4 juillet 2021 : Spike Lee foule du pied la Croisette deux jours avant le début de la 74ème édition du Festival de Cannes. Affublé de sa traditionnelle casquette et d’un survêtement à l’effigie du Paris Saint-Germain. Voilà plus de trois décennies que le réalisateur afro-américain arpente le festival de Cannes au gré d’une relation parfois tumultueuse. Cette année, il est le Président du Jury. Le “Boss”, comme le clame un standard du soulman James Brown que Spike Lee affectionne tant.
1986 - Sa première sélection à Cannes
Issu du quartier Bedford-Stuyvesant, à Brooklyn, Spike Lee s’est frayé un chemin dans le cinéma à coup de coudes. Sur un vélo, à toute vitesse, casquette vissée sur la tête et grosse lunettes sur le nez. Son cinéma guérilla est proche de celui de John Cassavetes, mais dans une forme résolument plus “hip-hop”. Sélectionné pour la première fois au Festival de Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs, le cinéaste remporte le prix de la jeunesse grâce à Nola Darling n’en fait qu’à sa tête, un triangle amoureux qui sera quelques années plus tard remixé en France par Mathieu Kassovitz avec Métisse. Lee devient instantanément la nouvelle sensation du cinéma d’auteur américain. A la fois cool et intello, héritier d’un certain cinéma du réel dépouillé d’artifices, et porte-parole des quartiers défavorisés de New York. Un jeune cinéaste rageur, engagé, et à la réputation difficile (surtout lors des entretiens promotionnels) vient de naître sur la Croisette.
1989 - La Palme d’Or “volée” par Steven Soderbergh
Trois ans après Nola Darling, Spike Lee revient avec un brûlot social sur les violences policières qui deviendra très vite une œuvre culte et le porte-étendard définitif de la génération hip-hop, Do the Right Thing. Une histoire de bavure dans un quartier de Brooklyn sur fond d’émeutes raciales et de météo caniculaire. Inspiré d’une histoire vraie, le film concourt dans la Sélection officielle du Festival de Cannes. Malheureusement pour le cinéaste, la Palme d’Or sera attribuée par le Président du Jury d’alors, Wim Wenders, à Steven Soderbergh pour Sexe, mensonges et vidéo. A l’annonce du résultat, Spike Lee est en colère. Il a l’impression de s’être fait “voler” la récompense. Trente ans plus tard, dans les colonnes de The Hollywood Reporter, Spike Lee affirme : “(...) Tout cela a été commandité par Wim Wendersn qui a affirmé que Mookie [le personnage de Do the Right Thing] n’était pas assez héroïque." De son côté, Wenders expliquera aussi son point de vue dans la presse : “Ce n’est pas un mauvais film, [Spike Lee] a juste eu la malchance de faire partie d’une année exceptionnelle. (...) Je regrette juste que Spike l’ait pris aussi personnellement." La rumeur raconte que le réalisateur aurait fait graver le patronyme de Wim Wenders sur sa batte de baseball fétiche…
1991 – Jungle Fever : nouveau rendez-vous manqué
Nouvelle incursion dans le Festival de Cannes et la Sélection officielle pour Spike Lee qui vient présenter cette année-là Jungle Fever, une romance interraciale entre un afro-américain et une américaine d’origine italienne. Problème : Roman Polanski, alors Président du Jury, ne jure que par Barton Fink des frères Coen. Une fable parfois onirique mais souvent grinçante sur la difficulté d’être un auteur et la peur de la page blanche portée par un John Turturro impérial (l’un des acteurs fétiches de… Spike Lee). La compétition comprend également les nouveaux films de Lars Von Trier, Maurice Pialat et Jacques Rivette… Spike Lee croit fermement en ses chances de l’emporter. Mais Polanski n’aime pas du tout le film. “Je peux vous dire que les membres du jury et moi-même avons souvent été accablés d'ennui à la vision de films réalisés pour impressionner la critique, visant à donner des leçons de mise en scène, et dont le dénominateur commun est une incommensurable prétention.”, raconte ce dernier sur la Croisette. Néanmoins, Jungle Fever récolte un prix de consolation, celui du meilleur second rôle masculin décerné à Samuel L. Jackson pour sa performance dans le film - prix créé tout spécialement pour l’occasion. Ce n’est pas assez pour Spike Lee qui, malgré l’amertume, vient récupérer la récompense à la place de son acteur absent de la cérémonie.
2019 - BlacKkKlansman : la réconciliation avec le Festival
Après une (petite) traversée du désert, quelques échecs commerciaux, Spike Lee revient en état de grâce sur la Croisette. Au programme : BlacKkKlansman - J’ai infiltré le Ku Klux Klan. Inspiré d’une histoire vraie, le film mélange la satire féroce et le film policier en racontant comment deux policiers, un Juif et un Noir, ont infiltré, dans les années 70, le KKK, cette société secrète raciste et suprémaciste de l’Amérique Blanche. Ici, le cinéaste renoue avec la fougue de ses débuts, l’humour cynique aussi, sans pour autant délaisser le propos politique qui reste l’ADN de son cinéma. En témoignent les dernières minutes du film puis le générique de fin où Spike Lee intègre dans sa politique-fiction les images des émeutes raciales de Charlottesville liées à des manifestations violentes de l’extrême droite américaine en 2017. Le “buddy movie” devient vite le reflet d’une réalité glaçante : depuis Do the Right Thing, l’Amérique n’a pas changé et l’ère Trump l’a probablement précipitée dans le chaos. Spike Lee repart avec le Grand Prix du Jury décerné cette année-là par la Présidente Cate Blanchett.
2021 - Spike Président
2020 a été une année sacrifiée. La pandémie mondiale a mis un coup d’arrêt à de nombreux projets industriels. Le Festival de Cannes fut ainsi annulé. Ou plutôt reporté. Spike Lee avait été nommé Président du Jury cannois, mais il accepta immédiatement de (re)prendre cette fonction en 2021 ce qui atteste de son histoire particulière avec le Festival. Du 6 au 17 juillet, le cinéaste afro-américain sera donc à la tête d’un jury composé entre autres de Tahar Rahim, Song Kang-ho, Maggie Gyllenhaal ou encore Mylène Farmer. De quoi se consoler d’un autre rendez-vous manqué à Cannes pour Spike Lee, la présentation de son dernier film en date, Da 5 Bloods, qu’il devait montrer hors-compétition en 2020. La pandémie en avait décidé autrement, mais aujourd’hui Spike Lee tient sa revanche.