Le premier épisode des Aventuriers de l'art moderne n'est plus disponible sur notre site.
Une diversité de techniques
« J’ai travaillé avec une petite équipe de huit personnes, presque comme pour faire un court métrage. Nous avons utilisé différentes techniques : de la peinture sur verre, de l’animation traditionnelle papier (faite à la plume, au crayon ou autre), quelques séquences en peinture pour celluloïd, d’autres en marionnettes en papier découpé et enfin de l’animation en volume avec des maquettes. Nous voulions rester au maximum sur des techniques traditionnelles 2D avec des matières et des éléments qui nous permettaient de rester dans la même couleur que le sujet de la série, c’est-à-dire la création et l’aspect pictural. Nous souhaitions également un rendu un peu intemporel pour ne pas marquer de rupture entre le sujet et nous, qui travaillions sur ordinateur. Cette série est un peu comme un être humain. L’épisode 1 est l’enfance, il possède cette espèce de naïveté qui va avec cette période. Puis, jusqu’à la fin, l’animation devient plus adulte, plus réaliste. Il y a une mutation, comme pour un individu. La série est un peu dans la même veine que mon court métrage Mademoiselle Kiki et les Montparnos (César du meilleur court métrage d’animation en 2014, ndlr). Lorsque Silex Films m’a appelée pour me rencontrer, le projet de Dan Franck existait déjà. J’avais adoré ce livre que j’avais lu avant de réaliser Mademoiselle Kiki… Judith Nora et Priscilla Bertin, les productrices de Silex Films, ont vu mon court métrage et il y avait une évidence : elles voulaient aller dans cette même direction pour la série. Nous nous sommes engouffrées dans quelque chose de plus patchwork, avec une idée de liberté qui est le propre du sujet des Aventuriers de l’art moderne ».
Un travail à l’instinct
« L’animation était adaptée à chaque séquence. C’était notre pari lorsque nous avons commencé à réfléchir à l’identité visuelle de la série. Comme nous travaillions avec des artistes différents, une matière hétéroclite et une époque qui évoluait, il nous semblait évident de ne pas enfermer l’animation et de profiter - au contraire - du fait que son langage pouvait prendre des directions différentes pour affirmer des regards et des couleurs en fonction des époques et des influences picturales des artistes évoqués. L’épisode 2 de la série parle, par exemple, de Picasso et Braque à l’époque du cubisme et des collages. Je trouvais que s’emparer du collage pour raconter l’histoire était une force. La matière sert à la narration, mais, ceci dit, tout n’était pas pensé et calibré à 300% : il y avait aussi des envies et des intuitions. Nous avons joué dans certains cas avec la matière dont nous disposions. Par ailleurs, l’épisode 1 évoque Picasso à ses débuts. J’ai donc beaucoup travaillé avec des pastels et des choses fragiles pour apporter une certaine innocence. Mais le peintre est présenté sous plusieurs formes : nous nous sommes en effet rendu compte assez vite qu’il fallait aussi animer l’archive photographique pour la rendre encore plus tangible. Il était pour nous évident d’avoir cette ponctuation qu’est l’archive réelle, et de ne pas se contenter de dessiner Picasso. Il fallait matérialiser ces visages à certains moments pour que les artistes soient vraiment incarnés. »
La délicate question des droits
« L’une des difficultés du projet était ce côté foisonnant, avec beaucoup de personnages qui revenaient. Mais le plus compliqué a été la question des droits qui nous empêchait de travailler tous les artistes de la même manière. Pour incarner Matisse, par exemple, nous avions pris des archives filmées qui ne montraient pas le peintre mais un homme lui ressemblant. Nous avons finalement dû les enlever car les ayants-droit ne souhaitaient pas que Matisse soit représenté par une autre personne. Nous devions également montrer sa peinture en intégralité avec son cadre, avant de la représenter dans le détail. Les ayants-droit de Picasso ne souhaitaient pas de leur côté que l’on montre le geste du peintre. Il a fallu penser à une mise en scène en fonction de ces demandes. L’épisode 2 parle par exemple du « Work in Progress » du peintre lorsqu’il réalise Les Demoiselles d’Avignon. La solution trouvée avec les ayants-droit a été d’animer sans montrer les mains de l’artiste pour qu’il n’y ait pas d’interprétation sur sa manière de peindre. J’ai pu par contre animer la peinture de Soutine, car ses ayants-droit ne sont pas connus. De plus, le travail de Guillaume Apollinaire allait tomber dans le domaine public à la fin de la série. Nous avons donc pu nous permettre des libertés. Chaque épisode était écrit avec un archiviste en contact avec les ayants-droit pour s’assurer de la légalité de notre travail. Certaines séquences devaient ainsi être validées en amont par ces derniers et reprises s’il y avait le moindre problème. Il fallait penser en fonction de ces contraintes de réalisation. »
Un dialogue entre archives et animation
« Nous avions au départ la voix off que Dan Franck avait écrite, qui était un conducteur très clair. Après la recherche d’archives filmées, nous savions où allaient être les manques, notamment pour l’incarnation de personnages. Avant de travailler sur un épisode, nous faisions un premier déroulé, ce qui nous permettait de voir la répartition. Avec Pauline Gaillard et Valérie Loiseleux, avec qui j’ai coréalisé respectivement les trois premiers épisodes puis les trois derniers, nous avons vraiment travaillé ensemble. Nous nous faisions passer des montages où l’archive était posée et je venais réécrire puis découper la partie animation pour qu’elle s’entrecroise avec le matériel de départ. La série s’est faite en direct et sur des délais assez courts. Nous avons gardé le premier geste un peu spontané du pré-découpage de l’animatique. Il y a eu un dialogue intime entre le premier jet très simple et une écriture qui s’est faite au montage et au découpage du story-board. Chaque épisode demandait deux mois et demi de travail. Un pré-montage était réalisé avant que je n’arrive et ce dialogue archives/animation était ensuite réalisé en commun avec mes coréalisatrices. Ce travail entremêlant les deux était passionnant. Il permettait de confronter deux regards, celui du réel et celui de l’animation donnant du relief aux archives. »