« Aspergirl » : une série qui parle d’autisme « sans superpouvoirs »

« Aspergirl » : une série qui parle d’autisme « sans superpouvoirs »

14 avril 2023
Séries et TV
Carel Brown et Nicole Ferroni dans « Aspergirl » OCS

Récompensée au dernier festival Séries Mania à Lille (Prix du meilleur acteur pour Carel Brown), Aspergirl, série OCS, est une création originale sur l’autisme, singulière dans son approche et puissante sur le fond. Rencontre avec les deux créateurs et coscénaristes, Judith Godinot et Hadrien Cousin.


Qu’est-ce qui a motivé cette envie d’écrire une série sur l’autisme, par le prisme de cette mère, diagnostiquée sur le tard, en même temps que son fils ?

Judith Godinot : La romancière Sophie Talneau avait écrit une série parlant d’un homme de 40 ans, autiste, qui devait s’occuper de ses deux enfants adolescents et ce du jour au lendemain. J’ai commencé à explorer cette idée, mais qui ressemblait déjà à des choses existantes. Le producteur Antonin Ehrenberg m’a alors suggéré de retravailler le projet avec Hadrien [Cousin]. On s’est beaucoup documentés pour créer un personnage qu’on n’avait pas déjà vu. On est tombés sur un podcast de France Culture et on a entendu une femme raconter qu’elle avait reçu son diagnostic autistique en même temps que celui de son fils. Un diagnostic tardif, à l’âge de 37 ans, qu’on a tout de suite imaginé comme un point de départ de fiction. 

Hadrien Cousin : On s’est rendu compte que ce diagnostic tardif concernait surtout les femmes. Parce que depuis le plus jeune âge, elles font face à davantage d’injonctions sociales et donc se marginalisent moins. Elles peuvent traverser l’enfance et la vie sans que leur autisme ne se remarque. Mais pour elles, c’est épuisant au quotidien. C’est ce qu’on raconte avec le personnage de Louison [interprété par Nicole Ferroni ndlr]. Dans la série, comme dans la vie, c’est par le biais de l’enfant que cet autisme va être diagnostiqué. Car il y a une forme d’hérédité dans les troubles autistiques (TSA) et les praticiens recherchent toujours une origine génétique à l’autisme de l’enfant.

Le rire rassemble. C'est un moyen de communiquer et de désamorcer des sujets sensibles, délicats.
Judith Godinot

Comment représenter l’autisme de manière juste et adéquate ?

Hadrien Cousin : Sur un sujet aussi sensible, au départ, il a fallu évidemment faire attention. Mais en même temps, on en avait assez des figures d’autistes qui sont toujours les mêmes dans la représentation populaire. C’est-à-dire le type très fort en calcul, comme Rain Man ou le super-génie façon Sheldon dans The Big Bang Theory. Et puis ce sont souvent des hommes. Or, ce n’est pas que ça l’autisme. Nous, on a eu envie d’imaginer une femme qui n’a pas de superpouvoirs. Elle est juste autiste. Et pour elle, le monde est tellement anormal…

Judith Godinot : Mon cousin est autiste Asperger et j’ai pu lui demander conseil pour certains de nos personnages. J’ai eu des conversations passionnantes avec lui, par exemple sur sa vision de la séduction, où il est très compliqué pour lui d’embrasser les conventions sociales actuelles. Aspergirl a quelque chose de la chronique. Naturellement, on se retrouve sur un créneau de niche, mais en même temps, cela offre une liberté totale assez incroyable.

 

La comédie était-elle pour vous la meilleure manière d’aborder ce thème ?

Judith Godinot : Le rire rassemble. C’est un moyen de communiquer et de désamorcer des sujets sensibles, délicats. La comédie était donc le meilleur moyen de traiter ce thème. Cela étant, on a éprouvé un peu de difficulté à trouver le ton. On a essayé de ne pas être trop léger. Notre personnage n’est pas HPI, elle a la même intelligence que les gens lambda. Seulement, il ne fallait pas que ses traits autistiques la fassent passer pour une idiote. On n’avait pas envie de se moquer d’elle, mais au contraire que les gens aient envie d’être davantage comme elle, plus libres et atypiques. On a aussi fait en sorte d’avoir de l’empathie pour elle. Ce qui donne quelque chose de plus doux qu’une farce un peu grossière.

Nous, on est contraints par des normes sociétales qu’on ne questionne plus, alors que, eux, les neuro-atypiques, les remettent en cause et ça offre un regard totalement différent, très rafraîchissant. 
Hadrien Cousin

Quel message avez-vous souhaité faire passer avec cette série ? 

Hadrien Cousin : Un message d’ouverture. On veut dire aux gens : essayez d’être un peu comme ça, de voir le monde de manière plus atypique. Vous verrez les choses autrement. Ça offre des perspectives de libération. Ce que Louison propose comme manière de vivre, c’est assez enthousiasmant finalement. Nous, on est contraints par des normes sociétales qu’on ne questionne plus, alors que, eux, les neuro-atypiques, les remettent en cause et ça offre un regard totalement différent, très rafraîchissant. On ne s’est pas bloqués sur l’idée de les inclure absolument. L’idée est moins de les faire rentrer dans le cercle des neurotypiques, que d’essayer de provoquer une rencontre. Dans Aspergirl, on dit aussi qu’on est possiblement une meilleure mère en étant autiste ! Dans la série, les services sociaux veulent retirer à Louison ses enfants. On l’a écrit parce que ça a été le cas dans beaucoup d’affaires familiales. Il y a eu des catastrophes humaines et émotionnelles, à vouloir retirer des enfants autistes à leur maman, elle-même autiste, pour les placer ensuite dans des foyers spécialisés… Nous, ce qu’on a voulu dire, c’est qu’il n’y a pas meilleure mère que Louison pour élever Guilhem [campé par Carel Brown ndlr]. Ensuite, comme dans d’autres séries sur la parentalité, par exemple Fais pas ci, fais pas ça, on dit surtout que chacun fait comme il peut ! Ici, Guilhem et Louison sont faits l’un pour l’autre et il ne faut pas les séparer.

ASPERGIRL - SAISON 1 EN 10 episodes de 26 minutes

Affiche de la série OCS
Créée et écrite par Judith Godinot, Hadrien Cousin

Réalisée par Lola Roqueplo
Avec Nicole Ferroni, Carel Brown, Mustapha Abourachi…
Produite par Velvet Films, Patafilm et OCS
Sur OCS depuis le 6 avril 2023

Soutien du CNC : aide à la production (sélectif)