En mars dernier, après l’annonce du confinement, France 2 décide de chambouler sa grille en diffusant l’après-midi des grands films populaires. Outre les inévitables comédies avec Louis de Funès, la chaîne publique programme, les 26 et 27 mars, Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis. Le succès est au rendez-vous et confirme non seulement la postérité de cette chronique de l’amitié mais aussi celle de son réalisateur, Yves Robert, peut-être le plus grand faiseur de “tubes” cinématographiques avec Gérard Oury. Sur les vingt-et-un films qu’il réalisés entre 1954 et 1994, dix-sept ont franchi la barre du million de spectateurs. Un record pour cet artisan-esthète qui s’est toujours effacé derrière ses films.
Né le 19 juin 1920 à Saumur dans une famille pauvre, Yves Robert grandit à la campagne, dans la petite ville de Pouancé (Maine-et-Loire). Une « enfance miraculeuse », dira-t-il dans ses mémoires (Un homme de joie, livre d’entretiens avec Jérôme Tonnerre) où il fait les quatre-cents coups avec sa bande de copains. Cette nostalgie de la terre et des amitiés indéfectibles marquera son œuvre. À l’adolescence, il s’installe à Paris avec sa famille -sans le père. Commencent les petits boulots : apprenti typographe, aide-pâtissier, livreur... Il découvre le monde du spectacle à travers le mouvement des Auberges de Jeunesse qui le conduit au début de la guerre en zone libre où il monte sur scène pour amuser la galerie. Le jeune homme débute vraiment au théâtre en 1942, à Lyon, où il fait la connaissance de Jean-Pierre Grenier et Olivier Hussenot qui fonderont leur compagnie après la Libération. Entre 1948 et 1952, Yves Robert écume les cabarets parisiens, notamment celui, fameux, de La Rose Rouge. Durant cette période agitée, il tombe amoureux de Rosy Varte et sympathise avec certains comédiens dont on entendra bientôt parler (Michel Serrault, Jean Poiret, Jean Carmet et Louis de Funès…).
Après des petits rôles au cinéma (notamment dans Juliette ou la clé des songes de Marcel Carné), Yves Robert décide de se tourner vers la réalisation et signe son premier court métrage en 1951, Les Bonnes manières. Trois ans plus tard, c’est le premier long : Les hommes ne pensent qu’à ça, avec un certain Louis de Funès, pas encore star. Yves Robert le retrouve en 1958 pour Ni vu... ni connu..., mémorable comédie dont on considère généralement qu’elle est le premier grand succès en solo de Louis de Funès. La carrière d’Yves Robert est lancée. Elle s’accélère en 1962 avec le succès colossal de La Guerre des Boutons (10 millions d’entrées), adaptation du roman de Louis Pergaud dont personne ne voulait et qui engendrera la création de la société de production d’Yves Robert, La Guéville, montée avec Danièle Delorme, sa nouvelle compagne.
Au milieu des années 60, Yves Robert devient incontournable. Il enchaîne les succès et contribue, notamment, à l’émergence de Pierre Richard qu’il fait jouer dans Alexandre le bienheureux (1968) et dont il produit les premiers films (Le Distrait, Les malheurs d’Alfred). En pleine Nouvelle Vague, Yves Robert est un “classique” qui fait de la résistance, entraînant dans son sillage une bande de copains : Noiret, Rochefort, Bedos, Richard devant la caméra ; Jean-Loup Dabadie (son coscénariste fétiche) et Vladimir Cosma (le compositeur de toutes ses musiques à partir d’Alexandre le Bienheureux) derrière. Connu pour ses comédies célébrant une forme d’anarchie joyeuse et de convivialité fraternelle, Yves Robert, on le sait moins, était un bourreau de travail qui ne laissait rien au hasard. Ses tournages étaient des modèles d’organisation et le réalisateur leur intraitable maître d’œuvre, ne supportant pas l’à peu près. La qualité et la précision de ses plus célèbres films (les diptyques du Grand Blond et d’Un éléphant.../Nous irons...) en attestent. Mais il faut aussi revoir ses œuvres plus discrètes, Salut l’artiste ou Courage fuyons, qui affinent son art de la comédie et son portrait de l’homme moderne.
Moins actif comme réalisateur dans les années 80 (il refait l’acteur pour ses amis Claude Sautet et Gérard Mordillat), Yves Robert rebondit dans les années 90 en signant La gloire de mon père et Le château de ma mère, adaptations de Pagnol empreintes d’une nostalgie vibrante. Il s’éteint en 2002, victime d’une hémorragie cérébrale, à l’âge de 81 ans, laissant derrière lui une filmographie qu’on n’a pas fini de réévaluer.