Montmartre-sur-Seine de Georges Lacombe (1941)
Un film choral. Une comédie romantique autour de couples évoluant dans les rues de la Butte Montmartre. Au cœur de la Seconde Guerre mondiale, Georges Lacombe signe une déclaration d’amour à ce coin du 18ème arrondissement parisien en célébrant l’aspect romanesque de ses rues, non reconstituées en studio comme souvent à cette époque mais filmées en prises de vue réelles. Pour illustrer cette histoire co-écrite avec André Cayatte (qui a œuvré les années précédentes sur les scénarios d’Entrée des artistes de Marc Allégret et de Remorques de Jean Grémillon), Lacombe réunit devant sa caméra un aréopage de jeunes premiers du cinéma français dont certains font même ici leurs débuts devant la caméra. On retrouve ainsi Henri Vidal (dont la carrière va décoller en 1947 avec Les Maudits de René Clément), Jean-Louis Barrault, Denise Grey, Paul Meurisse… Tous sont réunis autour d’une certaine Edith Piaf, « enfant de la Butte » qui y a souvent vécu dans les années 30 et joue ici une petite marchande de fleurs. La Môme était déjà apparue au cinéma cinq ans plus tôt dans La Garçonne de Jean de Limur. Mais c’est la première fois qu’un film est quasiment construit autour de celle qui y interprète 4 chansons qu’elle a co-composées : J'ai dansé avec l'amour, L'Homme des bars, Tu es partout et Un coin tout bleu.
Un Américain à Paris de Vincente Minnelli (1952)
Ni Paris, ni Montmartre ne sont à l’origine de ce film musical. Tout part d’une idée de la MGM qui veut développer un film à partir des chansons de George Gershwin. Le scénariste Alan Jay Lerner (Tous en scène, Brigadoon…) relève le défi et se lance tout d’abord dans un biopic racontant la période où, dans les années 20, le musicien était parti étudier la peinture à Paris. La MGM n’est pas franchement convaincue car elle ne voit pas comment transformer cette histoire en comédie musicale. Elle va pourtant décider d’en conserver deux éléments essentiels : Paris et l’idée d’un peintre comme héros. Alan Jey Lerner se remet donc au travail. Et imagine l’histoire d’un peintre dont s’éprend une riche héritière. Mais celui-ci va tomber amoureux d’une jeune femme, promise à un autre. Derrière la caméra, Vincente Minnelli. Le cinéaste retrouve pour l’occasion Gene Kelly, qu’il avait déjà dirigé dans Ziegfeld Follies et Le Pirate, et qui signe aussi les chorégraphies du film. Ce classique de la comédie musicale va entrer dans l’histoire pour sa scène finale. Un ballet époustouflant de près de 18 minutes au fil des rues de Paris et dont la déambulation conduit les héros au cœur de Montmartre, au Moulin de la Galette. Le duo Minnelli-Kelly ambitionnait logiquement de la tourner dans les rues même de la capitale. Mais les coûts énormes de production font reculer la MGM. Paris sera donc entièrement reconstitué en studio et Minnelli, peintre décorateur de formation, décide alors de styliser au maximum les décors en s’inspirant pour chaque scène de grands peintres de la fin du 19ème siècle. Pour figurer la terrasse du Moulin de la Galette, le cinéaste convoque ainsi Utrillo, Rouault et Toulouse-Lautrec. Le résultat, féérique, remportera 6 Oscars dont celui du meilleur film et de la meilleure direction artistique.
French Cancan de Jean Renoir (1955)
Après sa période américaine, Jean Renoir est revenu en France au début des années 50. Il vient d’entamer la nouvelle partie de sa carrière avec Le Carrosse d’or. Conscient que son exil outre-Atlantique lui a valu de nombreuses critiques, il voit son film suivant comme celui de la dernière chance. C’est à ce moment que le producteur Louis Wipf le contacte pour lui proposer de reprendre un projet que devait mettre en scène Yves Allégret. Un film sur la création du Moulin Rouge, à la fin du 19ème siècle, par un producteur de spectacles pour qui l’ouverture de ce cabaret constitue aussi l'ultime va-tout. Renoir accepte cette commande née d’une idée d’André-Paul Antoine, le scénariste du Golem de Julien Duvivier. Mais il se la réapproprie. Il recentre le récit sur son personnage central, Henri Danglard, qui va relever l’ultime défi de sa carrière avec la création de ce nouvel établissement en s’appuyant sur une danse de jadis : le cancan. Puis en lieu et place de Charles Boyer initialement prévu, il confie le rôle de Danglard à un autre revenant qui vient tout juste de retrouver, avec Touchez pas au grisbi, un succès digne de ceux de sa carrière d’avant-guerre : Jean Gabin. Son héros des Bas- fonds, de La Bête humaine et de La Grande Illusion va pour la première fois à l’écran assumer son âge. Avec French Cancan, Renoir raconte les splendeurs et les misères du Montmartre de la grande époque, à travers une peinture des couches sociales qui constituent ce quartier et de la perméabilité des frontières qui les séparent, comme dans La Règle du jeu. Avec une part belle donnée évidemment aux artistes de music-hall qui y donnent de la voix : de Cora Vaucaire (qui chante La Complainte de la Butte, créée pour l’occasion) à Edith Piaf en passant par Patachou, André Claveau et Philippe Clay. Le petit monde montmartrois a été entièrement reconstitué en studio. Avec cette double ambition pour Renoir de recréer avec son chef décorateur Max Douy de manière la plus précise possible le Montmartre de son enfance tout en donnant l’impression que chaque scène sort d’un tableau des peintres inspirés par la Butte. L’emploi saisissant du Technicolor fait de French Cancan l’un des plus beaux films français en couleurs de l’histoire.
Boulevard de Julien Duvivier (1960)
Un adolescent désoeuvré vit dans une chambre de bonne donnant sur la place Pigalle ; sa voisine artiste travaille dans les clubs de striptease du coin ; son père est cafetier dans le quartier… En adaptant le roman éponyme de Robert Sabatier publié en 1956, Julien Duvivier dresse un portrait du bas-Montmartre qu’on peut voir aujourd’hui comme une photographie de l’époque. Il vient alors de signer deux des plus grands films de sa carrière (Le Temps des assassins et Marie-Octobre) et retrouve à la co-écriture du scénario l’écrivain René Barjavel qui l’a déjà accompagné sur les deux premiers volets de Don Camillo, L’Homme à l’imperméable (dont une partie de l’action se déroulait déjà à Montmartre) et La Grande vie. Alors que les thuriféraires de la Nouvelle Vague viennent d’entamer la chasse à ce qu’on appelle désormais « le cinéma de papa », avec ce film Duvivier semble en constituer l’un des pires symboles. Certains critiques l’accusent de montrer un Pigalle qui n’existe pas ou plus. Un reproche qui rappelle celui dont sera victime, quarante ans plus tard, un autre amoureux de Montmartre, Jean-Pierre Jeunet, avec son Amélie Poulain. Surtout, Duvivier commet aux yeux de ses procureurs un crime de lèse-majesté impardonnable : engager le Jean-Pierre Léaud des 400 coups dans un film ouvertement commercial. Alors qu’on peut y voir au contraire un très beau symbole. Celui du passage de relais entre deux générations de cinéastes, à une époque où la France vient aussi de changer d’ère en passant de la IVème à la Vème République.
Les Rendez-vous de Paris d’Eric Rohmer (1995)
Dix ans après Quatre aventures de Reinette et Mirabelle, Eric Rohmer renoue avec le film à sketches autour du marivaudage amoureux. Trois sketchs comme trois nouvelles au fil des rues de notre capitale. Le deuxième, Les Bancs de Paris, offre une déambulation poétique dans le quartier de Montmartre, du cimetière Saint-Vincent à la rue de L’Abreuvoir en passant par la Place Emile-Goudeau. Et ce dans les pas d’un professeur de lettres tentant de séduire une jeune fille, lassée d’un amant qu’elle n’aime plus. Rohmer ne sublime pas Montmartre comme Minnelli ou Renoir ont pu le faire, mais il transforme ce territoire en terrain de jeu, pièce d’un puzzle que les deux tourtereaux s’amusent à reconstituer sous nos yeux. Une Carte du Tendre rien qu’à eux où chaque recoin de la ville est vécu comme un terrain inexploré entièrement neuf.