Pour peu qu’on ne parle pas la langue couramment, lorsqu’on découvre une nouvelle série venue des États-Unis, de Grande-Bretagne ou même de Scandinavie, on a le choix : soit on préfère la version originale sous-titrée, soit on apprécie le confort d’une version française doublée. Dans les deux cas, derrière cette retranscription du texte dans la langue de Molière, il y a un traducteur professionnel, comme Anthony Panetto. Secrétaire de l’Association des traducteurs et adaptateurs de l’audiovisuel, dont le rôle est de mettre en lien les clients (chaînes, producteurs, etc.) avec les professionnels et de promouvoir le métier, il travaille depuis une dizaine d’années dans ces coulisses méconnues du grand et du petit écran.
« Jusque dans les années 1980, je dirais que le métier s’apprenait sur le tas. Depuis, il existe quatre ou cinq masters de traduction audiovisuelle. C’est un bon pied à l’étrier », explique-t-il, tempérant dans la foulée : « Quand les cours sont donnés par des traducteurs audiovisuels professionnels et non des enseignants en langue. » Malgré l’afflux de séries importées chez nous ces dernières années, le métier est en crise. « On pourrait croire, c’est vrai, qu’avec l’arrivée de toutes ces nouvelles plateformes et de contenus audiovisuels venus du monde entier, il y a une demande accrue. Or, le marché ne peut pas absorber la centaine d’étudiants qui arrivent chaque année et surtout, on assiste à une dégringolade des tarifs et à une dégradation des conditions de travail. Pour vivre uniquement du métier de traducteur aujourd’hui, c’est compliqué. D’autant que les clients nous donnent des délais de plus en plus courts. Mais on assiste effectivement à une demande qui explose actuellement, un peu comme ce fut le cas avec l’arrivée de La Cinq, dans les années 1980, quand des séries venues d’ailleurs ont commencé à débarquer en France. »
Alors, comment travaille un traducteur ? Comment fait-on pour réécrire les dialogues d’une série ou d’un film ? Anthony Panetto fait la distinction entre deux exercices distincts : la traduction pour des sous-titres et la traduction pour le doublage. « Ce sont deux approches du métier différentes. Dans les deux cas, on se base d’abord sur les épisodes, sur de l’audiovisuel.
Et c’est pour cela aussi qu’on essaye de coller au plus proche de la version originale, pour ne pas que le spectateur qui comprend une partie du son soit déstabilisé en lisant des sous-titres qui en seraient trop éloignés. Pour le doublage, il y a une gymnastique qui consiste à coller aux mouvements des lèvres, et aux appuis gestuels des comédiens à l’écran. Donc il faut adapter le texte et la traduction en ce sens, tout en conservant l’intention de la réplique. »
Surtout, il faut réussir à s’adapter aux différentes cultures. Réussir à retranscrire dans notre langue des traditions, des visions, voire des concepts qui nous sont parfois étrangers. Ainsi, Anthony Panetto insiste sur le fait que les traducteurs sont avant tout des auteurs : « On fait ce que j’appelle de la “tradaptation”. Cela veut dire que le plus important, c’est de respecter l’esprit de ce qui est dit dans la version originale. On ne cherche pas à faire de la traduction littérale, du mot à mot. Parce qu’il n’existe pas toujours de mot équivalent en français. Et puis parce que la culture n’est pas la même ici et là-bas. Par exemple, dans les années 1970, on ne parlait pas de “Halloween” ou de “Thanksgiving”. Ce sont des concepts qui n’étaient pas compris chez nous. Les auteurs français devaient avoir recours à des pirouettes ou à des concepts similaires, la Toussaint dans le cas de Halloween. Aujourd’hui, ce sont deux concepts culturels Anglo-saxons qui ont été assimilés par les Français, alors ce serait ridicule de ne pas les utiliser. »
Au bout de la chaîne, la traduction est ensuite vérifiée par le client, le plus souvent le diffuseur, qui relit et donne son avis, quitte à demander des ajustements ici ou là : « On peut nous demander d’édulcorer telle ou telle traduction, parce qu’on trouve ça trop violent, trop vulgaire ou autre. » Lorsque c’est une œuvre française traduite pour l’étranger, alors souvent, le réalisateur est là pour donner son avis et vérifier. Le traducteur est rémunéré en droits d’auteur via la Sacem et la Scam.
Reste qu’aujourd’hui, pour avoir régulièrement du travail en tant que traducteur audiovisuel, il faut surtout savoir bien parler anglais. Car la langue de Shakespeare représente 95 % du travail ! Malgré tout, il est bon de parler d’autres langues. « Moi, par exemple, je fais aussi de la traduction d’œuvres espagnoles », reprend Anthony Panetto. « Avec le développement des plateformes et autres, on a accès aujourd’hui en France à des séries venues d’endroits divers. Je pense à La Casa de Papel venue d’Espagne, à Dark venue d’Allemagne ou à des œuvres venues de Scandinavie. Après, pour des séries en langues dites « rares » ? dans le contexte audiovisuel ? certaines traductions se font à partir d’une langue relais, l’anglais le plus souvent. C’est le cas avec les animés japonais. J’ai écrit la version française d’épisodes de One Piece ou Dragon Ball Super, alors que je ne parle pas japonais ! J’avais à disposition l’audio japonais et le script traduit en anglais et avant l’enregistrement, mon adaptation française était relue par les chargés éditoriaux des clients, qui eux, parlent japonais. Ils s’assuraient qu’aucun contresens ne s’était glissé dans le français, via l’anglais. »