Emily in Paris saison 3 : « Désacralisons la mode ! »

Emily in Paris saison 3 : « Désacralisons la mode ! »

20 décembre 2022
Séries et TV
Lily Collins, Ashley Park et Camille Razat dans « Emily in Paris »
STÉPHANIE BRANCHU/NETFLIX © 2022 Netflix, Inc

Total look fuschia, vestes bigarrées, imprimés improbables, silhouettes branchées qui se jouent des clichés… Emily in Paris est de retour ce 21 décembre pour une troisième saison ! De quoi ravir les spectateurs du monde entier qui attendent de découvrir avec impatience les tenues colorées et décalées de l’héroïne, tout droit sorties de l’imagination débridée de Marylin Fitoussi. La costumière à la bonne humeur contagieuse se confie sur sa façon de travailler, son « goût du moche », sa façon de mélanger jeunes créateurs et marques de luxe, ou encore l’importance du recyclage dans son métier.


Comment êtes-vous devenue costumière ?

Marylin Fitoussi, costumière de la série Emily in Paris Emmanuelle jacobson Roques
Ma mère était couturière. J’ai donc eu un rapport particulier au vêtement dès ma plus tendre enfance. Ma grand-mère, qui ne jetait rien, avait un grenier foisonnant qui me servait à me déguiser. J’y passais des après-midis entiers ! J’ai compris dès lors que l’on pouvait raconter des histoires par le biais des vêtements. Adolescente, j’ai découvert le monde du spectacle, les opérettes, le Lido, le Moulin rouge, tout cet univers de paillettes, de dorures, de plumes et de parures qui m’a émerveillée. J’ai découvert plus tard que je pouvais exercer le métier de costumière dans ce milieu à la fois féerique et excentrique qui me plaisait tant. J’ai fait l’École du Louvre puis l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art, où je devais effectuer un stage de fin d’études. J’ai rejoint l’équipe d’Angels & Bermans (qui existe toujours aujourd’hui à Londres), un loueur de costumes pour le cinéma, et ma vocation est née. J’ai été assistante costume sur Le mari de la coiffeuse de Patrice Leconte et j’ai rencontré une jeune créatrice de costumes, Charlotte David. Elle m’a fait venir sur Juste avant l’orage, un film contemporain de Bruno Herbulot, où nous devions relever le défi d’habiller une dizaine de comédiens en moins d’un mois ! Et puis j’ai découvert le travail sur les films d’époque grâce à Sylvie de Segonzac, alors propriétaire des Costumes de Paris, qui est devenue mon mentor. Elle m’a permis de former mon regard au vintage et m’a fait comprendre l’importance de conserver sa liberté de créer. C’est ce que j’aime dans le costume : jusqu’au dernier moment, il peut être modifié.
J’aime travailler le « vintage », j’aime l’excessif.
Marylin Fitoussi
Costumière

Qu’est-ce qui vous a donné envie de rejoindre l’aventure d’Emily in Paris ?

La simple opportunité de travailler sur un projet qui me correspond. Je savais que Patricia Field, la costumière attitrée de Darren Star avec qui elle a collaboré sur Sex and the city, était consultante sur la première saison d’Emily in Paris. Nous avons le même langage esthétique, le même univers. Comme Patricia, j’aime travailler le vintage, j’aime l’excessif,  ce qui se voit – c’est d’ailleurs pour cela que j’ai une préférence pour le costume d’époque et que j’admire tant les costumiers de films contemporains, où l’habit doit se faire oublier. Pour faire partie de l’équipe, j’ai dû passer un casting, au même titre que les comédiens. Cela permet de rassurer le réalisateur, de lui faire savoir qu’on arrive à être dans sa tête, à lire ses désirs. Comme disait Alexandre Astier (Marylin Fitoussi a travaillé sur le film Kaamelott - premier volet – ndlr) : « ce n’est pas ce que j’écris qui est important, c’est ce que je n’écris pas ». Darren Star sait ce qui marche, ce qu’il veut. Il aime le costume, il aime la mode, ce qui est joyeux. Il a un ton qui lui est propre et auquel j’adhère complètement.

Lily Collins et Ashley Park dans Emily in Paris - MARIE ETCHEGOYEN/NETFLIX 2022 Netflix, Inc

Comment avez-vous collaboré avec Patricia Field justement ?

Notre travail était très fluide et se complétait parfaitement. Je connaissais Paris, et j’ai apporté mes connaissances sur l’iconographie d’une parisienne. Par exemple, pour qu’un personnage représente le chic parisien, on se passera d’un maquillage trop marqué, de vêtements trop moulants. De même, lorsqu’on m’a demandé de créer un défilé « trash versaillais », j’étais dans mon élément grâce à mon expérience sur les films d’époque. La série m’a fait découvrir un peu plus l’univers de la mode – qui n’est pas la même chose que le costume, je tiens à le préciser. La mode s’adresse à des clientes alors que le costume parle de construire un personnage, de l’identifier en un seul regard et sans extrapoler. Je me souviens d’un bon conseil de Patricia qui m’a mise en garde sur les accessoires, qui se démodent très vite car liés à la mode du moment. Bien qu’on n’ait jamais cherché à créer de mode ou de tendance, nous avions à cœur d’être dans l’intemporel. D’ailleurs, quand les magazines de mode nous ont critiqués lors de la saison 1, nous avons bien ri. Nous ne sommes pas des « fashion designer » mais bien des « costume designer » ! On essaie, on ose, on combine nos trouvailles et on voit si ça fonctionne ou pas. Au départ, on tâtonnait avec le personnage d’Emily. On ne voulait pas en faire une jeune américaine en jean-baskets, ni l’archétype de la parisienne en trench et tee-shirt blanc. La seule ligne directive que nous avions - et qui s’applique d’ailleurs à toutes les saisons de la série – est que tout ce qui est ennuyeux n’a pas lieu d’être. Patricia m’a appris à n’avoir peur de rien, à oser mélanger et à ne pas laisser indifférent. Et le fait d’avoir la confiance de son réalisateur est confortable et rassurant. Ça débride !

Prendre en compte l’évolution des personnages et casser les codes.

Emily in Paris se distingue par son univers visuel et notamment vestimentaire très marqué. Comment avez-vous travaillé cette caractérisation des personnages avec les acteurs ?

Nous sommes partis du principe que l’habit fait le moine. L’équipe avait conscience que cette série serait regardée par des jeunes spectateurs, très probablement sur des téléphones portables. Les personnages devaient donc être visibles, et rapidement caractérisés pour « accrocher » les jeunes et éviter qu’ils « scrollent ». Ainsi, chaque personnage a un style bien défini : Emily, c’est l’OVNI américain, Sylvie, le chic à la française, Gabriel, le « boy next door », Camille, le minimalisme parisien, Julien, le look tout en couleurs… Les échanges avec les acteurs sont fédérateurs. Certains comédiens s’en remettent à vous dès lors qu’ils sentent le personnage. D’autres ont besoin de s’appuyer sur le costume pour nourrir leur imaginaire. Mais nous sommes toujours dans un processus créatif partagé. Par exemple, Lily Collins (qui interprète Emily) a en tête tous ses costumes depuis la saison 1. Elle sait quand un costume a déjà été porté, ce qui nous évite de nous répéter. Elle sait également dans quoi elle est à l’aise, ce que doit dégager son personnage dans telle ou telle scène, quelle forme ou quelle couleur peuvent l’aider à asseoir son personnage. Des qualités d’autant plus importantes lors des transitions entre deux saisons. Je sélectionnais deux-trois costumes et nous choisissions ensemble le plus flagrant pour avoir une progression de la silhouette en fonction de ce que le personnage vivait.  Quant à Darren, il regardait tous les essayages des comédiens par séquences via les documents Pdf que je lui envoyais. Ça l’aide dans sa mise en scène. Souvent, ce que porte Lily déterminait ce que les autres personnages allaient porter. De même, on prend en compte l’évolution des personnages, on veille à casser les codes… On a d’ailleurs gentiment bousculé les Américains sur leur représentation de la femme française qu’ils imaginent s’habillant de façon très moulante et sexy. À l’inverse, Kate Walsh, qui incarne la patronne texane d’Emily, a poussé la caricature jusqu’à l’extrême en portant cette robe Hervé Léger léopard ultraserrée qu’elle a remontée jusqu’aux cuisses – ce que je n’aurais jamais proposé pour un personnage de femme enceinte. Elle est de ces artistes qui vous nourrissent et vous galvanisent par leur liberté de ton. C’est cette légèreté que prône Emily in Paris à travers sa lettre d’amour à notre capitale : Moquons-nous les uns des autres !


Le personnage d’Emily est devenu une référence en matière de mode pour des milliers de jeunes qui s’amusent à reproduire son look sur les réseaux sociaux. Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Je pense que la série a autant d’impact car elle a donné un certain pouvoir aux gens : celui de se libérer des dictats des magazines de mode et des créateurs intransigeants qui décident de ce qui est de bon goût ou non. Emily in Paris est une série qui décomplexe ! L’héroïne s’assume, mélange le fuchsia, le rose bonbon et les paillettes parce que ça lui plait. Elle s’est affranchie de la dictature du style et là est notre réussite : celle de ne pas faire l’unanimité, de ne pas laisser indifférent. Par ailleurs, la série est sortie pendant le confinement, à une période anxiogène donc, et a fait l’effet d’un électron libre. Nous proposons une carte postale de Paris afin de distraire les gens d’une certaine morosité. Par ailleurs, chacun a pu s’identifier à tel ou tel personnage et s’est amusé à associer chez soi des vêtements de manière improbable, à mélanger des couleurs et des textiles…Et ça marche !

J’ai l’angoisse du textile unique, sans motif.

Quelles sont vos influences sur cette série ?

L’inspiration, je la trouve comme beaucoup dans la rue, à la terrasse d’un café, mais aussi sur Instagram et Pinterest, ce qui me permet de créer toute une bibliothèque visuelle. Je consulte aussi beaucoup de livres de photos mais peu de magazine de mode. Ayant cet amour pour les vêtements portés, qui dégagent une émotion, je me suis amusée à dénicher des pièces Vintage que j’ai mélangées à des pièces de jeunes créateurs comme Victor Weinsanto, Solène Lescouët, et des marques de luxe comme Balmain, Dior, Chanel. J’avais à cœur de montrer qu’il était possible de détourner voire de sublimer une pièce vintage grâce au parfait accessoire de mode. Par ailleurs, avant l’aventure Emily…, j’avais déjà une carrière dont 13 ans passés au Mexique où j’ai appris à mélanger le vintage et le contemporain. La mode au Mexique est assez succincte. J’ai donc développé une façon d’habiller sur les tournages faite de bric et de broc. C’est également ainsi que je m’habille depuis toute jeune. A 16 ans, je portais les tailleurs et les résilles de ma grand-mère. Je faisais déjà dans la surenchère d’imprimés car j’ai l’angoisse du textile unique, sans motif. Et bien sûr, les années 1980 m’ont également inspirée, car elles représentent mes années passées au Palace, aux Bains Douches… ça a forgé mon goût du moche !

Vous avez fait appel à des marques françaises réputées telles que Courrège, Alexandre Vauthier, Roger Vivier, Jean-Paul Gauthier, mais aussi à des petits créateurs comme Magali Pascal… Pourquoi cet éclectisme ?

Lily Collins dans Emily in Paris - MARIE ETCHEGOYEN-NETFLIX 2022 Netflix Inc
J’ai l’âge de faire connaître des jeunes talents, de transmettre et peut-être d’accélérer les carrières de jeunes artisans talentueux tels que Kevin Germanier, Pressiat, Ludovic de Saint-Sernin, Romain Thevenin, Léclisse , Maison Theil / Nicolas Theil Paris, Auwen jewelery… Autant d’univers foisonnant de créativité qui peuvent être vus à l’international. Il y a une relation de confiance qui s’instaure avec les marques, qui se mettent au service de l’histoire que nous racontons. Il arrive que certaines marques ne soient pas utilisées sur une saison car la collection du moment ne correspond pas à notre propos. Je reste fidèle aux rares personnes qui m’ont fait confiance dès la saison 1 de cet ovni jugé démodé. Par exemple, le créateur Stéphane Rolland a accepté de nous prêter l’une de ses robes pour une scène sachant qu’elle serait tâchée de peinture et que sa collection serait qualifiée de ringarde. Il a ri en affirmant qu’il était tout à fait d’accord pour désacraliser la mode !
Se délester des caricatures outrancières.

Comment avez-vous imaginé l’évolution du style de l’héroïne entre chaque saison ?

Lors de la première saison, tout était à définir : l’esthétique, les décors, les personnages. C’était exaltant ! Comme je l’expliquais, je n’étais pas habituée à faire dans cette exagération de ton, je craignais d’en faire trop. La saison 1 permet de poser les jalons, de se familiariser avec l’univers de la série. Lors de la saison 2, les acteurs ont assimilé leur personnage, leur code couleur, leurs costumes. Il n’y a plus besoin de rassurer les acteurs. Un langage s’est dessiné au fur et à mesure des épisodes. Pour la saison 3, je me suis délestée de certaines caricatures outrancières. Une fois encore, chaque personnage est écrit, stylisé, l’évolution est donc plus facile à marquer. Sans trop en révéler, je peux par exemple vous dire que je me suis amusée à créer des effets miroirs entre le personnage d’Emily et celui de Sylvie (Philippine Leroy-Beaulieu), notamment lors d’un épisode où il y aura un peu de l’une dans le style de l’autre et réciproquement. Ce sont des personnages assez similaires dans leur caractère : toutes deux sont jusqu’au-boutistes dans leur façon d’être et de penser. C’était très amusant de travailler cette influence réciproque.

Recycler, transformer, réinventer.

Dans vos compositions vestimentaires, le seconde main vous tient particulièrement à cœur. Depuis quand avez-vous entamé cette réflexion ?

J’ai toujours utilisé de la seconde main car j’ai conscience que l’industrie de la mode est l’une des plus polluantes. Par ailleurs, nous avions un très petit budget sur la saison 1. Nous avons tourné en plein mois d’août, à un moment où les bureaux de presse des marques sont fermés. Nous n’avons donc pas eu beaucoup de prêts de tenues. Il a fallu trouver un autre moyen de se « fournir ». Les vêtements d’occasion étaient la solution parfaite. Par ailleurs, la directrice de casting nous a mis en relation avec Philippe Guilet, ancien tailleur de Lagerfeld, Mugler, Gaultier…qui a fondé l’atelier Renaissance autour du développement durable et l’insertion sociale. Un projet formidable qui consiste à enseigner la couture à des personnes qui, pour des raisons diverses, ne parviennent pas a? accéder au marché? du travail. Ils utilisent alors des vêtements destinés a? l’abandon ou a? la destruction pour les « upcycler », c’est-à-dire les réinventer pour leur donner une nouvelle vie. Nous avons travaillé ensemble sur l’une des tenues que porte Mindy (Ashley Park), créée à partir d’une robe Sonia Rykiel déconstruite, et sur une robe de Sylvie conçue à partir de kimonos de judo et des chaînes de récupération chinées aux puce. Et pour la saison 4, je rêverais de recycler les costumes de la saison 1 en les transformant !

Le tournage se déroule en France, à Paris, à Versailles, mais aussi à St Tropez, en Provence, dans le Vaucluse, ce qui suggère une ambiance, une lumière différentes…  Cela influe-t-il dans le choix des costumes ?

Bien sûr ! C’est pourquoi mon travail suit de près celui du chef décorateur. Après tout, nous sommes tous au service de l’image. J’ai accès aux photos des repérages afin de déterminer les tonalités des costumes. Par exemple, une scène qui se déroule dans une bastide blanche et lumineuse va déterminer les nuances des tenues. Pour les scènes qui se déroulent en intérieur, comme à l’agence Savoir, j’ai également besoin de connaître la couleur d’un mur devant lequel va se tenir tel ou tel personnage afin de déterminer la gamme de couleurs du costume.

Quel nouveau défi avez-vous relevé sur la saison 3 ?

Se renouveler, encore et toujours. Continuer à surprendre, à être audacieuse… et à faire grincer un peu des dents ! Mon métier, c’est de créer, de provoquer. On adhère ou pas mais au moins, ça ne laisse pas indifférent !

Emily in Paris, saison 3

Emily in Paris, saison 3 Netflix
Le 21 décembre sur Netflix
Créée et réalisée par Darren Star
Scénario : Darren Star
Costumes : Marylin Fitoussi
Production : Jax Media, Darren Star Productions, Netflix, Paramount Network
Avec Lily Collins, Philippine Leroy-Beaulieu, Lucas Bravo, Camille Razat, Ashley Park…
Soutien du CNC : Crédit d’impôt international