Vous êtes l’une des conceptrices de la Bourse du Jeu Vidéo. Comment définir cette initiative ?
C’est un projet qui permet aux jeunes qui n’en auraient pas les moyens d’accéder aux métiers du jeu vidéo. On espère amener plus de diversité sociale et économique grâce des financements privés, essentiellement venus des studios de développement, des éditeurs, quelques institutions comme le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo ndlr) et des associations à l’instar de Women in Games. L’objectif est de financer le parcours scolaire des étudiants mais aussi de les accompagner sur les problématiques du logement, des transports et même du matériel. En plus de l’aide financière, chaque étudiant se voit attribué un mentor. C’est un professionnel de l’industrie qui travaille généralement dans un domaine qui intéresse l’étudiant et qui va le conseiller de manière technique, l’aider à trouver un stage… S’ils le souhaitent, les étudiants ont aussi accès à des séances gratuites chez un psychologue pour leur fournir un suivi le plus complet possible.
Vous aviez accompagné six étudiants l’an dernier, pour la première édition de la Bourse. Combien recevez-vous de candidatures et comment se déroule le processus de sélection ?
Cette année, nous avons reçu environ 250 candidatures. En ce qui concerne la sélection des dossiers, le premier critère est économique. On va demander la fiche d’imposition des parents et privilégier les jeunes qui sont dans une situation financière difficile. On leur demande ensuite de nous écrire une lettre qui nous parle de leurs motivations et de leur situation familiale, tout en regardant leurs résultats scolaires pour s’assurer que les écoles accepteront de les accueillir. Lorsqu’il nous reste une vingtaine d’étudiants, on leur fait passer un entretien et on se réunit pour la dernière sélection. Les étudiants aidés l’an dernier seront d’ailleurs réaccompagnés cette année.
Quel peut être l’effet d’une diversification sociale des profils étudiants sur l’industrie du jeu vidéo ?
Je suis persuadée que cela engendrera des nouvelles formes de création et de jeux ainsi que de nouvelles histoires. Au-delà du côté créatif, cela peut aussi amener des nouvelles méthodes de fonctionnement dans les studios. On a observé récemment plusieurs scandales dans le monde du jeu vidéo, qui sont en partie liés à une normalisation des comportements, elle-même connectée à la normalisation des employés du secteur. Avoir plus de gens variés, avec des parcours différents, permettra de faire bouger les lignes à ce niveau-là.
Ce manque de diversité du secteur dont vous parlez se reflète-t-il jusque dans les jeux vidéo eux-mêmes ?
Je pense que la plupart des studios essaient d’être plus attentifs aux changements de notre époque en ayant, par exemple, plus d’options de customisation ou des personnages issus de la diversité. Malgré tout, je pense également que ce qui est arrivé dans le cinéma, avec des films comme La Haine qui sont produits et réalisés par des artistes qui sortaient du sérail, n’est pas encore arrivé pour le jeu vidéo. J’espère qu’en amenant des gens avec des parcours différents - et je ne pense pas exclusivement à des jeunes qui viennent de banlieue, mais aussi d’outre-mer ou de la Creuse -, on arrivera à sortir du formatage et des profils un peu policés.
Le manque de diversité semble d’ailleurs plus évident dans les grosses productions que dans les jeux indépendants.
La plupart des choses qui se créent, en termes de mécaniques de jeu ou de narration, viennent de la scène indépendante. C’est là qu’il y a la plus grande disruption et la créativité la plus importante.
Vous avez organisé le BJV Game Jam du 14 au 16 mai, un évènement de création de prototypes de jeux. Un projet collaboratif…
Le Game Jam est un atelier de jeux vidéo qui dure 48h, qu’on a essayé de rendre le plus bienveillant possible. Il y a une tradition des Game Jam où les gens ne dorment pas pour produire un maximum de travail – ça, on l’a spécifiquement interdit par exemple. Au total, six jeux ont été créés et sont disponibles gratuitement sur itch.io (par exemple Glow Shift, un platformer 2D coopératif créé par Chakib Benssoum ndlr). Chaque étudiant réunissait autour de lui une équipe encadrée par un mentor. Leur but était de produire un projet sur le thème de l’anti-compétition, afin de mettre en avant la solidarité et la coopération. Cela avait été couplé à un petit évènement de levée de fonds, au cours duquel nous avons réuni 32 000 euros pour l’accompagnement des étudiants.
Quels sont vos projets pour le développement de cette Bourse ?
On aimerait bien faire des présentations dans les collèges et les lycées pour présenter les métiers du jeu vidéo et surtout répondre aux questions des jeunes. A mon époque, on ne savait même pas ce qu’était un développeur, et on pensait presque que les jeux arrivaient tous seuls dans les rayons.
Envisagez-vous que le jeu vidéo devienne un jour enseigné à l’école ?
Je n’y crois pas trop, non. Dans l’absolu, certaines écoles l’utiliseront car c’est un excellent moyen éducatif. Le jeu vidéo permet à travers la programmation de transmettre des bases de logique et de mathématiques. Mais il y aussi tout l’aspect créatif qui permet de travailler le dessin, l’expression, le fait de raconter une histoire. Pour peu que les professeurs donnent un thème qui rejoignent ce que les élèves apprennent cette année-là en histoire ou en sciences, ils arrivent à toucher à énormément de disciplines différentes avec un seul projet. Cela reflète d’ailleurs parfaitement la diversité des rôles dans une équipe de développement.