Comment Brûlez Molière ! s’est appuyé sur le travail des historiens

Comment Brûlez Molière ! s’est appuyé sur le travail des historiens

13 mai 2019
Séries et TV
Brûlez Molière !
Brûlez Molière ! Emmanuel PRIOU - FTV - BONNE PIOCHE

Georges Forestier, professeur à la Sorbonne spécialiste du théâtre classique, est conseiller historique de Brûlez Molière !, une fiction ambitieuse sur le dramaturge diffusée le 13 mai sur France 2. Il explique son rôle dans un entretien accordé au CNC.


A quel point Brûlez Molière ! présente-t-il un Molière différent des autres biographies ?

Toutes les biographies de Molière, jusqu’au XXe siècle inclus, sont parties ou reparties de La Vie de M. de Molière d’un certain Grimarest, publiée en 1705. Or elle est peu informée, erronée pour l’essentiel (y compris sur la date de naissance de Molière et l’adresse de sa maison natale), imaginaire pour tout le reste. Des légendes se sont ensuite greffées là-dessus. Jacques Malaterre, qui réalise Brûlez Molière !, voulait coller au plus près des plus récents résultats de la recherche universitaire. C’est pour cela qu’il a fait appel à Claude Bourqui et à moi-même qui venions de diriger la nouvelle édition de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade. Son film évite toutes les erreurs historiques habituelles : Molière malade depuis des années de la tuberculose, Molière malheureux en amour… Toutes mes recherches m’ont conduit à penser que le couple Molière-Armande était très uni. De plus, on sait maintenant que Molière était une véritable « star » qu’on enviait et qui n’avait aucune raison d’envier quiconque.

Tartuffe, censuré dès sa création, est au cœur de Brûlez Molière !, la fiction de Jacques Malaterre. Pourquoi s’être centré sur cet épisode de la vie de Molière ?

Le premier Tartuffe, créé en mai 1664 a aussitôt été interdit par Louis XIV pour des raisons de politique religieuse générale. On savait que la pièce était en trois actes, et non pas en cinq comme aujourd’hui. Ma méthodologie génétique m’a permis de reconstituer la version initiale. Molière n’a pas exactement fait une critique des religieux : il cherchait à faire rire en faisant la satire, d’une part, des bourgeois rétrogrades aveuglés par une conception traditionnelle et oppressante de la religion et, d’autre part, de ceux qui se servent de la crainte de la mort et de l’aveuglement des hommes pour jouer de leur crédulité. C’est pour tenter de faire accepter sa pièce que Molière a alors fait croire qu’il avait écrit non pas une satire de la dévotion mais une critique de l’hypocrisie et qu’il a réécrit sa pièce en ce sens, transformant le personnage de Tartuffe au 5e acte en aventurier faux dévot, hypocrite par profession. Et c’est à partir de là que Molière s’est présenté comme l’auteur d’un théâtre moral pourfendeur des vices, alors que, jusqu’à 1664, il prétendait seulement faire rire des comportements ridicules de ses contemporains.

Comment s’est articulée votre collaboration avec Jacques Malaterre ? En quoi a consisté votre rôle de conseiller historique ?

Dans un premier temps, Claude Bourqui et moi-même avons eu plusieurs réunions avec Jacques pour lui résumer toutes nos connaissances sur Molière et l’affaire Tartuffe, tandis que de son côté il éprouvait sur nous ses premières idées, nées des lectures boulimiques qu’il avait entreprises sur Molière, Louis XIV et la période. Dans un second temps, il a écrit son synopsis, puis son scénario, puis son canevas avec dialogues, et à chaque étape il nous soumettait sa version que nous corrigions avec la plus extrême sévérité pour rester dans les « clous historiques ». Ça lui permettait d’inventer, d’imaginer paroles et pensées de Molière, tout en étant certain d’éviter les erreurs historiques, les invraisemblances, etc…

Le film nous invite à entendre Tartuffe comme le jouaient les acteurs du XVIIe siècle. La diction est très étonnante…

Lorsque nous avons reconstitué le Tartuffe initial, j’ai profité de la création à la Sorbonne d’une école de théâtre destinée à enseigner le jeu « ancien », pour la faire mettre en scène par une amie à la tête de notre petite troupe alors embryonnaire. C’est une déclamation théâtrale où la prononciation des mots est différente. Le théâtre était un art qui cherchait à créer le naturel à travers le soulignement de l’artificiel : le contraire d’aujourd’hui ! Ça a formidablement marché car cette version en 3 actes est plus dynamique, plus rapide et beaucoup plus drôle. Jacques Malaterre a repris cette idée dans le film, lorsque les personnages jouent des pièces de Molière. Cela renforce le fait d’être le plus près possible de la réalité historique. Cela dit, c’est assez furtif…

Quels ont été vos conseils pour Dimitri Storoge et plus généralement pour les comédiens qui l’entourent ?

Aucun conseil : Jacques Malaterre a fait la preuve dans ce film qu’il était un formidable spécialiste du casting et directeur d’acteurs. Il a remarquablement choisi ses acteurs, en se guidant d’abord sur les âges de chaque rôle afin d’avoir une stricte correspondance, puis en se laissant aller à sa sensibilité. Dimitri Storoge est le plus formidable Molière que j’ai vu sur un écran depuis Philippe Caubère. Il EST Molière : c’est stupéfiant.