Comment vous est venue l'idée de revisiter les mythes grecs dans 50 Nuances de Grecs ?
C'est – un peu – la continuité de ce que je faisais avec Silex and the City qui parlait de notre époque contemporaine en la transposant à la Préhistoire.
50 Nuances de Grecs m’est apparu comme la façon la plus drôle et profonde de leur parler d'aujourd'hui.
D'où vient votre intérêt pour l'histoire ?
J'ai été professeur d'histoire et j'étais un spécialiste de la Chine. De la sinologie au dessin, il y a eu comme un saut périlleux (rires). Je pense aujourd'hui que ces séries-là, que ce soit Silex and the City ou 50 Nuances de Grecs, me rachètent d’avoir été un mauvais professeur d'histoire (rires). Il me semblait important de transmettre des connaissances et un patrimoine, mais je n'arrivais pas à le faire en cours. Je dispense donc mes cours d'histoire à travers des blagues dans un format de 3 minutes quotidiennes sur Arte.
Le titre fait référence à la saga littéraire érotique 50 Nuances de Grey. Pourquoi ?
C'est une marque de fabrique, ma signature. Je prends à chaque fois un monument de la pop culture ou de la culture de masse et je tords son titre. Je l'ai fait pour Silex and the City, La Planète des Sages (cosigné avec Charles Pépin, ndlr) et Da Vinci Digicode. Ca permet d’attirer l’œil du lecteur ou du spectateur, mais aussi de montrer qu'il est possible de subvertir ce qu'on nous vend comme des évidences de la culture consommable pour aller ailleurs. Le titre 50 Nuances de... fonctionnait bien avec la mythologie grecque. Eros et Thanatos, c'est le sexe et la mort. Et qu’est-ce que 50 Nuances de Grey sinon l’émanation de ces pulsions qui nous structurent ?
Comment garder l'équilibre entre le rire, la transmission et la culture populaire ?
Il n'y a pas vraiment de recette, ça se fait vraiment à l'usage. On s'installe petit à petit dans une série. Je me suis senti plus libre avec les mythes dans cette saison 2 (dont la diffusion a démarré le 31 août sur Arte, ndlr) alors que j’étais resté très fidèle dans la première saison. Cette fois-ci, on s’est un peu plus affranchi du canevas du récit mythologique pour ne garder que les fondamentaux des personnages et les thèmes. Ca produit quelque chose de complètement différent, tout en restant, je crois, sur cette ligne de crête entre l'humour et la satire, l'ironie et la référence. Ce n'est pas évident et nous ne sommes pas assurés de réussir à chaque fois. Mais pour le moment, nous réussissons ce petit miracle. Je suis un peu dictatorial sur ce projet adapté de mes BD : j'écris les textes, je dirige les comédiens… Mais il s'agit malgré tout d'un énorme travail d'équipe. Certains de mes collaborateurs sont là depuis des années, qu'il s'agisse des animateurs, du réalisateur, des costumes designer… 150 personnes travaillent sur 50 Nuances de Grecs. Une complicité évidente s'est installée et ce que chacun apporte est incalculable.
De nombreuses personnalités prêtent leur voix à des personnages dans cette saison 2 (Guillaume Gallienne, Christophe Alévêque, Léa Salamé, Nagui, Camelia Jordana, Alex Lutz et Bruno Sanchès, Valérie Lemercier…). Est-ce pour ancrer encore davantage la série dans le monde contemporain ?
Ce n'est pas de la post-synchronisation : les voix sont d'abord enregistrées puis nous réalisons l'animation. Ces personnalités ne se rencontreraient pas forcément dans la vraie vie car elles viennent d'horizons différents - de la Comédie-Française ou du stand-up, du monde de la politique ou de l'université… Et finalement cette Arche de Noé nous ressemble car il y a à la fois des voix provenant de milieux intellectuels et d'autres de la culture pop.
Pourquoi animer seulement après avoir effectué l'enregistrement des voix ?
Parce que les animateurs peuvent adapter le jeu, les mouvements, les expressions des visages des personnages en fonction de ce que les comédiens et comédiennes auront apporté.
D’où partent vos épisodes ? D’un mythe ou du fait de société auquel il se rattache ?
Il y a ce que j’appelle un travail de « navette » entre les deux. On trouve un lien dans un sens ou dans un autre. Parfois, ça part juste d’un mot, comme Jason et la Toison d'or devenue la Toison jaune, par jeu. Les Argonautes, qui étaient une sorte de gang de mortels et de demi-dieux, n'étaient pas satisfaits de leurs conditions et voulaient égaler les Dieux ou au moins que cette dichotomie entre Dieux et hommes soit moins marquée. C'est un peu l'état d'esprit des Gilets jaunes et ça m’a rappelé la contestation sociale qui secoue les rues.
Il y a énormément d'informations données sur ces faits de société dans la série. Comment les intégrer dans un mythe ?
C'est comme une pelote de laine qui se déroule. Si l'idée est bonne, les associations et parallèles se font un peu naturellement. Il n'y a même pas besoin de créer artificiellement des justifications : ça fonctionnera. Si nous traitons par exemple de la guerre médique qui opposa les Grecs aux Perses, il est possible de trouver tout de suite un rapport avec les relations internationales d'aujourd'hui avec Trump. Une magie difficilement explicable s'opère.
Dans cette saison 2, vous évoquez également la démission de Nicolas Hulot du gouvernement. Avez-vous écrit cette séquence dès sa démission où avez-vous laissé les événements se décanter un peu ?
J'ai attrapé ça au vol. Il y avait plusieurs façons de le traiter. J'aurais pu évoquer son travail de ministre mal-aimé dans le gouvernement des Dieux de l'Olympe, mais j'ai préféré faire un décalque réplique par réplique de sa démission et de son coup d'éclat fracassant à la radio. L'audiovisuel permet ces parodies de séquences un peu iconiques. L'accord de Nicolas Demorand et Léa Salamé (qui prêtent leur voix, ndlr) renforçait le côté comique de la séquence.
Avec 50 Nuances de Grecs, on se rend finalement compte que la mythologie grecque aborde des sujets toujours contemporains…
Nous ne sommes pas nés du jour au lendemain. Nous n'avons pas été téléchargés comme une application, notre culture a des racines, la langue que l'on utilise quotidiennement est en permanence manipulée par ces passions et ces concepts gréco-latins. Ce terreau-là est encore plus solide que notre culture judéo-chrétienne qui est finalement assez absente des thématiques de la série.
La mythologie permet-elle d'aborder plus facilement des thèmes extrêmes comme le viol ou l'inceste ?
Oui car la mythologie ne s'interdisait rien, même des choses brutales, cruelles ou même immorales. Les Grecs avaient théorisé et mis en scène nos zones d’ombre et de lumière. Ce que notre société un peu moderne et puritaine, donneuse de leçons aussi et un peu étriquée, peut avoir occulté, la mythologie le révèle de nouveau. Il est possible de tout atteindre avec la satire.