Quelle est l’envergure de Kylotonn (qui a lancé son label KT Racing en 2014) aujourd’hui ? Combien de jeux sortez-vous chaque année ?
La société a connu une importante expansion ces trois dernières années. Aujourd’hui, Kylotonn c’est 150 collaborateurs environ répartis sur deux sites – une centaine à Paris et le reste dans notre structure à Lyon. Il est difficile de répondre quant au nombre de sorties à l’année car certains de nos titres sont des cycles, comme les WRC que nous développons depuis 5 ans et dont une nouvelle édition sort, en règle générale, chaque année en septembre. Mais nous avons également des titres aux cycles plus longs tels que Test Drive, annoncé il y a quelques semaines, dont 5 années de développement sépareront le projet initial de sa mise sur le marché. Il nous arrive également de travailler sur des jeux comme TT (Tourist Trophy) qui nécessite une production de 18 mois.
Mais toujours dans le milieu de la course automobile ?
Nous ne faisons effectivement plus que ça depuis 5 ans.
Par passion ou parce que ce secteur-là est porteur ?
La raison initiale est la passion. Il y a 5 ans, j’ai pris la décision d’ultra-spécialiser Kylotonn. Nous sommes un studio indépendant et le secteur du racing, au sens large, est effectivement porteur. Il y a un vrai public pour de tels jeux. Et nous avions fait, avec des collègues et notre directrice de production, le constat que le seul moyen de vraiment sortir son épingle du jeu, lorsqu’on est un studio indépendant de taille moyenne, est de se spécialiser et d’évoluer par itération. Nous faisions jusqu’à présent des jeux de sport ou d’aventure et nous travaillions pour davantage de plateformes. Mais il est impossible d’être bon partout et tout le temps, surtout lorsqu’on est une structure à taille humaine.
Un besoin de sortir du lot qui est encore plus indispensable à l’heure où les sorties de jeux sont de plus en plus nombreuses ?
Exactement. Les jeux de courses, auto ou moto, ont également un public extrêmement exigeant. En jouant à nos titres, il cherche à avoir les sensations les plus justes possible, à conduire des véhicules reproduits à l’identique… Ce qui demande beaucoup d’efforts de recherche et de technologie sur les véhicules. Lorsqu’on se lance dans ce type d’aventure, il y a donc assez peu de place pour faire des jeux de sport à côté.
Comment reproduisez-vous les véhicules ?
En se spécialisant dans un genre donné et en étant le développeur de la série des WRC, les équipes et le promoteur de la compétition (WRC Promoter) deviennent des partenaires. Ils connaissent notre objectif de retranscrire leur compétition de la manière la plus réaliste possible. Nous avons donc des accords avec certaines équipes pour obtenir avant le grand public, voire avant tout le monde, les informations sur les prochaines voitures, la répartition des pilotes dans les écuries ou les pays d’accueil des différentes manches de la compétition. Certaines équipes ont également davantage d’affinités que d’autres avec l’univers du jeu vidéo. Elles vont donc nous donner de la télémétrie ou certaines informations très précises qui nous permettent de gagner du temps.
Quels sont vos liens avec les pilotes professionnels ?
Plusieurs d’entre eux nous aident en fonction des jeux sur lesquels nous travaillons. Les pilotes de rallye sont souvent assez jeunes et connaissent bien ce média qu’est le jeu vidéo. Pour être les plus réalistes possible dans la retranscription des compétitions, nos équipes se déplacent aussi beaucoup sur les différentes manches du Championnat des rallyes. Ces déplacements, au-delà de la simple prise de vue, permettent de se rendre compte des réactions des véhicules de course sur place ou d’échanger, parfois, avec un ingénieur. Cette démarche documentaire est une part très importante de la production.
Comment avez-vous récupéré, il y a 5 ans, la licence WRC ?
La série avait connu une baisse des ventes lors de la sortie du précédent WRC. L’ayant-droit a donc lancé en 2014 un appel d’offres que nous avons remporté grâce à un prototype et beaucoup de discussions. La force d’une licence telle que WRC est évidente pour les passionnés. C’est la licence officielle du rallye dans le monde. C’est la garantie, quand on achète le jeu, de pouvoir piloter les vrais véhicules, ceux présents la même année dans le championnat.
Que Kylotonn ait son propre moteur de jeu (KT ENGINE) a-t-il joué un rôle dans le choix de l’ayant-droit ?
Je pense que ça a beaucoup joué. Nous développons ce moteur depuis près de 14 ans et une équipe travaille dessus en permanence, tous les jours. Il est en perpétuelle évolution. La signature du premier WRC il y a 5 ans (WRC 5) a vraiment été un tournant pour nous. Elle a marqué le début de la spécialisation de cette technologie pour les jeux de sports mécaniques.
Pourquoi avoir créé votre propre moteur de jeu alors qu’il en existait déjà sur le marché ?
La première raison est animale, ou viscérale. Je viens d’une époque où la quasi-totalité des studios travaillaient avec des middlewares - des moteurs existants dont on paye les droits d’utilisation -, et plus particulièrement avec celui développé par Criterion. 90% des studios utilisaient ce moteur de jeu. Mais du jour au lendemain, cette technologie a été rachetée par Electronic Arts pour développer ses propres jeux. Plus personne n’avait donc le droit de l’utiliser. Passer à une autre technologie après des années à l’utiliser est complexe. Les moteurs qui existent aujourd’hui, tels qu’Unreal Engine et Unity, n’étaient pas encore sur le marché. Il y a donc eu un séisme au sein des studios indépendants. Nous étions en train de développer notre technologie, nous avons donc moins subi cette crise. Mais de nombreux studios n’ont pas réussi à trouver une autre solution.
Comment avez-vous développé KT ENGINE ?
Notre technologie a été massivement soutenue par les pouvoirs publics en 2008. Leur soutien financier concernait une collaboration d’envergure avec d’autres studios visant à trouver une solution technique ensemble. Entre la crise de 2008 ou les mauvais choix de plateformes, Kylotonn est le seul survivant des 5 studios partenaires pour développer cette technologie. A l’époque, nous avions une dizaine d’ingénieurs travaillant en interne sur ce moteur, ce qui n’était pas assez pour avancer rapidement. Le FUI (Fonds unique interministériel) et le soutien des pouvoirs publics ont donné une vraie impulsion. Nous avons ainsi connu une période de développement de deux ans avec une cinquantaine d’ingénieurs, ce qui nous a énormément aidés. La technologie créée par ce projet en commun devait être partagée entre les 5 studios qui devaient garder une entité ayant vocation à la commercialiser pour le reste de l’industrie. Nous avons finalement récupéré la propriété intellectuelle de cette innovation. Mais nous n’étions pas en capacité de créer une société pour la commercialiser. Aujourd’hui, notre moteur n’est utilisé que par des « studios-frères », comprenez ceux du même groupe que nous. Et nous n’avons pas la volonté d’en faire un middleware.
Qu’a changé pour vous ce moteur ?
Cet outil est axé sur les sports mécaniques. Pour une course de voitures, on ne peut pas se permettre d’avoir un jeu qui rame. Avoir développé ce moteur spécialement pour ce genre permet d’éviter cela. Il nous a aussi donné l’opportunité de collaborer avec l’industrie automobile. Nous avons fait de l’IA (intelligence artificielle) pour des véhicules autonomes pour Thalès, une simulation de conduite de bus pour la RATP ou encore du design pour Renault. Nous essayons d’avoir la même qualité qu’Unreal Engine, qui est très important et multiplateformes. Mais l’ultra-spécificité de notre moteur le rend plus fin et performant. C’est un outil très précis.
WRC 9, qui sort ce jeudi, s’accompagne d’une sorte de concours visant à trouver des futurs pilotes...
La FIA (Fédération internationale de l'automobile) - en charge entre autres du recrutement des futurs pilotes professionnels- s’est rendu compte que notre jeu WRC était très réaliste et qu’il était utilisé par beaucoup de pilotes pour s’entraîner chez eux avant les spéciales de rallyes. Après un appel d’offres, ils nous ont proposé d’utiliser la base de WRC pour faire un programme de formation et d’entraînement des jeunes et futurs pilotes. Un simulateur, donc. C’est une sorte de compétition ouverte à tous les jeunes qui le souhaitent. Les meilleurs vont gagner un vrai volant et une formation par la fédération française ou internationale.