Chère Irène Basilis,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
C’est un moment essentiel pour moi que cette présentation des résultats de l’observatoire de l’égalité femmes-hommes.
Avant de laisser la parole à Cécile Lacoue pour le bilan détaillé, je voudrais revenir sur les actions que nous menons ici, au CNC, pour soutenir, encourager et valoriser tous les talents féminins dans nos secteurs, et sur la philosophie de ces actions.
Parce que c’est un travail de fond que nous menons depuis des années. Une politique ambitieuse, qui s’attaque aux structures de l’inégalité et dont les résultats montrent l’efficacité. L’ensemble des dispositifs mis en place n’a pas d’équivalent dans le monde.
Et ce travail est trop méconnu, alors que les équipes du CNC sont très mobilisées sur ce sujet et même pionnières : l’observatoire qui nous rassemble ce matin doit aussi contribuer à y remédier.
- La première action, justement, c’est cet observatoire
Il nous a permis, quand il a été installé en 2014, de poser un premier diagnostic objectif sur les inégalités entre les femmes et les hommes dans les métiers du cinéma.
Il nous permet aujourd’hui de mesurer le chemin parcouru et à parcourir : à la fois de mettre en évidence la tendance générale à la féminisation et d’identifier les points sur lesquels il faut encore progresser.
En 2024, pour la première fois – je sais que c’était très attendu – nous disposerons également d’un état des lieux sur les postes clés dans l’audiovisuel. C’est le résultat d’une obligation mise en place à compter de 2023 pour accéder aux aides du CNC en matière de production audiovisuelle : l’accès est conditionné à la fourniture de ces données. Cette photographie va donc nous permettre de mieux comprendre les enjeux et de réfléchir à des actions dans ce secteur également.
Car le but de cet observatoire n’est pas seulement d’objectiver les constats, mais aussi d’identifier précisément tous les leviers d’action. Ils sont nombreux, puisque le CNC intervient à toutes les étapes, de la formation de l’auteur à la diffusion et à la conservation de l’œuvre. Et nous agissons en faveur de la parité à chacun de ces niveaux.
- Le premier niveau – et celui qui inscrit notre action dans le plus long terme – est bien sûr celui du jeune public : il s’agit de le sensibiliser à la fois comme vivier de futurs cinéphiles et comme vivier de futurs professionnels.
Car on ne se réveille pas un jour en se disant : je veux être réalisatrice, ou scénariste, ou monteuse. Surtout si on n’a pas l’habitude d’aller au cinéma. Une vocation, ça s’éveille, et la première façon de l’éveiller, c’est de montrer que ces métiers existent, et qu’ils sont possibles pour tous.
Comme vous le savez, le CNC a mis en place depuis longtemps un dispositif complet d’éducation à l’image, de la maternelle au lycée, qui s’appelle « Ma classe au cinéma ». Le but est d’offrir aux enseignants un cadre pour emmener leurs élèves découvrir des films en salles, mais aussi pour leur expliquer comment on les fabrique.
Ce dispositif qui touche 2 millions d’élèves par an de tous les âges, de la petite enfance jusqu’à l’adolescence, nous permet d’intervenir de plusieurs façons en faveur de la parité.
D’abord en veillant à faire entrer davantage d’œuvres de réalisatrices dans les catalogues de films proposés aux enseignants. Le CNC s’est engagé à intégrer chaque année au moins 5 films réalisés ou co-réalisés par des femmes et cet objectif a été largement dépassé pour cette rentrée : 15 films, soit 54% des nouvelles œuvres choisies.
Les élèves qui bénéficient de ce dispositif pourront donc découvrir, par exemple, Proxima d’Alice Winocour, Lady Bird de Greta Gerwig, Le dernier été de la Boyita de Julia Solomonoff ou encore Delphine et Carole Insoumuses de Callisto Mc Nulty.
Mais agir pour la parité, c’est aussi interroger le regard que les œuvres de notre patrimoine portent sur les femmes. Il est évident que les images et les récits qu’elles illustrent sont un puissant véhicule pour nos représentations, nos valeurs et nos modes de vie. Quand on a compris ça, on a déjà fait une partie du chemin. Donc, pour chaque film du catalogue de « Ma Classe au cinéma », le CNC fournit un dossier pédagogique pour les enseignants et une fiche pour les élèves.
Aujourd’hui, 80% de cette documentation aborde la question de la représentation des femmes à l’écran et des stéréotypes.
- Ainsi, pour le film Le Diable n’existe pas, de Mohammad Rasoulof, par exemple, le dossier pédagogique propose une étude de quatre personnages féminins et un focus sur le port obligatoire du voile à l’écran dans les films iraniens.
- Pour Le Péril jeune, de Cédric Klapisch, les élèves sont invités à réfléchir sur l’humour machiste.
- Enfin, pour Winter’s Bone, de Debra Granik, le dossier explique le choix de la réalisatrice de nous montrer un personnage féminin héroïque, une adolescente vivant dans la forêt des Monts Ozarks, pilier de sa famille, qui doit la sauver de l'expulsion.
Je précise que les comités de rédaction de ces ressources pédagogiques sont paritaires.
Au-delà de ces dossiers par films, le CNC produit également des vidéos sur le cinéma, son histoire et ses métiers, où il laisse toute leur place aux femmes. Par exemple, une vidéo sur l’évolution de la représentation de la femme à l’écran et l’émergence du regard féminin au cinéma a été publiée en 2023 : je vous invite à la visionner sur le site cnc.fr et à la partager largement ! De nombreuses vidéos ont également été produites sur les femmes réalisatrices et sur les métiers du cinéma au féminin, de cascadeuse à productrice en passant par monteuse son.
Cette problématique de la représentation des femmes – aussi bien dans le contenu des récits que dans la chaîne de fabrication – est donc une dimension à part entière de « Ma Classe au cinéma », comme de tous nos dispositifs d’éducation à l’image.
Notre programme Les Enfants des Lumières en est un autre exemple. Il est destiné à des élèves d’Ile-de-France, de l’école au lycée, dans des établissements de l’éducation prioritaire. Pendant deux ans, nous leur proposons des ateliers d’écriture de scénario, de tournage et de montage qui sont encadrés par des professionnels de cinéma.
Pour montrer que les nombreux métiers du cinéma et de l’audiovisuel ne sont pas un pré carré masculin, nous sommes très attentifs au recrutement de ces professionnels encadrants : en 2024, la parité est dépassée pour les intervenants sur les postes techniques mais aussi pour la réalisation, avec 7 réalisatrices et 3 réalisateurs participants.
Le but est d’éveiller les vocations pour toutes et tous, dès le plus jeune âge. Et il semble que ces vocations s’éveillent bel et bien, nous le verrons à travers les chiffres.
- Les effectifs des formations en cinéma, audiovisuel et jeu vidéo se sont en effet largement féminisés.
On peut notamment observer un fort rattrapage dans les écoles d’animation, comme les Gobelins et Rubika, qui accueillent aujourd’hui une majorité de jeunes femmes, ce qui n’était pas le cas il y a 10 ans.
De façon plus générale, tous les organismes de formation soutenus par le CNC ou dans le cadre de « La Grande Fabrique de l’image – France 2030 » mènent des politiques en faveur de la parité.
- Par des actions de communication en amont de leur recrutement, dirigées vers les lycéennes : je pense par exemple à plusieurs écoles du numérique comme Isart Digital, Idem Formation, mais à Slope pour les métiers du son.
- Au stade du recrutement des étudiantes, comme par exemple à La fémis, à Kourtrajmé Karaïbes, ou au SérieMania Institute.
- Ou encore par des accompagnements spécifiques pour celles qui veulent s’orienter vers des métiers techniques ou de cheffes de postes, comme à D.E.F.I Production.Sans oublier les nombreux partenariats que ces organismes de formation ont établis avec des associations dont l’objet social est justement de lutter pour la féminisation des métiers : je pense à Simplon avec Women in Games et Infogameuses, ou encore à l’Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et Kourtrajmé Montfermeil avec le collectif 50/50.
Je ne suis pas exhaustif parce que les initiatives sont trop nombreuses, mais vous pouvez déjà voir que tout le secteur de la formation est très largement sensibilisé et mobilisé pour réaliser la parité.
- Le soutien du CNC à la féminisation de la filière se décline aussi au stade suivant, celui de la création et de la production des œuvres, dans le respect de la liberté de création.
D’abord, nous veillons à la parité des regards portés sur les œuvres qui sollicitent l’aide du CNC. C’est pourquoi depuis 2017, toutes les commissions du CNC, composées de profils professionnels très divers, sont paritaires. Et pour certaines d’entre elles, qui jouent un rôle particulier pour le renouvellement des talents, comme les commissions d’avance sur recettes –, nous sommes allés jusqu’à mettre en place des présidences mixtes.
Toujours dans ce même esprit, depuis 2019, tous les festivals qui reçoivent une aide du CNC doivent aussi avoir des jurys qui comptent autant de femmes que d’hommes.
Ensuite, le bonus parité, mis en place en 2019 pour le cinéma, a également été une mesure forte. Il permet de majorer de 15% les aides accordées à la production d’œuvres qui respectent la parité dans les principaux postes d’encadrement. En 2022, nous avons élargi ce bonus aux métiers de compositrice, ainsi qu’à ceux de la post-production et de la production. Et deux barèmes distincts ont été intégrés pour l’animation – pour la 2D et pour la 3D.
En 2023, vous le verrez, 35% des films agréés par le CNC étaient éligibles à ce bonus : c’est le plus haut niveau depuis sa création.
En outre, au-delà de ce seul bonus, les films réalisés par des femmes bénéficient de façon plus générale d’un soutien financier public très marqué par rapport aux films réalisés par des hommes. Cécile Lacoue va vous détailler ces indicateurs, mais par exemple :
- 37% des films réalisés par des femmes bénéficient de l’avances sur recettes (21% seulement des films réalisés par des hommes) ;
- 80% des films réalisés par des femmes sont soutenus par des aides publiques (60% pour les films réalisés par des hommes) ;
- les aides publiques représentent en moyenne 12,4% des budgets des films de réalisatrices (7,1% pour les films de réalisateurs).
Enfin, mieux soutenir les réalisatrices, c’est aussi valoriser davantage celles qui ont inscrit leur nom dans l’histoire du cinéma.
Le CNC leur porte une attention particulière dans sa politique de restauration, de numérisation et de conservation. Plus de 105 films réalisés par des femmes ont bénéficié de l’aide à la numérisation des œuvres de notre patrimoine. Les chefs d’œuvre de Musidora, Yannick Bellon, Agnès Varda, Germaine Dulac, Jacqueline Audry, Claire Simon, Claire Denis, pour ne citer qu’elles, ont ainsi pu trouver une seconde vie et féminiser durablement notre imaginaire collectif cinématographique.
- Cet engagement du CNC est l’un des facteurs qui explique la féminisation des métiers de la filière dans son ensemble
Cécile Lacoue vous montrera dans un instant que le résultat de ces politiques est incontestable dans le temps long.
Mais évidemment, cette tendance de long terme subit aussi des à-coups annuels : par exemple, en 2023, nous sommes en baisse pour ce qui concerne la part de femmes à la réalisation des premiers films, après le record de l’année 2021 où la parité avait été atteinte et même dépassée.
Pourtant 2023 c’est aussi l’année d’Anatomie d’une chute, deux ans à peine après Titane – autre Palme d’Or française - et après L’événement (Lion d’Or) et un an avant Dahomey (Ours d’Or) : cette dimension qualitative aussi doit être prise en considération, car le rayonnement artistique de nos réalisatrices est essentiel pour la féminisation du métier de cinéaste.
Outre les variations annuelles, le rythme de la féminisation connaît également des fortes nuances par genre d’œuvre et par métier : là encore, je vous renvoie à la présentation de Cécile Lacoue.
- Avant de lui laisser la parole, un dernier mot quand même sur un sujet différent, mais connexe : on sait bien en effet, qu’une des clés pour féminiser l’emploi dans ces métiers, c’est aussi l’environnement de travail.
Un environnement de travail malsain voire hostile peut décourager les plus volontaires. C’est une chose qu’on ne peut pas tolérer. C’est pourquoi nous avons mis en place depuis 2020 une politique de prévention et de lutte contre les violences sexistes et sexuelles qui, encore une fois, n’a pas d’équivalent dans le monde.
Vous le savez, le droit du travail, qui ne relève pas du CNC mais des partenaires sociaux (convention collective) et du législateur (code du travail), impose déjà à toutes les entreprises quel que soit leur secteur de lutter contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels : « L’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner. » (article L. 1153-5 du code du travail).
Le CNC a donc mobilisé les armes qui sont les siennes, à savoir les aides financières et les conditions mises à l’obtention de ces aides.
Ainsi, depuis le 1er janvier 2021, toutes les entreprises de production qui postulent à nos aides doivent impérativement respecter cette obligation de prévention de lutte et de sanction des VHSS. Cette conditionnalité a été étendue le 1er janvier 2022 aux salles de cinéma.
Afin de permettre aux chefs d’entreprise concernés de mieux s’acquitter de leur obligation, le CNC a mis en place pour eux, dès 2020 (nous étions pourtant en pleine pandémie), une formation obligatoire à la lutte contre les VHSS.
Cette formation a lieu ici-même, dans nos locaux, mais aussi en région, et elle est intégralement financée par le CNC. L’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, qui l’opérait jusqu’en septembre de cette année a déjà formé, à ce jour, 5000 producteurs de cinéma, d’audiovisuel et de jeu vidéo, et 1200 exploitants de salles. C’est le collectif Essaimer qui a pris le relais depuis la rentrée.
Et nous sommes allés encore plus loin, puisque nous avons étendu cette formation obligatoire à l’intégralité des équipes de tournages dans le cinéma. La mesure a été annoncée par la Ministre de la Culture à Cannes et je vous confirme que les formations débuteront en janvier 2025. Je tiens à remercier à nouveau l’AFDAS qui la finance. Et je serai particulièrement heureux de venir, moi-même, assister à cette première formation « in situ ».
Bien entendu, nous sommes en train de réfléchir à la mise en place de cette obligation pour l’audiovisuel également. Ce secteur représente un défi d’une toute autre échelle puisqu’il concentre beaucoup plus d’emplois que le cinéma : le coût pourrait donc être 4 fois plus important que dans le cinéma. Mais nous y travaillons avec tous les acteurs concernés et en premier lieu l’AFDAS évidemment.
Je suis persuadé que cette généralisation de la formation des professionnels, qui repose sur la contrainte financière exercée par le CNC, aboutira à mettre fin aux abus qui ont pu se produire dans le passé. Les plateaux ne doivent plus être des zones de non-droit, un tournage doit être une « entreprise » comme une autre du point de vue du droit du travail : j’aspire, comme tous les professionnels de la filière, à la « banalisation » du cinéma de ce point de vue !
Ce que fait le CNC avec les leviers qui sont les siens – c’est-à-dire les aides financières – sera évidemment d’autant plus efficace que les autres institutions concernées exerceront elles-mêmes leur compétence : je pense à l’inspection du travail et, le cas échéant, à l’autorité judiciaire. Les abus qui tombent sous le coup de la loi doivent évidemment être jugés et punis, dans le respect des principes du procès équitable.
Les professionnels que nous avons accueillis dans ces formations sont infiniment demandeurs et je tiens au passage à remercier les partenaires sociaux, très impliqués sur ce sujet. Les mentalités évoluent chaque jour, notamment grâce à la féminisation des métiers – ce qui nous ramène au cœur de notre sujet de ce jour.
J’en profite pour préciser qu’il y a plus de femmes que d’hommes qui travaillent au CNC – 62%, précisément. Quant au comité de direction, je suis particulièrement heureux de présider un collège paritaire – il est même composé de 63% de femmes si on prend en considération le comité de direction élargi (directeurs et directeurs adjoints).
Continuons donc à avancer ensemble car, si nous pouvons être légitimement fiers de tout ce que nous avons mis en place, il nous reste encore du chemin à faire.
Je terminerai en remerciant toutes les structures que le CNC soutient et qui œuvrent inlassablement en faveur de la parité : les associations Pour les femmes dans les médias, le Collectif 50/50, Femmes & cinéma, Les femmes s’animent, le Festival international du film de femmes de Créteil, le Centre Simone de Beauvoir, ou encore le Lab Femmes de cinéma. Beaucoup sont représentées aujourd’hui et je les salue chaleureusement.
Je vous remercie de votre attention.