin : « J’aime la poésie des choses, or c’est l’attente qui est poétique, pas l’action ! Je cherche à créer une atmosphère, une chose par définition insaisissable. J’aime le mystère. »
Il y aurait donc un malentendu à considérer Franju comme un maître du suspense. L’homme cherche moins à ménager ses effets pour contrôler la tension du spectateur qu’à l’immerger tout entier dans un monde où les frontières entre le réel et le fantastique sont poreuses. Lorsque Franju évoque la notion de « documentaire », il sait de quoi il parle. Né dans une famille de la bourgeoisie bretonne, il a débuté comme réalisateur en filmant « les vrais gens ». Sa filmographie compte plusieurs documentaires saisissants dont Le Sang des bêtes, réalisé en 1948, plongée sans concession dans les abattoirs de la Villette à Paris sur un commentaire grave et scientifique de Jean Painlevé. Ce tournage est une révélation pour Franju qui se retrouve confronté à la violence la plus crue et n’hésite pas à la regarder en face. « Lorsque je tourne, il y a l’équipe de tournage autour de moi, on est plus fort. Et puis, il faut bien faire son travail. La peur la plus terrible, c’est quand on a peur tout seul ! »
Contre le monde
Après Le Sang des bêtes, il y aura aussi Hôtel des Invalides (1951), film de commande censé célébrer les mutilés de guerre mais qu'il détourne pour épingler la bêtise des conflits armés et les souffrances qu’ils engendrent. Franju tord déjà le cou du réel à l’aide du cinéma documentaire pour en révéler sa brutalité donc son étrangeté. Dans le film Seul Franju de Sonia Cantalapiedra, l’un de ses plus fidèles amis, l’ancien directeur de la Cinémathèque Suisse, Freddy Buache commente : « Dans l’ordre, il trouve déjà du désordre. Il était contre le monde. Car enfin, on ne peut pas être pour le monde ! » « Contre le monde » peut-être, mais pour le cinéma, assurément. Rappelons que Georges Franju a tout de même cofondé la Cinémathèque Française aux côtés d’Henri Langlois, en 1936.
Dérèglements
Pleins feux sur l’assassin répond à cette profession de foi. Tout ici n’est, en effet, que trompe-l’œil, faux-semblant et chausse-trappe. Tous les héritiers, peu émus par la mort de leur ancêtre, se pressent autour d’un cadavre insaisissable. Cette absence entraîne un double dérèglement, intérieur d’abord (chacun se mue en meurtrier potentiel pour s’accaparer le « magot ») et extérieur (le château devient une machine à fabriquer de l’illusion). Le point de convergence survient lorsque le spectacle imaginé par la famille permet au meurtrier d’agir en pleine lumière et de mettre en scène l’un de ses crimes. Le réel et la fiction interagissent alors parfaitement. Le public de notables venus en masse à la première représentation devient le témoin impuissant d’un meurtre en direct.
Pleins feux sur l’assassin offre au jeune Jean-Louis Trintignant, l’un de ses premiers grands rôles dans un film français après avoir crevé l’écran en Italie dans Eté violent de Valerio Zurlini (1959). Le film ne connaîtra pas le même succès que Les Yeux sans visage, devenu un véritable objet de culte cinéphile. Et Franju qui rêvait d’adapter Jean Genet, s’attèlera ensuite à une adaptation de Thérèse Desqueyroux d’après François Mauriac, poursuivant son portrait sans concession d’une bourgeoisie française vacillante.
Pleins feux sur l’assassin
Ecrit par Pierre Boileau et Thomas Narcejac
Produit par Jules Borkon pour Champs-Elysées production
Musique : Maurice Jarre