Après deux courts métrages (Les attractions désastres et Boys Band Theorie), Jonas marque votre première incursion dans le format long. Quel en a été le point de départ ?
Une image. Celle de la station-service qui ouvre le film et dans laquelle on voit Jonas adolescent enfermé à double tour et terrorisé dans la voiture de son père. Et à partir de là, je m’étais toujours dit que si j’avais la chance de faire un film dans ma vie, je devrais imaginer un récit protéiforme. Car je pense que la série télé a changé en profondeur le regard des spectateurs en n’hésitant jamais à les sortir de leur zone de confort et à frôler différents genres tout en gardant un récit cohérent. J’ai donc voulu mêler ici ce que j’aime : du suspense, du thriller, de la romance, de l’émotion forte au cœur d’un bloc cohérent. Je savais aussi dès le départ que le film serait court et qu’à la moitié du récit, un nouveau personnage y ferait son apparition – le frère de Nathan, l’amour de Jonas disparu des années plus tôt – pour que l’histoire prenne une autre route
Le secret autour de la disparition de cet ado infuse votre intrigue. Comment avez-vous géré à l’écriture la relation du spectateur à ce secret ?
Mon écriture n’est pas très psychologisante, plutôt spontanée. J’ai fait en sorte que chaque rencontre faite par Jonas (un couple de vieux dans un hôpital, un mec sur Grinder…) éclaire une facette de lui et offre par ricochet une pièce du puzzle de ce qui s’est produit avec Nathan des années plus tôt et qu’il a choisi d’enfouir dans sa mémoire, rongé par la culpabilité. J’ai donc envisagé ce scénario comme un jeu.
Où vous vous amusez donc à brouiller les pistes…
Oui, y compris dans le parti pris sur sa photographie. Je ne voulais pas deux ambiances différentes selon les deux époques du film : 1997 et de nos jours. Un passé très chaud et un présent très froid, par exemple. Tout est unifié.
Et vous avez opté pour des couleurs chaudes pour envelopper ce récit pourtant teinté de noir. Quelles ont été vos influences pour créer cet univers visuel ?
Je voulais une lumière orange sanguine et sexy pour aller à l’inverse de la noirceur que vous évoquez mais avec la certitude que cela n’empêcherait pas l’émotion de monter. Et je revendique pleinement le côté un peu geek de l’ensemble ! J’ai ainsi voulu filmer la porte de la boîte de nuit dans laquelle Jonas et Nathan tentent en vain de rentrer comme la porte d’entrée du Mordor dans Le Seigneur des anneaux !
Vous avez aussi une manière très forte de traiter de l’homosexualité car jamais victimaire, malgré les brimades et les insultes que reçoivent ces deux personnages dont l’amour dérange certains de leurs camarades lycéens. C’était essentiel pour vous ?
Je souhaitais décomplexer les choses sur ce sujet car il n’est pas du tout l’enjeu du film. Je montre très vite ces deux garçons qui s’embrassent. Mais je ne voulais aucune scène sur la découverte de son homosexualité par les parents de Jonas ou son éventuelle souffrance de leurs réactions. Car, je le répète, Jonas ne se résume pas à une seule chose. C’est une histoire d’amour adolescente entre deux garçons, un récit d’apprentissage douloureux mais aussi un thriller et je me suis efforcé qu’aucun de ces éléments ne prennent le pas sur les autres.
Jonas est incarné, adulte, par Félix Maritaud, repéré dans 120 battements par minute et révélé voilà quelques mois par Sauvage. Pourquoi ce choix ?
On a tourné Jonas juste après la fin de son travail sur Sauvage. J’avais donc juste vu Félix dans le film de Robin Campillo. Mais ce sont mes productrices Sandrine Brauer et Marie Masmonteil ainsi que ma directrice de casting Youna de Peretti qui m’ont suggéré de le rencontrer. Notre rendez-vous a eu lieu dans un café. Et quasi immédiatement, j’ai su qu’il incarnerait Jonas. Car il était le personnage. Quand je lui parlais, je ne savais pas s’il m’écoutait ou si quelque chose d’autre lui traversait l’esprit à ce moment-là. On ne sait jamais s’il est là ou pas. Comme Jonas tout au long de ce téléfilm. Felix possède cette « présence absente » qui attire autant qu’elle peut mettre mal à l’aise. Le filmer est un régal car dans le même plan il peut dégager quelque chose d’enfantin et de très adulte, de très doux et de sexuellement très agressif. Il se situe toujours dans cette espèce d’entre-deux avec lequel il joue.
Et vous avez choisi Nicolas Bauwens qui interprète Jonas adolescent en fonction de lui ?
Non car les deux castings se faisaient en parallèle à Paris et dans le Sud. J’ai même d’abord trouvé Nicolas. Mais je me moquais de toute idée de ressemblance. Au contraire, j’en jouais au scénario où l’on dit souvent à Jonas qu’il a changé. J’ai juste coupé les cheveux de Nicolas pour qu’on ait l’impression qu’il a un peu les oreilles décollées comme Félix. Et on a rajouté un grain de beauté et mis des lentilles à Félix pour qu’il ait les yeux bleus de Nicolas
L’autre personnage essentiel de Jonas est sa musique signée Alex Beaupain, le compositeur complice de Christophe Honoré, avec qui vous aviez déjà travaillé sur vos courts métrages. Comment avez-vous collaboré avec lui cette fois-ci ?
Alex a lu le scénario et est venu à plusieurs étapes du montage. Avant qu’il ne crée cette bande originale, j’avais posé d’autres musiques sur les images dont celle de Max Richter. Ce qui avait le don d’insupporter Alex car il était persuadé que devant la beauté des compositions de Richter, sa musique ne ferait pas le poids (rires). Or il s’est bien évidemment produit l’inverse : dès qu’on a posé son thème de Jonas sur les images, j’ai immédiatement chassé Richter de ma mémoire. Travailler avec Alex est d’une simplicité rare. Il suffit de lui donner une indication même approximative pour qu’il la traduise en musique. Et là encore mes références étaient plutôt américaines, de Boogie Nights à Blade Runner. En fait, Jonas est un film dramatique français peuplé d’imageries américaines.
Votre téléfilm s’est- il beaucoup modifié au montage ?
C’était impossible. Le scénario était hyper ficelé donc prendre une scène et la déplacer risquait de mettre tout par terre. Du coup, sur le tournage, on savait que chaque séquence était indispensable au récit. Il n’y avait pas de gras et aucune scène coupée sur ces 24 jours.