L’Affaire Clémenceau (acteur, 1917)
En 1917, Vittorio De Sica n’est encore qu’un adolescent qui poursuit des études de comptabilité. Il apparaît pourtant dans un petit rôle d’un film muet, L’Affaire Clémenceau, adapté du roman éponyme d’Alexandre Dumas fils. Les traits sont juvéniles, l’œil brillant ; même si le jeune homme n’envisage pas une carrière artistique, il a pourtant déjà un pied dans le cinéma. A tout juste 15 ans, il incarne la version adolescente du héros principal : un roturier devenu sculpteur de génie qui a assassiné sa femme dans des circonstances troubles. Et si L’Affaire Clémenceau avait été un point de bascule dans la vie de De Sica ? Les thématiques du long métrage d’Alfredo De Antoni cartographient les enjeux politiques et socio-économiques qui allaient secouer la société italienne dans les années à venir, mais qui jalonneraient également la carrière de De Sica. En tant qu’acteur, comme en tant que réalisateur ou scénariste.
Les Hommes, quels mufles ! (acteur, 1932)
Une fois son diplôme en poche, De Sica fait un peu de théâtre avant de repasser sur les plateaux de cinéma. Son vrai premier rôle, il l’obtient dans Les hommes, quels mufles ! réalisé par Mario Camerini. Il s’agit d’une comédie de mœurs très libre, un marivaudage poétique et sensible « dont certaines scènes ont une saveur de cinéma direct qui annonce un regard candide sur la réalité » (Jean A. Gili). L’acteur De Sica incarne un bellâtre opportuniste et séducteur prêt à tout pour arriver à ses fins. Son personnage est un modeste chauffeur de maître qui se fait passer pour un riche patron afin de séduire une belle vendeuse… Camerini révèle la personnalité à la fois facétieuse et mélancolique de son comédien au grand public avec ce rôle d’un trentenaire désinvolte, prototype du Don Juan transalpin immortalisé plus tard par un Vittorio Gassman ou un Marcello Mastroianni.
Les Enfants nous regardent (réalisateur et co-scénariste, 1943)
De Sica saute le pas et passe derrière la caméra à l’aube des années 40. Et tout de suite il affiche sa différence. Dans son cinquième long métrage qui est aussi son premier film dramatique et le premier où il ne joue pas, l’artiste raconte la dissolution d’un couple à travers le point de vue d’un enfant, cassant les codes du cinéma italien qui jusque là évitait les thèmes sociaux ou déprimants. Ce qui frappe, c’est sa maîtrise absolue de la forme du mélodrame qui ne sombre jamais dans le pathos. Ce film apparaît aujourd’hui comme l’une des premières pierres de ce que l’on n’appelle pas encore le néo-réalisme. Ce mouvement cinématographique va redéfinir les contours du paysage cinématographique italien qui devient plus social, ancré dans le réel, et surtout engagé politiquement. Le néo-réalisme tranche de fait avec les films de la période précédente qu’on a parfois appelé les films « Téléphones Blancs » : des comédies de boulevard et des romances qui devaient éviter la censure. Co-scénarisé avec son collaborateur le plus proche, Cesare Zavattini, Les enfants nous regardent est un film sombre, clos et complètement pessimiste. Il représente en cela un tournant dans la carrière de De Sica autant qu’un marqueur du cinéma italien qui, à travers ses personnages simples, victimes ou bourreaux, devient alors le reflet d’une société en pleine mutation. Une nouvelle page s’écrit.
Le Voleur de bicyclette (réalisateur et co-scénariste, 1948)
Autre grande collaboration entre De Sica et Zavattini, Le voleur de bicyclette sort deux ans après Sciuscià qui leur a rapporté un Oscar du meilleur film étranger. Dans ce drame réaliste, le réalisateur déroule l’itinéraire d’un père de famille ouvrier qui part avec son jeune fils à la recherche de son vélo, outil indispensable à son labeur, qu’on lui a dérobé. Cette plongée dans l’Italie populaire et le milieu prolétaire filmé au plus près a marqué des générations de cinéphiles et pas seulement pour sa scène finale, crève coeur… Le voleur de bicyclette s’est très vite imposé comme l’étendard du néo-réalisme. Il y a ici toute l’essence de ce mouvement : la réflexion sur le présent, la compassion absolue pour les plus faibles. Et une nouvelle façon de faire du cinéma : on parle désormais de « caméra invisible » pour évoquer la forte imprégnation documentaire et l’écriture dépouillée de De Sica. Il affirme ici une esthétique révolutionnaire : le cinéaste ne perd jamais sa foi en l'homme et réussit à faire surgir la poésie au détour d'une scène de rue. Le film offrira un deuxième Oscar du meilleur film étranger au tandem De Sica/Zavattini.
Pain, amour et fantaisie (acteur, 1953)
Chef-d'œuvre de la comédie de mœurs à l’italienne et premier volet du triptyque Pain, amour, etc… de Luigi Comencini, Pain, amour et fantaisie permet à De Sica de renouer avec ses premières amours : la comédie. Ici, il se « contente » donc de faire l’acteur, endossant le costume d’un maréchal des logis dont le cœur bat pour deux femmes dans un petit village de l’Italie profonde. Airs de mandoline, cris stridents, comique de répétition, disputes de donne et échanges de noms d’oiseaux… Certaines critiques évoquent à juste titre un « néo-réalisme rose ». De Sica quant à lui n’est plus le jeune premier d'antan, mais un cinquantenaire moustachu aux tempes grisonnantes dont le jeu comique peut être perçu comme précurseur du style de Peter Sellers ou, dans une moindre mesure, de celui de Louis de Funès. Comme ses collègues anglais ou français, il invente un archétype italien dont la particularité est ce mélange unique de fantaisie et d’ironie amère et humaniste. Finesse dans la caricature, spontanéité, justesse : Carotenuto est sans doute l’un de ses plus grands rôles.
Le Général Della Rovere (acteur, 1959)
Drame historique en noir et blanc de Roberto Rossellini, Le Général Della Rovere revient sur la période des troubles fascistes qui ont ravagé l’Italie pendant la Seconde Guerre. Les cheveux argentés, le visage émacié, le personnage de De Sica est enfermé à tort dans une prison politique. Au sein de cet univers carcéral implacable, il joue un double-jeu : il est l’escroc Emanuele Bardone prétendant être un important général italien. Mi-collabo, mi-résistant, filou chevronné mais aussi héros malgré lui, il trouve là son rôle d’acteur le plus déchirant et le plus complexe. De Sica transpose au fond dans son jeu d’acteur ses obsessions de cinéaste néo-réaliste. Avec toujours cette recherche du réel, le refus du conformisme, et la nostalgie d’une époque révolue. Il est loin le jeune homme qui, à l’âge de 15 ans, se voyait devenir expert comptable…
