Premier support utilisé pour les films cinématographiques, depuis les premières bobines des frères Lumière, la nitrocellulose présente deux défauts majeurs. Hautement inflammable, elle est en outre chimiquement instable et se décompose, lentement et de façon inéluctable, dès sa fabrication. Ce support, dont les propriétés mécaniques étaient en revanche très bonnes, a servi jusqu’à son interdiction définitive en 1953. C’est donc tout un pan de la mémoire cinématographique qui est gravé sur un matériau voué à l’autodestruction. Appelés « films nitrate » ou « films flamme », ces films constituent une espèce condamnée à disparaître, au terme d’une vie d’une durée moyenne de soixante-dix ans.
La conservation et la restauration de ces œuvres représentent donc un enjeu essentiel. Un premier plan de sauvegarde est annoncé en 1982 mais s’avère insuffisant au regard du nombre de bobines à traiter dans des délais relativement courts. Un nouvel effort doit être engagé. Le 12 septembre 1990, le ministre de la Culture et de la Communication, Jack Lang, et le directeur général du CNC, Dominique Wallon, annoncent la mise en œuvre d’un plan pluriannuel de sauvegarde et de restauration des films anciens, à Bois-d’Arcy, en présence du réalisateur américain Martin Scorsese. La priorité : inventorier et transférer les films nitrate sur un support stable, le polyester.
Leur nombre donne le vertige. En 1990, près d’un million de bobines sont stockées par le Service des archives du film (SAF), dont 250.000 sur support nitrate, soit près de 25.000 films. Ces bobines nitrate sont conservées dans plus de 200 « cellules » construites spécialement à cet effet et qui obéissent à des règles de sécurité strictes : murs coupe-feu, surveillance des températures permanente…
Pendant les 15 années que dure le plan, le SAF doit ainsi assurer la restauration de 15 millions de mètres de films nitrate, soit un million par an, tandis que la Cinémathèque française doit quant à elle assurer la restauration de 5 millions de mètres. Le plan prévoit une augmentation des crédits de ces deux services, et la création de nouveaux emplois pour mener à son terme cette tâche titanesque.
13.000 films sauvés
Si la sauvegarde des films consiste en un simple tirage sur un nouveau support de sécurité comme le polyester, la restauration, en revanche, engendre un processus complexe d’investigation et de travaux qui font appel à des expertises techniques multiples. Le SAF figure alors parmi les rares institutions publiques au monde à avoir son propre laboratoire de traitement du film sur support nitrate, localisé lui aussi à Bois-d’Arcy.
La programmation des films à restaurer est établie par les différents départements du service, chargés de réunir des informations techniques, documentaires et juridiques afin de justifier leur prise en charge en fonction de leur état, de l’unicité de l’œuvre, de son contenu et des accords juridiques conclus avec les ayants droit. La liste des films ainsi établie est présentée pour approbation devant la Commission des Archives, qui regroupe les principales institutions patrimoniales françaises.
Le plan, financé pendant 15 ans, a finalement permis de sauvegarder et de restaurer 13.000 films longs et courts métrages de fiction ou documentaires, dont L’Homme du large de Marcel L’Herbier, La Grande Illusion et la Marseillaise de Jean Renoir ou Le Petit Soldat, merveilleux dessin animé en couleurs réalisé par Paul Grimault en 1938. Mission accomplie.
En 2012, le CNC a lancé un plan de numérisation et de restauration du patrimoine cinématographique qui a revisité certain de ces films avec des technologies contemporaines. Mais c’est une autre histoire…