Prix du Meilleur Unitaire et Prix de la presse étrangère Unifrance au festival de la fiction de La Rochelle 2024, À l’épreuve, réalisé par Askim Isker, coécrit par Fanny Chesnel et Noémie de Lapparent, raconte le destin d’Ambre (Frankie Wallach), jeune mère célibataire qui décide de s’émanciper de ses parents et du parcours tout tracé qu’ils avaient décidé pour elle. Confrontée à la réalité du marché du travail et forcée de trouver un appartement en urgence pour se loger avec son fils, elle accepte un poste d’éboueuse pour la Ville de Paris…
Quel a été le déclencheur scénaristique d’À l’épreuve ?
Fanny Chesnel : J’ai lu un jour un petit article sur la Fonctionnelle [les agents d’entretien de la Ville de Paris qui interviennent sur des lieux difficilement accessibles, comme sur le périphérique, ou qui nécessitent de plus gros moyens humains et matériels – ndlr]. Je ne connaissais absolument pas l’existence de ce « GIGN de la propreté », qui travaille dans l’urgence. Ils sont aux premières loges de beaucoup d’événements, et il y a là-dedans une dramaturgie évidente. Ce sujet est aussi un bon moyen pour parler des éboueurs qui sont souvent invisibilisés, alors qu’ils accomplissent sous nos yeux une vraie mission de service public. Je trouvais intéressant d’aller les regarder à la loupe, d’ausculter cette profession et de traiter des spécificités de la Fonctionnelle : leur métier nous assure qu’il y aura des interventions, de l’action et donc une promesse narrative intéressante. J’avais tenté d’en faire une série il y a des années, elle n’a finalement jamais vu le jour. Le sujet faisait peur, je crois. Mais je n’ai jamais lâché le projet, qui était très viscéral.
Avez-vous rencontré les agents de la Fonctionnelle avant d’écrire le scénario ?
Oui, c’était essentiel. Et j’ai découvert à ce moment-là que l’équipe était composée de profils extrêmement différents. Il y a aussi chez eux ce rapport à la dignité et à la honte, une pudeur et une fierté qui se mélangent. Et puis un jour, j’ai discuté avec une femme qui s’appelle Aïcha. L’une des premières, sinon la première, à entrer à la Fonctionnelle. Quelqu’un de flamboyant, avec son rouge à lèvres très rouge, son grand sourire, sa gouaille, son répondant. Elle élevait seule son fils.
Cette femme a donc été la base du personnage d’Ambre, la porte d’entrée dans cet univers ?
Exactement. Avec Noémie de Lapparent, qui m’a rejointe à l’écriture, nous avons déjeuné avec Aïcha. Elle était drôle et résiliente. Aïcha a été une muse pour écrire le personnage, même si nous n’avons évidemment pas repris sa vie telle quelle. Ce n’est pas un documentaire, nous assumons totalement la fiction, notamment dans les trames narratives avec les parents du personnage d’Ambre.
Vous parliez plus tôt de la question de la honte, qui se trouve des deux côtés de l’histoire : au travail, Ambre n’évoque pas ses difficultés à offrir un foyer digne de ce nom à son fils, et par gêne, elle ment à ses parents sur son métier. Comment avez-vous mis en scène ce sujet ?
Le mensonge est un moteur de narration puissant. Mais on voulait aussi parler du fait que cette profession est jugée indigne par beaucoup de gens. Ce n’est pas une vocation pour qui que ce soit, a priori. D’ailleurs le personnage d’Ambre s’en amuse au début du film, en disant qu’elle a toujours rêvé d’être éboueuse. C’est par ce biais d’ailleurs que son émancipation a lieu, qu’elle grandit et qu’elle devient réellement une mère indépendante et responsable de son enfant. C’est à travers les gens qu’elle rencontre dans son travail qu’elle va recréer sa famille et trouver sa vérité.
La partie sur la famille monoparentale que forment Ambre et son fils a-t-elle nécessité autant de recherches que celle sur la Fonctionnelle ?
Non, car nous avons autour de nous beaucoup d’exemples de femmes qui élèvent seules leur enfant. Ce travail s’est fait de manière intuitive, mais nous avons essayé de ne jamais être dans l’angélisme ou le misérabilisme. On s’est laissé guider par l’émotion, tout en trouvant l’ambivalence dans la relation entre Ambre et ses parents : des gens bienveillants, mais programmatiques et maladroits.
Comment avez-vous travaillé avec votre coscénariste, Noémie de Lapparent ?
C’était notre première collaboration. On a beaucoup parlé des personnages et de l’intrigue, qu’on a construite à deux. Le plus dur a été de lier les deux trajectoires, l’histoire personnelle et professionnelle, afin que l’on n’ait pas l’impression de suivre deux intrigues parallèles. À la fin, j’ai écrit les dialogues seule.
À quel point avez-vous été impliquée dans le tournage ?
Je suis tombée malade à cette période, donc je n’ai pas pu y assister. Je n’ai pas pu passer le relais comme je le voulais au réalisateur Akim Isker, mais il a immédiatement compris ce qu’on souhaitait raconter. Son travail est vraiment délicat et subtil. J’étais tout de même présente au moment des lectures avec les comédiens, pour ajuster les dialogues. Et avec Noémie, nous avons pu faire des retours sur le casting. Nous avons eu beaucoup de chance, car tous les acteurs apportent énormément à leurs personnages.
À l’épreuve est né dans votre esprit comme une série. Y a-t-il eu chez vous un sentiment de frustration de devoir faire rentrer cette histoire dans un unitaire de 90 minutes ?
Disons que nous sommes loin d’avoir tout traité dans ce téléfilm de 90 minutes ! Quand j’avais en tête la série, je voulais suivre les personnages sur un temps long, comme je peux le faire dans un roman. Et j’avoue que si l’opportunité nous était offerte de les retrouver, je dirais oui tout de suite ! Il serait tout à fait envisageable de faire une série en quelques épisodes, où l’on se focaliserait à chaque fois sur un personnage différent. D’ailleurs, certains nous ont dit que le téléfilm ressemblait à un pilote. C’est sûrement lié au fait qu’on y rencontre une galerie de personnages extrêmement hétérogènes et inspirants. C’est aussi une manière de sillonner Paris avec un regard différent.
Comment avez-vous vécu la célébration d’À l’épreuve au festival de La Rochelle ?
C’était beaucoup de joie et d’émotion. Cela donne un vrai coup de projecteur au film. Quant au prix de la presse internationale, c’était la cerise sur le gâteau ! C’est aussi une excellente nouvelle pour les éboueurs : j’espère qu’on va les regarder un peu différemment après la diffusion, qu’il y aura une rencontre qui s’opérera avec le public le plus large possible. Je ne crois pas qu’on va changer le monde, mais les fictions, à une toute petite échelle, peuvent contribuent modestement à faire bouger les lignes.
À L’ÉPREUVE
France Télévisions, 90’
Réalisation : Akim Isker
Scénario : Fanny Chesnel et Noémie de Lapparent
Avec : Frankie Wallach, Bernard Campan, Clémentine Célarié, Moussa Sylla, Zacharie Chasseriaud…
Production : Morgane Production, France Télévisions
Diffusion le mercredi 25 septembre à 21 h 05 sur France 2 et sur france.tv
Soutien du CNC : Aide à la production – automatique