Discours d’Olivier Henrard prononcé en introduction de l’audition du CNC devant la Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

Discours d’Olivier Henrard prononcé en introduction de l’audition du CNC devant la Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité

24 janvier 2025
Professionnels

Olivier Henrard, Président du CNC (par intérim), a prononcé en introduction de l’audition du CNC devant la Commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité, à l’Assemblée nationale le 18 décembre 2024.


Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,

Je veux d’abord vous remercier de nous permettre de revenir devant vous pour expliquer l’engagement du CNC contre les VHSS. Un sujet que nous prenons très au sérieux pour beaucoup de raisons.
D’abord pour un enjeu évident d’éthique et de justice, qui nous concerne toutes et tous. Je pense que le secteur ne peut que ressortir grandi de cette prise de conscience et de la clarification de ses pratiques au regard du droit. Mais aussi parce qu’au CNC nous soutenons depuis longtemps la féminisation de tous les métiers de la filière et les deux sujets sont étroitement liés. Enfin, parce que personne ne veut de films dont on apprend qu’ils ont été produits dans des conditions contraires à l’éthique et à la loi – ni les professionnels, ni les financeurs, ni les diffuseurs, ni les spectateurs.
Il y a donc un enjeu moral, légal, artistique et économique et cela a d’ailleurs été beaucoup discuté pendant vos auditions.

Pour toutes ces raisons, toute la filière s’est engagée sur ces sujets avec beaucoup de volonté et de détermination – je crois que vous avez eu l’occasion de le constater. On assiste à un changement profond des mentalités, qui se traduit notamment par la libération de la parole et on ne peut que s’en réjouir.
Nous avons encore du chemin devant nous, bien sûr – nous sommes même au milieu du gué sur le plan pratique, puisque, parmi les mesures que nous allons vous exposer, certaines datent de 2020 et d’autres sont adoptées mais ne vont être mises en œuvre que prochainement.

Avant de vous les présenter, je voudrais rappeler le cadre dans lequel le CNC intervient. Je suis en effet convaincu que la clarification des responsabilités et la nécessité que chaque acteur aille au bout de ses compétences et de son rôle, est absolument essentielle. On sait que la situation s’est nourrie précisément d’une mauvaise compréhension – voulue ou subie – des responsabilités de chacun.

  • Vous le savez, le CNC ne peut pas se substituer aux partenaires sociaux. Ce sont eux qui, à travers les conventions collectives, peuvent renforcer certaines dispositions du code du travail pour mieux l’adapter aux enjeux des VHSS dans le secteur.
  • Le CNC ne peut pas non plus se substituer à l’inspection du travail pour vérifier que les tournages ou les castings respectent effectivement ce code du travail.
  • Le CNC ne peut pas non plus se substituer au juge pénal, qui dispose, pour chaque affaire, de la connaissance de l’ensemble du dossier et est donc le seul à pouvoir rendre le jugement adéquat à la loi.

Encore une fois, je me permets d’apporter ces précisions non pas pour défausser le CNC, mais pour bien faire comprendre notre champ d’intervention. Le CNC n’a qu’un levier direct en matière de lutte contre les VHSS, mais il est puissant : ce sont nos aides financières et leurs conditions d’accès. Par ailleurs, en tant que maison commune de tous les acteurs de la filière, nous avons aussi la capacité de nourrir les discussions, de les faire mûrir et de rapprocher les points de vue notamment des partenaires sociaux. 
A travers ces deux leviers direct et indirect, nous avons pris toutes nos responsabilités dans ce chantier essentiel.

  1. S’agissant tout d’abord des armes propres au CNC, à savoir les aides financières et leurs conditions d’accès.

Depuis le 1er janvier 2021, toutes les entreprises de production qui postulent aux aides du CNC doivent impérativement respecter l’obligation de prévention et de lutte contre les VHSS – qui figure dans le Code du travail. Cette conditionnalité a été étendue le 1er janvier 2022 aux salles de cinéma.
Afin de permettre aux chefs d’entreprise concernés de bien s’acquitter de cette obligation, le CNC a mis en place pour eux, dès 2020, une formation obligatoire à la lutte contre les VHSS. 6 484 professionnels du secteur ont déjà été formés à ce jour – soit 100% des professionnels actifs depuis 4 ans.

Cette obligation de formation nous a semblé essentielle : la majorité des entreprises de production – vous avez eu l’occasion de le constater –, sont de toutes petites entreprises, sans service RH ni service juridique, donc sans expertise en interne. Or c’est sur les producteurs que repose toute la responsabilité pendant un tournage.

Mais maîtriser le droit du travail, ce n’est pas important seulement pour l’employeur, c’est essentiel pour tout le monde. On a pu voir à quel point la méconnaissance de leurs droits les plus élémentaires par les victimes a pu les mettre en difficulté, comment elles avaient pu intérioriser certains abus et les considérer comme des pratiques normales. Leur faire prendre conscience que ce sont des abus au regard du droit était fondamental pour encourager la libération de la parole.
C’est pourquoi nous avons franchi une étape supplémentaire cet été en étendant cette obligation de formation à l’intégralité des équipes de tournage : réalisateurs, acteurs, postes techniques. Ces formations démarreront en janvier et seront financées intégralement par l’AFDAS, notre partenaire avec lequel nous avons engagé le travail depuis plus de 18 mois. Hier, plus de 100 000 professionnels de la filière – 98 000 intermittents via les fichiers de l’AFDASS et 3000 via les fichiers du CNC – ont reçu un message les informant de la mise en place de cette formation et de l’obligation de la suivre.

Autre mesure importante en termes de santé et de sécurité au travail mise en œuvre le 27 juin dernier, avec effet immédiat : l’obligation de recourir à un « responsable enfant » sur tous les tournages qui mobilisent des mineurs de 16 ans.
Cette nouvelle condition d’accès aux aides du CNC vient renforcer la protection déjà prévue par la loi, qui exige une autorisation préalable du préfet, après avis de la commission des enfants du spectacle.

  1. En plus de ces mesures directes, nous avons accompagné les partenaires sociaux dans leurs discussions pour aboutir à la signature, le 17 mai dernier, de deux avenants à la Convention collective nationale de la production cinématographique (arrêté d’extension 24 septembre 2024).


Ces deux avenants vous ont déjà été présentés par les partenaires sociaux, j’en rappelle juste les principales avancées :

  • Un référent VHSS qualifié est désormais obligatoire pour tous les tournages de cinéma ;
  • Le recours au « responsable enfant » est devenu une obligation en droit du travail depuis le 1er juin et ce poste a vu ses missions et ses qualifications précisées ; par ailleurs lors des castings, les mineurs devront désormais obligatoirement être accompagnés par un adulte référent ;
  • Le recours à un coordinateur d’intimité, qui devra justifier d’une certification, est fortement incité ; et la convention définit une clause-type protectrice, à insérer dans les contrats des artistes jouant des scènes d’intimité ou à caractère sexuel ;
  • Et de façon plus générale, tous les castings seront fortement encadrés, aussi bien pour ce qui concerne les lieux que les scènes demandées : notamment, toute scène d’intimité ou à caractère sexuel sera interdite.

La suite immédiate du chantier, c’est la qualification des professionnels qui vont intervenir sur les deux champs.

  • En ce qui concerne la coordination d’intimité : la fiche métier et le référentiel de formation sont achevés et les premières formations auront lieu début 2025.
  • Pour le responsable enfant, le même travail (fiche métier et référentiel de formation) est en cours et s’achèvera rapidement.

Il est évidemment trop tôt pour évaluer tous les impacts des mesures mises en place par le CNC et les partenaires sociaux puisque, comme je le disais, à part la formation des employeurs, les autres mesures n’ont que quelques mois ou bien vont être mises en œuvre prochainement – comme la formation des équipes de tournage.

Mais nous pouvons déjà dire que :

  • Les professionnels se sont pleinement emparés du sujet, comme en témoigne la maturité des échanges lors des formations.
  • Autre signe que les mentalités évoluent : la parole se libère. Ainsi, la cellule d’écoute opérée par Audiens (pour le spectacle vivant et enregistré) a vu les appels augmenter de 75% depuis le début de l’année 2024. Le fait que les victimes se sentent en sécurité pour parler aujourd’hui est bien un effet positif des mesures qui ont été mises en place. Il ne faudrait donc pas que, paradoxalement, la libération de la parole et sa médiatisation aboutissent à minorer l’importance des avancées accomplies.
  • Nous n’aurons jamais de risque zéro, pas plus que dans n’importe quel autre secteur d’activité. Mais beaucoup de choses qui ont pu se produire par le passé ne se reproduiraient plus aujourd’hui, j’en ai la certitude absolue.

Et nous travaillons en ce moment à l’application de nouvelles mesures pour renforcer encore nos dispositifs :

Côté CNC :

  • Etendre l’obligation de formation des équipes de tournage au secteur de l’audiovisuel. Ce chantier représente un changement d’échelle, puisqu’il concentre beaucoup plus d’emplois que le cinéma : le coût pourrait donc être 4 fois plus important que dans le cinéma. Mais nous y travaillons avec tous les acteurs concernés et en premier lieu l’AFDAS.
  • Nous travaillons également sur une obligation de formation pour les dirigeants des festivals.
  • Nous avançons aussi sur le sujet absolument central de l’inspection du travail. En effet, les inspecteurs du travail ne disposent actuellement que très rarement des informations relatives aux lieux de tournage, ce qui rend plus difficiles les contrôles inopinés. Nous nous sommes donc rapprochés de l’inspection du travail pour apporter notre expertise à la rédaction d’un guide de contrôle spécifique aux tournages. Des inspecteurs du travail ont également suivi la formation obligatoire à destination des producteurs (2 inspecteurs du travail étaient présents à la séance du 5 novembre 2024).

D’autres mesures, qui ne relèvent pas directement du CNC, nous semblent aussi devoir être mises en place :

Pour renforcer la prévention, tout d’abord, il faudrait :

  • Prévoir, dans les formations initiales aux métiers de la filière, des modules obligatoires sur la santé et la sécurité au travail (droit du travail appliqué). Le CNC utilisera tous les leviers dont il dispose pour que ces modules soient mis en place.
  • Elargir les missions et attributions des CCHSCT. Il devrait disposer d’un vrai pouvoir d’enquête, de préventeurs santé et sécurité au travail spécifiques, de personnes ressources pour accompagner les salariés et les employeurs lorsque des situations de violences adviennent.
  • Actualiser l’arrêté du 15 octobre 2016 relatif aux mesures de prévention à prendre dans la production de films cinématographiques et audiovisuels. Cet arrêté définit toutes les mesures santé et sécurité au travail, mais ne prend pas en compte les mesures de prévention et de lutte VHSS. Il faudrait travailler avec la CNAM pour intégrer cet enjeu.

Dans le cadre plus spécifique de l’accompagnement des victimes, il faudrait aussi :

  • Elargir le périmètre des attributions de la cellule d’écoute Audiens pour mieux accompagner les victimes et lui donner de nouveaux moyens. Parmi les pistes envisagées : une aide juridictionnelle, une prise en charge psychologique de long terme, un suivi médical, des aides sociales.
  • Donner plus de visibilité à la cellule sur les tournages, dans les festivals, dans les salles de cinéma, mais aussi en annexe aux contrats de travail.

Quant aux évolutions possibles au sein du Code du travail :

  • Rendre, de façon obligatoire, les lieux et dates de tournage accessibles en pratique aux inspecteurs du travail ;
  • Etendre à l’audiovisuel le référent VHSS obligatoire aux entreprises dont l’effectif se situe en-deçà du seuil des 250 salariés.

Dernier point : la question des assurances. Sur ce sujet, l’alternative est claire : soit elle devient obligatoire et elle est moins chère pour tout le monde ; soit elle n’est pas obligatoire, chacun est libre de demander une clause spécifique, mais elle sera nécessairement plus coûteuse.

Voilà pour la présentation de nos mesures et de nos réflexions. Permettez-moi seulement de souligner deux choses avant de passer à notre échange.
D’abord le fait que le dispositif que nous avons mis en place en France pour prévenir et lutter contre les VHSS n’a, pour l’heure, pas d’équivalent dans le monde.
Mais surtout que rien n’aurait été possible sans la parole des victimes. On entend beaucoup que la honte change de camp et on ne peut que l’espérer. Ce qui est certain, c’est que plus personne aujourd’hui ne peut ignorer qu’une personne qui se comporte mal sur un plateau – qu’il soit bankable ou non – représente un risque objectif pour un film. Et c’est absolument cardinal.