Comment est née la série Un entretien et son personnage de DRH dont on peut découvrir actuellement la troisième saison sur Canal+ ?
Tout est parti d’un court métrage que j’avais conçu comme un one shot en 2016. Avec ce film, j’avais simplement envie d’explorer les problèmes de communication qui existent dans la société contemporaine à travers ce jeu de rôle et de dupe qu’est l’entretien d’embauche. Benjamin Lavernhe y jouait le candidat à l’embauche. Un entretien a été sélectionné en compétition au festival de l’Alpe d’Huez. Là, il a été repéré par Christelle Graillot qui travaillait à Canal+. Il existait à ce moment-là une envie très forte de la chaîne de développer un projet avec Benjamin. J’ai donc adapté mon court en série, mais en lui donnant cette fois-ci le rôle du DRH.
Quel est votre rapport au monde de l’entreprise ?
J’ai toujours voulu être réalisateur, mais ma mère m’a poussé après le bac à faire une école de commerce. Je connais donc le monde de l’entreprise en théorie comme en pratique, car j’ai commencé par travailler dans de grosses sociétés de production où l’on retrouve tous les types de personnages qu’y apparaissent dans la série. À l’intérieur de ce monde, je vois l’exercice de l’entretien d’embauche comme une arène où se concentrent tous les enjeux sociétaux possibles et imaginables puisque recruteurs comme recrutés sont dans un jeu de rôle, à essayer de faire bonne figure, et que tout le monde en a conscience.
D’où la colonne vertébrale du court métrage comme de la série : l’idée de la voix off où on entend ce DRH dire ce qu’il pense vraiment, en parallèle de ce qu’il exprime verbalement ?
Oui. Dans le court, je donnais même par ce biais la parole aux organes génitaux du personnage. Et dans la série, je joue avec cette idée qu’une pensée fugace peut vous déstabiliser et vous entraîner dans une situation dont il devient très rapidement impossible de se dépêtrer. Comme cet épisode où le DRH par peur de paraître raciste va surjouer le fait qu’il ne l’est pas… Un geste qui, de fait, a quelque chose de raciste. J’aime explorer cette ligne rouge en faisant à chaque fois le petit pas de côté qui rend le tout un peu grinçant.
Dès le départ, vous saviez qu’il y aurait une suite à la deuxième saison ?
Pas au moment du tournage. Mais à la fin de la première saison, Christelle Graillot – qui est décidément de bon conseil ! – m’a assuré qu’il fallait que je fasse trois saisons pour que la série s’installe. J’ai évidemment accepté. Car ces deux saisons supplémentaires allaient me permettre d’explorer d’autres choses, dans l’écriture narrative et visuelle. À la manière, par exemple, du décor qui change au fil des saisons sans que je ne cherche à l’expliquer ou le justifier. Dans la fabrication de cette série, la forme accompagne le fond, dès l’écriture.
Dans cette troisième saison, vous sortez aussi de cette logique d’entretien avec l’arrivée d’un nouveau boss qui décide de tout changer et de faire du DRH campé par Benjamin Lavernhe, le « directeur du bonheur ». Cette idée est née à la fin de la deuxième saison ?
Non, elle est venue au moment de l’écriture pour répondre à une demande de Canal+ de casser l’aspect répétitif des seuls entretiens. J’ai donc développé ce fil rouge du bonheur au travail imposé par le nouveau patron qui va pousser à bout l’ex-DRH qui voit par ailleurs son ex-petite amie, qui était son assistante, prendre sa place.
Autre changement dans cette troisième saison, le ton de la série se fait plus mélancolique. Pourquoi cette volonté
Au départ, j’ai fait de ce DRH un personnage pas forcément sympathique. Dans cette troisième saison, j’ai voulu montrer que s’il apparaissait ainsi, ce n’était pas vraiment de son fait mais parce qu’il subissait aussi beaucoup. On peut y avoir une certaine noirceur. Mais moi j’y vois l’inverse, quelque chose de lumineux : un homme qui éclot dans ce lieu d’enfermement.
Comment se crée le rythme entre mélancolie et comédie dans un espace de temps aussi court, puisque chacun des dix épisodes de cette troisième saison dure entre cinq et sept minutes ?
Or Benjamin m’a ouvert son carnet d’adresses de la Comédie-Française (Jean-Charles Clichet, Pauline Clément, Laurent Stocker…). J’ai affaire à des Rolls. Je répète avec l’ensemble du casting en amont et, à partir de là, je construis des schémas techniques extrêmement cadrés pour faire des prises très longues et garder au maximum ce temps du jeu.
Chaque épisode se réécrit beaucoup au montage ?
Oui, même si, au fil des saisons, j’ai pu prendre un peu plus mes aises au niveau de la durée, qui était limitée à trois minutes par épisode au départ. Le rythme du montage se construit beaucoup sur les allers-retours entre ce qui se passe en in et les commentaires en voix off. Sur le plateau, je filme de manière silencieuse tous les moments de voix intérieure du personnage de Benjamin. Puis, une fois à la table de montage, je commence par caler ma propre voix sur ces espaces de silence avant d’enregistrer, dans un deuxième temps, celle de Benjamin. Or nous n’avons pas le même rythme : je parle plus vite que lui et j’articule moins. Donc une fois cet enregistrement en boîte, je repars au montage pour une ultime phase afin de coller au plus près de son rythme.
Avez-vous prévu une saison 4 d’Un entretien ?
Pas pour l’instant. Chaque saison, je vole des jours de tournage à Benjamin qui a un planning de plus en plus dingue. On a désormais envie, lui comme moi – car on a appris à se connaître et qu’il est l’interprète parfait à mes névroses ! – de développer un projet moins en flux tendu. En l’occurrence un long métrage, mais qui ne se situerait pas forcément dans le monde du travail.