Another World (Delphine Software/Eric Chahi, 1991)
« C’est un chef-d’œuvre français pour moi : il est l’un des premiers jeux où la narration est vraiment graphique et pas seulement textuelle. L’atmosphère d'Another World est remplie de mystère et l’univers inconnu. Il est assez court, mais il offre une vraie tranche de science-fiction. L’histoire est particulièrement intéressante : un individu est projeté dans un autre univers et se retrouve enfermé dans une cage dont il va s’échapper puis tenter de fuir ce monde. C’est un mélange entre Dune de Frank Herbert et The Tree of Life de Terrence Malick. Le joueur connaît peu de choses du monde dont il doit s’échapper. Ce jeu est captivant avec cette atmosphère de science-fiction très mystérieuse que j’apprécie tant. Il a compris une chose que beaucoup de titres ou de productions n’ont toujours pas réalisé : il ne faut pas tout dire pour ne pas casser la magie. En gardant une partie de l’histoire inconnue, on fait travailler l’imagination du joueur ».
Chrono Trigger (Squaresoft/Square Enix, 1995)
« Ce jeu RPG (Role Playing Game, ou jeu de rôle en français ndlr) japonais est fantastique. Il est né de la rencontre entre Yūji Horii (créateur des jeux vidéo Dragon Quest), d’Hironobu Sakaguchi (qui a imaginé le jeu Final Fantasy) et d’Akira Toriyama (qui a créé Dragon Ball), trois génies de la pop culture japonaise. Le scénario est très bien pensé autour d’une uchronie. Il raconte une histoire de voyages temporels avec une vraie gestion du rythme. Aujourd’hui, soit les jeux sont drôles, soit ils se prennent trop au sérieux. Chrono Trigger est entre les deux : il a de vrais enjeux captivants et certains dialogues savoureux. Il existe de nombreuses fins différentes et les arcs narratifs des personnages se recoupent bien. »
Demon's Souls (Bandai Namco/From Software, 2009)
« C’est la Dark Fantasy à l’européenne vue par un Japonais… Contrairement à Dark Souls (le deuxième jeu de la série ndlr) où tout est connecté, Demon’s Souls passe par un hub, une place centrale où le joueur se retrouve après chaque mission. C’est un chef d’œuvre d’action, de mise en scène et de mystère. Sa narration est minimaliste : tout n’est pas expliqué au joueur. Ce dernier va se retrouver devant des difficultés incomparables et sera mis à l’épreuve. Il y a une vraie frustration dans son gameplay : pour découvrir l’histoire, il faut lire les descriptions des objets récupérés dans le jeu, il faut prendre son temps et faire des recoupements. Tout se fait écho dans cette série de jeux vidéo (Demon’s Souls, Dark Souls, Dark Souls II et III ndlr) : elle crée un univers où se déroule le récit avec des dynasties, des personnages… C’est le même principe que Le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien. Demon’s Souls pose les bases de son monde ; un univers qu’on comprend avec les jeux suivants. Son scénario n’est pas évident : le joueur peut passer à côté de nombreuses choses. Mais en regardant, en réfléchissant, en prenant son temps, on peut en capter toute l’essence. »
Life is Strange (DONTNOD Entertainment/Square Enix, 2015)
« Lorsqu’on enlève l’aspect ‘enquête’, il reste l’émotion et le mystère. Life is Strange est un hymne à l’amour, à l’adolescence. Il a un côté japonisant, il est proche pour moi de l’univers des Studios Ghibli : il évoque le passage d’une jeune femme à l’âge adulte avec la difficulté de faire des choix et de les assumer. Il parle du deuil, du regret et n’a pas peur de l’émotion en montrant que les choses peuvent parfois être terribles… Tout comme dans Another World, il y a un imaginaire très français nourri par des influences différentes, de la pop culture américaine et japonaise à la production européenne. C’est ce mélange qu’on retrouve ici aux côtés de l’aspect très français de privilégier l’écriture, chose dans laquelle on excelle en France ».
Furi (The Game Bakers, 2016)
« Dans ce titre français, il faut enchaîner des combats contre des ennemis. Il y a un vrai rythme, une très bonne interactivité et d’excellents combats. Mais ce qui pour moi renforce ces derniers, c’est la narration qui offre une respiration entre chaque bataille. Les interactions entre le personnage principal et ses alliés laissent échapper des bribes d’histoire : elles sont une tranche du monde. On n’a conscience de tout l’univers qu’à la fin et c’est ce qui fait la force du jeu. Il mise également sur la frustration du joueur en ne permettant pas, par exemple, de voyager partout contrairement aux mondes ouverts qui sont privilégiés aujourd’hui. Mais un jeu n’est jamais aussi fort que quand il est fermé car il fait travailler l’imagination et il ramène justement de la magie. Ici, le scénario se révèle à la fin. Il faut prêter l’oreille, regarder autour de soi, capter des bribes de conversations. En étant attentifs, on glane ainsi des informations tout au long du parcours pour découvrir l’histoire. »
Nier Automata (Square Enix/PlatinumGames, 2017)
« Il s’agit d’une fiction post-apocalyptique japonaise dense et complexe. Elle repense la place de l’humain face à l’androïde et à la machine. Ce jeu est un mélange entre Blade Runner de Ridley Scott et les mangas Ghost in the Shell de Masamune Shirow ainsi qu’Akira de Katsuhiro Ôtomo. Issu d’une longue tradition de pop culture, il a une particularité rare : il mise sur une narration avec des cycles longs. Pour connaître l’histoire, il faut finir le jeu plusieurs fois et il y a autant de fins que de lettres de l’alphabet. À chaque fois, des choses se révèlent et de nouveaux éléments sont ajoutés à la partie suivante. Nier Automata est un jeu avec une âme : il prend des risques et a des messages à faire passer. Il y a une vraie réflexion ici sur la condition des humains, des machines et des androïdes. »