Yassine Qnia : des chantiers aux plateaux de cinéma, un destin hors des sentiers battus

Yassine Qnia : des chantiers aux plateaux de cinéma, un destin hors des sentiers battus

06 août 2021
Cinéma
"De bas étage" de Yassine Qnia Shana Besson- Le Pacte
Retour sur le parcours du réalisateur de De bas étage, chronique du quotidien d’un petit voyou d’Aubervilliers ; un film découvert lors de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes.

Son parcours ne ressemble à aucun autre. Yassine Qnia a forcément dû y repenser, en juillet dernier, lors de la standing ovation qui a suivi la présentation de son premier long métrage, De bas étage à la Quinzaine des Réalisateurs cannoise. Comme un premier aboutissement. « C’était du stress et de la pression, évidemment. Mais d’abord et avant tout un honneur et une chance inouïs de me retrouver dans la même sélection que des cinéastes dont j’admire le travail, comme Emmanuel Carrère (Ouistreham), Jean-Gabriel Périot (Retour à Reims (fragments)) ou le tandem Alessio Rigo de Righi-Matteo Zoppis (La Légende du roi crabe). »
Son premier contact avec le cinéma remonte à 1993. Il a 5 ans et son oncle l’emmène découvrir Jurassic Park. « Dès lors, jusqu’à mes 20 ans, j’y allais environ 3 ou 4 fois par an. Le cinéma, c’était un peu pour moi comme une fête foraine : un spectacle et un passe-temps occasionnel. » Très tôt, à 19 ans, il intègre le monde du travail comme géomètre-topographe sur les chantiers. « C’est un métier que j’ai tout de suite aimé. Mais, au fil des mois, j’ai commencé à ressentir un manque. Je travaillais avec des gens plus âgés que moi et j’avais envie de passer plus de temps avec des gens de ma génération. » Pour cela, il va pousser les portes de l’atelier cinéma proposé par l’Office municipal de la jeunesse de sa ville d’Aubervilliers, dans l’idée de faire un film avec ses amis d’enfance. Il ne sait pas que cette décision va changer le cours de sa vie.

Animé par des jeunes intermittents du spectacle, cet atelier sera son école – gratuite – de cinéma. « Avant de nous mettre une caméra dans les mains, ils ont voulu qu’on sache ce qu’était le cinéma et nous ont montré des films que je n’avais évidemment jamais vus : Accatone de Pasolini, des Bresson, des Melville… C’est tout un monde qui s’ouvrait à moi grâce à ces passeurs enthousiastes et super pédagogues qui ont su trouver les mots pour transmettre leur amour du 7e art. » Cet exercice d’introduction se termine par un petit court tourné avec ses potes. Une graine est plantée, qui ne cessera de grandir. « Je ne lâche évidemment pas mon métier mais j’ai trouvé mon hobby ! » Dès lors, Yassine Qnia va courir les festivals de Paris et sa banlieue, de Côté Court à Pantin à Cinéma du réel. Il postule pour faire partie du jury Jeunes au festival du court métrage de Clermont-Ferrand et réussit à y être invité.

Toutes ces expériences ont aiguisé mon regard. Après deux années passées à regarder des films, j’ai eu envie de raconter à mon tour une histoire.

C’est ainsi que va naître en 2011, Fais croquer, l’histoire d’un ado d’Aubervilliers qui veut réaliser son premier film avec ses potes du quartier et va découvrir que l’amitié a parfois ses travers. Un court auto-produit pour 3000 euros, qui est tout sauf un exercice solitaire. D’abord parce qu’il y dirige ses propres amis, ceux avec qui il avait suivi l’atelier cinéma. Ensuite, parce qu’il est accompagné par deux des animateurs de ce fameux atelier : Hakim Zouhani (qui venait de passer à la réalisation avec Rue des cités) à la production et Marianne Tardieu (future réalisatrice, trois ans plus tard, de Qui vive) comme chef opératrice. « On a tourné ce court juste pour aller au bout d’une envie mais le résultat va me dépasser ! »

Fais croquer se retrouve en effet sélectionné par le festival Premiers Plans d’Angers dans une compétition où figurent aussi les premières œuvres de Justine Triet, Clément Cogitore ou de la future Palme d’or Julia Ducournau, avant que Canal+ ne l’achète pour le diffuser. « Ce film lance une carrière que je n’avais pas envisagée », assure Yassine Qnia que Les Films du Worso, la société de production de Sylvie Pialat, va prendre sous son aile en produisant ses courts suivants et en accompagnant sa professionnalisation, le familiarisant avec l’économie du court et le fonctionnement des institutions (CNC, chaînes de télé) qui participent à son financement. Yassine Qnia « grandit » donc mais sans s’éloigner de ses fondamentaux. Il tourne ses deux courts suivants toujours à Aubervilliers, en dirigeant ses mêmes potes. Et n’en reste pas moins géomètre-topographe. « J’en parle rarement mais ce métier m’a énormément apporté. Sur les chantiers, ma tâche était de tracer, d’implanter. De donner les directions avant que l’équipe arrive et mette en place les murs, les coffrages… De faire des choix très en amont sans avoir peur de se tromper. Tout ce qu’on vit finalement quand on se retrouve réalisateur sur un plateau, erreurs inévitables comprises. »

Yassine Qnia tente alors de produire des jeunes réalisateurs passés par le même atelier cinéma que lui car il se voit bien dans ce rôle de relais entre monde amateur et professionnel. Mais sa collaboration avec Les Films du Worso s’achève et il reste un petit moment sans tourner. C’est là que va se produire une autre rencontre décisive. Benjamin Delaroche, qui travaille aux côtés de Pascal Caucheteux chez Why Not Productions, vient voir Yassine Qnia en lui assurant que si jamais il a un long en préparation, ils seraient preneurs. « Je n’avais absolument aucun projet. Mais cette conversation a été le déclic, l’impulsion décisive. Et je me suis mis à écrire De bas étage. »

De bas étage raconte l’histoire d’un petit voyou trentenaire dont les cambriolages avec ses complices rapportent de moins en moins et qui tente de reconquérir la mère de son petit garçon qui, lassée de ses frasques, s’est éloignée de lui. La chronique d’un jeune homme dans l’impasse qui semble être le seul à voir que son petit monde est en train de disparaître. Une fois encore, Yassine Qnia s’est inspiré de choses vécues. « Je me suis servi – pour l’évacuer – de la frustration que j’ai pu ressentir à me dire que je n’arriverais jamais au bout de ce long chemin, mais aussi de mes souvenirs de la bande de perceurs de coffres de mon quartier qui fascinaient le gamin que j’étais et dont beaucoup ont mal vieilli. » Comme ses films précédents, De bas étage va se tourner à Aubervilliers mais, pour la première fois, avec des acteurs professionnels : Soufiane Guerrab (interprète des deux premiers longs métrages de Grand Corps Malade et Mehdi Idir, Patients et La Vie scolaire) et Souheila Yacoub (révélée par Climax de Gaspar Noé et Le Sel des larmes de Philippe Garrel).

J’ai écrit De bas étage en pensant comme toujours y diriger mes amis d’enfance. Mais je me suis vite rendu compte que ce scénario nécessitait un niveau d’interprétation que je ne serais pas capable de leur insuffler.

« J’avais vraiment besoin d’être accompagné par des acteurs professionnels, à commencer par Sofiane, autodidacte lui aussi et qui a grandi non loin de chez moi. Et je les ai entourés lui et Souheila – les deux seuls à qui j’ai proposé De bas étage – de comédiens amateurs ou ayant peu d’expérience. Avec cette idée de laisser énormément de liberté à ceux que je dirige, de me mettre à leur service. »

Terminé en octobre 2020, De bas étage est donc retenu dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs 2021 et l’excellent accueil qu’il y a reçu promet de beaux lendemains. « Pascal Caucheteux m’a conseillé d’enchaîner avec un autre projet pour ne pas perdre ce que j’ai appris. » Alors Yassine Qnia s’est remis à l’écriture, tout à son nouveau métier. « J’ai fait ma dernière mission en intérim de géomètre-topographe en août 2019, deux mois avant de tourner De bas étage. Depuis, j’ai eu la chance de devenir intermittent du spectacle et donc pour la première fois de vivre de mon nouveau métier. » Son objectif : repartir en tournage en 2022.

de bas etage

De Yassine Qnia.
Scénario : Yassine Qnia avec la collaboration de Rosa Attab
Directeur de la photographie : Ernesto Giolitti
Montage : Alexandre Westphal
Production : Why Not Productions, Alba Pictures
Distribution : Le Pacte.
Ventes internationales : Wild Bunch International
Avec : Soufiane Guerrab, Souheila Yacoub, Thibault Cathalifaud, M'Barek Belkouk, Jamil McCraven