On a l’impression que l’âge d’or du vidéo-clip s’est achevé au début des années 2000, avec l’avènement d’internet qui a coïncidé avec la crise du disque…
Emilie Chedid : Ce qui est sûr c’est que le paysage a changé. J’ai commencé à réaliser des clips au milieu des années 90, à un moment où les maisons de disques pouvaient investir beaucoup d’argent dans la promotion d’un artiste. Depuis, il y a eu de nombreux bouleversements. A l’époque, des chaînes comme M6, programmaient des clips presque en continu et à des heures de grande écoute. Cela permettait une grande visibilité et donc aux réalisateurs d’être reconnus. Sans parler des droits d’auteur. Aujourd’hui, il faut attendre le milieu de la nuit pour en voir à la télévision. Le milieu a certes changé mais dans nos sociétés saturées d’images, le vidéo-clip reste une expression plus que jamais vivante. Les musiciens ne peuvent pas exister sans un support visuel très fort. Il y a un nombre sans cesse croissant de films qui sont réalisés avec des budgets plus ou moins importants. Ensuite, ils sont à la disposition des fans ou des curieux qui peuvent les voir à loisir sur internet. La grande diversité qui émerge des nombreux dossiers que nous recevons pour l’aide avant réalisation, témoigne de cette vitalité…
Justement, dans cette commission, comment faites-vous pour départager tous les projets ?
Il faut préciser que la nature ou le statut de l’artiste pour lequel le clip est destiné, ne rentre pas en ligne de compte. Qu’il ou elle soit connu ne change donc rien. Ce qui importe, c’est l’univers du réalisateur et la façon dont il entend le mettre au service d’une musique. Chaque projet doit être accompagné d’un dossier très complet. L’identité visuelle du projet prime. Nous demandons ainsi un story-board afin de visualiser les choses, les sources d’inspiration... Il arrive que des réalisateurs proposent un programme composé de plusieurs vidéo-clips autour d’un même artiste. On juge la cohérence qui peut exister d’un film à l’autre. Nous finançons les projets à hauteur de 40 % de leur budget respectif.
Le secteur du vidéo-clip est-il réglementé ?
Non. Certains films sont réalisés avec des bouts de ficelles dans des conditions très précaires. C’est pourquoi il convient d’aider au maximum les réalisateurs afin que les tournages se déroulent dans des conditions normales, avec des équipes rémunérées. Un budget peut varier de 5 000 à 400 000 euros.
On imagine qu’un réalisateur de vidéo-clip est le plus souvent soumis à un cahier des charges qui peut brimer sa création. Il s’agit avant tout d’un travail de commande…
Un clip vidéo se situe entre le court métrage de fiction et la publicité. Chaque expérience est différente. Il m’est arrivé de travailler pour des chanteurs et des chanteuses qui avaient une vision très claire de l’univers qu’ils voulaient défendre, et d’autres qui, au contraire, se laissaient totalement porter par mes désirs. Dans les deux cas, c’est votre inspiration qui est mise à l’épreuve. Travailler avec des contraintes est stimulant. Vous essayez de maximiser les désirs de l’artiste. Lorsque vous partez de zéro, c’est également formidable, vous choisissez les costumes, les décors… C’est pour cela que le clip est une bonne école pour les futurs cinéastes.
Qu’est-ce qui caractérise un bon réalisateur de vidéo-clip ?
Il doit être créatif bien-sûr mais aussi rapide et efficace. Un clip se tourne en trois jours maximum. Mais le plus souvent un réalisateur ne dispose que d’une seule journée de tournage. Le réalisateur doit aller à l’essentiel, afin de rendre un « produit » conforme à ses désirs et à ceux des commanditaires. Un clip est aussi un territoire d’expérimentation, c’est un laboratoire dans lequel un réalisateur peut éprouver certaines techniques ou effets…
D’autant que certains clips sont de vrais petits films de fiction, comme celui de Thriller que John Landis a réalisé pour Michael Jackson en 1983…
Ça reste le modèle absolu ! Indépassable. Certains réalisateurs de clips ne se contentent pas, en effet, d’illustrer une chanson mais s’amusent à raconter une véritable histoire. Il y a une vraie direction d’acteur, un sens du montage très élaboré… Des gens comme Spike Jonze, Michel Gondry, Jonathan Glazer, ne sont pas devenus cinéastes par hasard. On sentait dans leurs clips une envie de dépasser le cadre et les formats. Aujourd’hui, on voit émerger tous les jours de nouveaux artistes venus d’horizons très divers. Le vidéo-clip reste une figure très libre. C’est un territoire de création magnifique.