Madame Bovary, le roman le plus célèbre publié par Flaubert en 1857, a fait l’objet de nombreuses adaptations cinématographiques. Celles de Jean Renoir et de Claude Chabrol ont marqué le cinéma français par leur reconstitution exacte et réaliste du roman. Aux Etats-Unis, Vincente Minnelli s’est emparé du récit avec un œil nouveau et une certaine originalité. Pour finir, Anne Fontaine s’est, quant à elle, écartée du récit original à partir du scénario du roman graphique de Posy Simmonds.
L’écriture flaubertienne et la psychologie des personnages constituent une grande source d’inspiration pour ces cinéastes qui ont repris la figure naïve d’Emma Bovary, emprisonnée dans sa vie morose, tentant d’y échapper à travers l’adultère.
Madame Bovary de Jean Renoir (1933)
Renoir réalise et écrit en 1933, la première adaptation cinématographique de Madame Bovary (1857) de Gustave Flaubert. Il reprend le récit avec une fidélité absolue tout en laissant, néanmoins et consciemment, certains points dans l’ombre. La base scénaristique de Renoir réside dans l’éducation d’Emma qui forge son caractère et l’amène à poursuivre un idéal impossible n’existant que dans son imagination. Renoir exploite ainsi les débuts du cinéma parlant pour rendre hommage à la prose de Flaubert dans une ambiance teintée de noir et de blanc.
Grâce à la photographie et aux dialogues, le cinéaste a souhaité mettre en avant la morale flaubertienne et la psychologie de l’infortunée Emma qui connaît espoir et désillusion dans sa quête de l’amour courtois. Renoir confie notamment le rôle de Charles Bovary à son frère Pierre Renoir.
A l’origine, le film devait durer trois heures mais a finalement été ramené à deux heures. De nombreuses scènes ont donc dû être coupées au montage ; peut-être pourrons-nous un jour visualiser ces scènes oubliées !
Madame Bovary de Vincente Minnelli (1949)
L’adaptation de Vincente Minnelli, écrite par Robert Ardrey, a été tournée à Hollywood en 1949 à l’époque où la censure était à son apogée. Cette fois-ci l’histoire est racontée du point de vue de Gustave Flaubert défendant corps et âme son héroïne lors de son procès pour atteinte aux bonnes mœurs.
Cette adaptation est surtout connue pour la scène de bal grandiose et spectaculaire exhibant des costumes volumineux se déplaçant au rythme des danses. Emma Bovary vit alors un rêve éveillé, se croyant dans l’une des histoires romantiques qu’elle a coutume de lire et de s’imaginer vivre. Dans cette même scène, la bande son a une place essentielle produisant un chaos symphonique pour symboliser l’euphorie qui s’empare de l’esprit d’Emma ; cette même euphorie qui la pousse à commettre ses adultères croyant vivre une vie romanesque. Les jeux de caméra, singuliers, suivent les personnages à toute vitesse dans leur danse faisant tourbillonner aussi le spectateur. Minnelli s’adresse à un spectateur qui n’a pas forcément lu au préalable Madame Bovary. Le cinéaste s’éloigne donc grandement de la trame narrative du roman pour créer sa propre approche, originale et accessible à un large public.
Madame Bovary de Claude Chabrol (1991)
« J’ai voulu être le plus fidèle possible au texte de l’auteur. J’essaie de faire le film qu’il aurait fait s’il avait eu une caméra au lieu d’une plume », expliquait Claude Chabrol à propos de son adaptation de Madame Bovary, un vieux rêve qu’il réalisa en 1991. Cet attachement du cinéaste de la Nouvelle Vague à l’œuvre de l’écrivain normand n’a rien de surprenant, Chabrol ayant au fil de sa prolifique filmographie toujours pris un malin plaisir à épingler les travers de la bourgeoisie de province.
Pour s’attaquer à ce monument de la littérature française l’ayant suivi tout au long de son enfance et de son adolescence, le réalisateur/scénariste choisit de retranscrire fidèlement l’œuvre de Flaubert et son réalisme, et crée ses dialogues à partir des paroles prononcées dans le roman. Trente ans après sa sortie, ce Madame Bovary porté par Isabelle Huppert dans le rôle-titre demeure la plus connue des adaptations cinématographiques de Flaubert.
Le film fut notamment tourné à Lyons-la-Forêt (Eure), village déjà choisi par Jean Renoir pour ses similitudes avec le Yonville fictionnel de l’œuvre originale. Chabrol a aussi investi plusieurs châteaux : le château de Breteuil situé à Choisel dans la vallée de Chevreuse, le château de Lyons-la-Forêt et le célèbre château de Versailles. Madame Bovary, l’un des plus grands succès de Claude Chabrol, parcourut les frontières grâce à sa nomination aux Oscars dans la catégorie « meilleurs costumes ».
Gemma Bovery d’Anne Fontaine (2014)
En 1999, l’écrivain Posy Simmonds réinvente le roman de Flaubert dans sa bande dessinée Gemma Bovery. En 2014, Anne Fontaine s’empare de cette histoire novatrice dans son film éponyme. A l’instar de Madame Bovary, Gemma Bovery porte l’histoire. Néanmoins, cette revisite du classique apporte un nouveau personnage, Martin (Fabrice Luchini), narrateur de l’histoire et personnage gangréné par ses fantasmes littéraires et fictionnels. Il a le pouvoir de faire vivre le roman de Flaubert dans le réel en calquant la vie de la jeune Emma Bovary à celle de Gemma Bovery. Fabrice Luchini ayant Flaubert dans le sang, la réalisatrice ne pouvait imaginer aucun autre acteur pour jouer Martin, le fervent admirateur de l’auteur. Il joue au côté de l’anglaise Gemma Arterton qui a passé 3 mois en France pour s’imprégner de la culture française et de la langue avant de pouvoir jouer la réplique d’Emma Bovary à l’ère contemporaine.
Le film, majoritairement tourné en Normandie, est l’occasion de découvrir les villages typiques normands, ses demeures, ses forêts et sa nourriture grâce à la boulangerie gourmande de Martin qu’on ne cesse de voir. La région de Flaubert est mise à l’honneur avec ses habitants et ses coutumes d’aujourd’hui. Cette revisite avec ses acteurs forts parvient à prendre la première place du box-office français avec 231 154 entrées en première semaine d'exploitation.
Emma Bovary de Didier Bivel (2021)
Le parti pris de cette nouvelle adaptation diffusée sur France 2 ce lundi 13 décembre 2021, et disponible en replay est de faire s’entremêler les scènes de procès pour outrage à la morale publique, conduit par le procureur Ernest Pinard (Laurent Stocker), visant le roman de Gustave Flaubert (Alexandre Blazy) et le récit de son héroïne « tragique », tiraillée entre l’ennui de son mariage avec Charles (Thierry Godard) et ses rêves d’amour éperdu qui la conduiront, d’abord à l’adultère, puis à la mort.
Le but étant de mettre en lumière que ce n’était pas tant Gustave Flaubert qu’on visait par ce procès, mais bien, Emma Bovary, personnage jugé immoral aux yeux de l’époque, interprétée ici par Camille Metayer, dans son premier rôle à l’écran. Le titre du film n’est d’ailleurs pas anodin. Avant la diffusion, l’actrice du personnage éponyme en déclarait ouvertement l’intention : « il faut rendre son prénom à Madame Bovary » et, ainsi, une forme de dignité à une femme bien plus victime de son temps que la réception littéraire de l’époque n’était en mesure de l’admettre.
Le téléfilm s’inscrit donc en écho avec les thématiques de notre époque, sans pour autant dénaturer le classique de Gustave Flaubert et en restant soucieux du respect du contexte historique. Un regard d’aujourd’hui sur une œuvre du passé qui ne peut qu’encourager à la relire avec un œil neuf.