Comment la Commission supérieure technique de l’image et du son (CST) est-elle née ?
Baptiste Heynemann : La CST voit le jour à la Libération. En 1944, le secteur cinématographique est quasiment à l’arrêt. Certaines salles sont détruites, d’autres souffrent de pénuries d’énergie et de pellicule. Les professionnels du secteur se rassemblent pour penser l’après. Un premier groupement se créé au sein du Comité de libération du cinéma français (CLCF) dont les membres sont issus des différentes franges de la Résistance. De son côté, une dizaine de techniciens (ingénieurs du son, chefs décorateurs…) se réunit autour du producteur Fred Orain avec la mission de résoudre les difficultés techniques posées au cinéma français. Très vite, on en appelle à une structuration du secteur par l’État. L’objectif est de créer un organe indépendant pour faire de la fabrication, de la production et de la distribution des films un enjeu trans-partisan après la Libération. La naissance du Centre national de la cinématographie [créé le 25 octobre 1946 – ndlr] et de la CST participent ainsi au même mouvement : celui de reconstruire le cinéma français sur le plan économique et technique. La CST travaille de façon informelle jusqu’au 21 juin 1948, date à laquelle sont déposés ses premiers statuts d’association loi de 1901. Il ne peut y avoir d’industrie cinématographique forte sans qualité technique et artistique. La CST aura donc pour mission de défendre et promouvoir la qualité de la diffusion et de la projection. Elle aura aussi pour objectif d’accompagner les professionnels et les faire échanger sur les enjeux et actualités technologiques du secteur.
Comment la CST a-t-elle évolué ?
Fred Orain est resté président de la CST pendant trente ans. Il a proposé au côté des techniciens qui l’entouraient des innovations majeures pour le secteur, tels que des cahiers des charges pour les studios de tournage, les grues, les chariots élévateurs ou encore une réglementation concernant le tirage des copies de films destinées à être télévisées. Les grands enjeux relatifs aux mutations technologiques de la seconde moitié du XXe siècle ont tous été discutés dans les réunions de la CST. La neutralité de la CST lui a permis de servir de témoin ou d’arbitre sur des sujets réglementaires ou interprofessionnels : par exemple, la CST a eu une mission de contrôle systématique des salles de cinéma entre 1979 et 2012, ou de vérification des critères de l’autorisation d’exercice des studios de tournages. Autre exemple, la Commission a joué un rôle de médiation entre les distributeurs et les exploitants, notamment en cas de litige sur une copie pellicule rayée… Son laboratoire pouvait en effet déterminer l’origine de la rayure (une machine de distribution ou un projecteur). Mais l’une de ses tâches principales est d’émettre des recommandations techniques [des textes qui peuvent aboutir à la rédaction de normes en France ou à l’international – ndlr] en réponse à une problématique métier ou technologique. C’est toujours le cas aujourd’hui où nous réfléchissons beaucoup, à titre d’exemple, aux défis posés par l’intelligence artificielle. Que fait-on avec cette nouvelle technologie ? Quelle réponse concrète les techniciens peuvent-ils y apporter ? Nous essayons de défantasmer les sujets, d’apporter du cadre, de la méthode et des bonnes pratiques au secteur.
Comment la Commission s’organise-t-elle ?
La CST est composée de 750 membres répartis en huit départements : production-réalisation, image, postproduction, son, diffusion-distribution-exploitation, immersion, décors-accessoires-costumes et broadcast. Peuvent y adhérer des individus seuls ou regroupés en collectifs (entreprise, association…). Ainsi, vingt-neuf associations sont membres de la CST. Elles peuvent se faire domicilier dans nos locaux, profiter de nos salles de réunion pour tenir leurs conseils d’administration, leurs assemblées générales… La CST fonctionne en quelque sorte comme une maison des associations. Une fois devenu membre de la Commission, on peut prendre part aux travaux de tous les départements. Par ailleurs, la Commission regroupe à la fois des professionnels qui réfléchissent aux enjeux métiers dans leurs groupes de travail et des professionnels qui rédigent les recommandations et textes normatifs. Nos départements mènent aussi des études telle que celle réalisée récemment sur la colorimétrie des projecteurs LEDs.
Parmi les missions de la CST, notons celle effectuée auprès des exploitants. Le Congrès de la FNCF se tient à Deauville jusqu’au 26 septembre. Comment se concrétise au quotidien l’accompagnement des salles par la CST ?
La CST accompagne les exploitants à toutes les grandes étapes de la vie de leurs salles. Elle leur assure une mission de conseil sur le respect des normes en vigueur, notamment en cas de travaux, à la fois sur le plan architectural (emplacement et espacement des fauteuils, dégagement des têtes, ouverture de la salle…) que technologique (le positionnement du fameux trio serveur, projecteur, écran). L’objectif est de s’assurer que les spectateurs bénéficient de la même expérience du film quel que soit leur position dans la salle. C’est la règle en France. Les salles ont par ailleurs l’obligation d’effectuer une maintenance annuelle. La CST peut vérifier pour le compte de l’exploitant que celle-ci a été faite dans les règles. Nous mettons aussi des mires de cadrage [dispositifs qui permettent de régler la qualité de la projection en fonction des écrans et du format de l’œuvre – ndlr] à disposition des exploitants, opérateurs-projectionnistes et distributeurs. Elles peuvent être téléchargées librement sur le site de la CST.
Vous avez également mis en place deux labels à destination des salles de cinéma. Quel est leur rôle ?
La CST propose effectivement de labelliser les salles – label « excellence » et « immersion » – selon des critères spécifiques. L’objectif est de démontrer que la salle a été construite ou rénovée dans l’intérêt du spectateur afin qu’il bénéficie de la meilleure qualité et expérience possible (architecture, son, image, confort…). L’accompagnement des exploitants par la CST passe également par une offre de formation adaptée.
En quoi consiste-elle ?
Nous proposons aux exploitants une formation à la maintenance afin de les rendre les plus autonomes possible dans l’entretien technique de leur exploitation ainsi qu’une initiation à la projection numérique. Celle-ci doit permettre au personnel de la salle de lancer une séance si l’opérateur-projectionniste en est empêché pour une raison ou une autre (absence, retard, maladie…). Cela concerne particulièrement les petites salles où travaille souvent un seul opérateur-projectionniste. Nous participons aussi à former les professionnels de l’exploitation et de la diffusion à l’inclusion et à l’accessibilité. C’est un sujet sur lequel nous travaillons en collaboration avec le CNC à travers l’Observatoire de l’accessibilité. Nous présentons d’ailleurs quelques-unes des solutions d’accessibilité recensées dans ce cadre et disponibles sur le marché pour les exploitants, sur notre stand au Congrès.
La CST valorise aussi les métiers du cinéma…
Nous mettons effectivement en lumière les métiers qui concourent à la fabrication des œuvres par notre communication (entretiens, podcasts, la lettre de la CST…), nos rendez-vous, événements et tables rondes organisés dans les grandes manifestations du secteur, mais également par une activité d’éducation à l’image que nous commençons à développer en faisant intervenir des techniciens (chefs opérateurs, chefs décorateurs, ingénieurs son, monteurs, sound designers…) dans les écoles. Nous remettons par ailleurs plusieurs prix au Festival de Cannes : d’une part, le prix de l’artiste-technicien, la plus ancienne récompense du festival après la Palme d’or, qui distingue un professionnel pour sa contribution à une œuvre de la sélection officielle ; d’autre part, depuis 2021, celui de la jeune technicienne de cinéma qui récompense une jeune femme travaillant en France. Nous remettons aussi le prix Jean Vivié du meilleur projectionniste.
Quels grands chantiers attendent l’association à l’avenir ?
La CST suit attentivement les mutations du secteur cinématographique et audiovisuel avec le souci toujours intact de maintenir la qualité de la projection et de la diffusion, l’innovation technologique, le travail collectif et la transmission. Nous allons poursuivre nos réflexions et notre veille sur la façon dont le cinéma et l’audiovisuel vont se fabriquer à l’avenir. La formation est également un chantier à développer. L’objectif est d’accompagner les différentes transitions du secteur à l’image de ce que nous faisons déjà en collaboration avec Ecoprod sur la transition écologique ou avec le groupe Egaé sur la prévention des VHSS [Violences et harcèlement sexistes et sexuels – ndlr]. La CST a par ailleurs remporté un appel d’offres de la Commission Paritaire Nationale Emploi et formation (CPNEF) pour mettre en place la future formation qualifiante des coordinateurs et coordinatrices d’intimité au 1er trimestre 2025.