Dans le deuxième numéro de votre revue Blink Blank, vous réfléchissez à la façon dont l’animation s’est emparée des enjeux écologiques, dans un article intitulé Les dessins animés peuvent-ils sauver la Terre ? On a envie de vous retourner la question : alors, le peuvent-ils ?
Ma réponse personnelle est oui. En tout cas, ils peuvent y contribuer, à condition de prendre en compte le rôle éthique qui est le leur. Dans l’article, j’essaye de montrer que l’animation a une place très importante dans la sensibilité des humains à la nature, par le prisme de ce qu’on pourrait appeler une expérience substitutive de la nature. Nous vivons en effet dans un moment où notre rapport à la nature s’est extrêmement distendu. Nous sommes passés d’une société rurale à une société ultra-urbaine, et le numérique ne fait qu’accentuer cette déprise à la fois de la nature et de la réalité. Aujourd’hui, tous les spécialistes le disent : la crise écologique que nous connaissons est aussi une crise de sensibilité à la nature. Dans ce contexte, l’animation peut faire prendre conscience aux spectateurs de la diversité et de la richesse de la nature, et leur faire comprendre ou leur rappeler que l’homme en fait partie. Car si nous plaçons la question écologique à l’extérieur de nous-mêmes, nous n’arriverons pas à apporter de réponse à cette crise écologique. L’animation a ici un rôle essentiel à jouer, d’une part parce qu’elle est de plus en présente dans la consommation culturelle des jeunes générations, mais aussi parce qu’elle est un point de vue sur le réel. Elle recrée complètement le réel. Ce rôle, elle peut le jouer de façon négative. Elle l’a d’ailleurs déjà beaucoup fait, notamment à travers l’animation mainstream des grands studios américains, qui ont appauvri la représentation du réel, et ont contribué à distancier l’homme de la nature. Ou alors, elle peut le faire de façon positive. Aujourd’hui, on voit que le cinéma d’animation contemporain est en train de changer de paradigme.
Avant de parler de la production contemporaine, on peut rappeler cette idée que vous développez dans l’article, à savoir que le cinéma d’animation est depuis longtemps parcouru par des préoccupations écologiques, de La Ferme de demain de Tex Avery aux œuvres de Hayao Miyazaki ou Jean-François Laguionie.
C’est vrai que le cinéma d’animation a été pionnier dans la prise de conscience du péril écologique. Dans des modalités très différentes, il n’a jamais cessé d’alerter sur ces questions. Ce souci de l’écologie traverse toute son histoire depuis les Trente Glorieuses.
Comment expliquer cette précocité ?
Il y a un ensemble de facteurs qui convergent. D’une part, les auteurs de cinéma d’animation sont très sensibles au vivant par la nature même de leur art. Un peu comme les peintres du XIXe siècle et du début du XXe qui ont posé leurs chevalets dans la nature, ils sont extrêmement sensibles à l’émotion, à la sensibilité et à la spiritualité de la nature. L’animation, c’est une représentation du vivant. C’est, d’une certaine manière, une façon de recréer la vie. Il y a aussi une veine du cinéma d’animation qui a été, dès les années 50-60-70, très critique et sarcastique vis-à-vis de la société de consommation. Un cinéma militant s’est alors développé, notamment dans le court métrage. Il y a également une veine satirique, comme dans le cas de Tex Avery.
Dans ce numéro spécial de Blink Blank, vous mettez en avant plusieurs films contemporains portés par des préoccupations écologiques, du court métrage Empty Places de Geoffroy de Crécy au Peuple Loup de Tomm Moore et Ross Stewart… Au-delà de la variété des formes, y a-t-il selon vous de grandes lignes de force qui traversent la production contemporaine ?
S’il fallait dégager des points communs à ces films, j’en identifierais deux. Il y a d’une part des films dont la sensibilité est liée à la collapsologie, qui s’inquiètent d’un monde proche de l’effondrement, comme Empty Places. Il y a d’autre part une tendance à un questionnement sur la dimension spirituelle de la nature. Comme dans Le Peuple Loup, où Tomm Moore interroge les traditions celtes.
Un dernier enjeu, et non des moindres, est de savoir comment rendre la création de films d’animation plus écoresponsable…
Sur ce sujet-là, on a organisé il y a deux ans à Open Lande, en région Pays de la Loire, un premier atelier qui réunissait différents acteurs de la profession. On s’était rendu compte que cette question de l’animation responsable était assez peu traitée. Ces débats ont suscité beaucoup d’engouement chez les jeunes professionnels. Plusieurs axes s’en sont dégagés. D’abord, la question de la façon dont les processus de production d’animation peuvent être plus responsables. C’est une question générale au cinéma. En animation, la responsabilité en termes de tournage se pose évidemment moins. C’est la question de l’utilisation des ordinateurs qui est essentielle, parce que des puissances énergétiques importantes sont nécessaires. Il y a un groupe de travail qui réfléchit à la manière d’être plus économe en termes d’énergie, et à comment recycler l’énergie produite. Un deuxième atelier s’interroge sur la façon dont l’animation peut être plus responsable en produisant de nouveaux récits, des récits qui appellent à cette prise de conscience et de responsabilité. D’emblée, les membres de la profession se sont dit que c’est aussi le rôle de l’art de participer à ces changements de mentalités.