D’où vous est venue l’envie d’imaginer une série sur les événements de Kaboul et la reprise de la ville par les talibans ?
Fabienne Servan-Schreiber : J’étais en vacances en Grèce durant l’été 2021, et j’ai reçu un mail du journaliste et écrivain Jean-Michel Frodon, qui avait lancé une cagnotte pour récolter de l’argent afin que les artistes afghans puissent quitter le pays. Nous savions en effet que les talibans revenaient. C’était le 13 août. J’ai fait suivre ce mail à un nombre considérable de personnes, et le 15 août, les talibans sont arrivés. Il n’y avait plus d’avions privés, seulement des avions gouvernementaux. À partir de ce moment-là, j’ai été en relation avec les autorités françaises pour essayer de faire sortir mes artistes, puis des médecins que l’on m’a demandé de faire évacuer. Nous avons essayé de sauver le plus de personne possible, tout simplement. Pendant ces vacances, j’étais avec un jeune producteur qui s’appelle Matthias Weber, mon fils. C’est lui qui le premier a exprimé cette idée qu’il faudrait réaliser une série sur ce qui nous arrivait.
Matthias Weber, comment avez-vous pensé à décliner ces événements en série ?
Matthias Weber : C’était très impressionnant. Cette période fait partie de ces événements internationaux qui nous ont tous marqués. Tout le monde était un peu sidéré. J’étais très admiratif de l’investissement vraiment sans faille, jour et nuit, de ma mère, qui essayait de mobiliser les plus hautes autorités de l’État, puis du Royaume-Uni, des Qataris, etc. En temps réel, nous étions connectés aux personnes qui vivaient ces moments-là. Mais la vérité, c’est qu’ils étaient très désarmés face à tout ça. Et à travers cette expérience, j’ai vu un point d’entrée français assez évident pour parler d’un événement international bouleversant.
Comment est née cette coproduction dans le cadre de l’Alliance européenne ?
Fabienne Servan-Schreiber : Matthias a tout de suite appelé des auteurs, et moi, j’ai commencé à en parler à France Télévisions. C’était à Séries Mania en octobre 2021. France Télévisions nous a aidés en nous disant qu’il fallait monter ce projet avec l’Alliance [créée en 2018 par les groupes France Télévisions (France), RAI (Italie) et ZDF (Allemagne) qui ont décidé d’unir leurs forces pour développer et coproduire des séries télévisées européennes d’envergure – NDLR]. Ils sont donc allés chercher l’Italie et l’Allemagne. Et l’Allemagne a demandé à impliquer aussi les pays nordiques (Norvège, Danemark, Finlande, Islande, Suède). Ensuite, nous avons intégré la Grèce, la Belgique et les Pays-Bas.

Qu’est-ce que cela apporte de travailler avec autant de partenaires ?
Matthias Weber : Des financements. Parce que nous savions, dès la fin de l’été 2021, que cette histoire allait donner lieu, quoi qu’il arrive, à une adaptation en fiction. Nous nous disions que les Américains allaient s’en emparer. Finalement, il y a le film de Martin Bourboulon, 13 jours, 13 nuits, qui raconte l’évacuation de l’ambassade de France (en salles en 2025). Nous concernant, nous avions envie de faire une série, pour avoir le temps d’explorer un ensemble de points de vue, en partant d’une famille afghane. Nous avons revendiqué cette ambition d’être la grande série européenne sur ces événements. Chaque diffuseur a partagé cette idée : il valait mieux réaliser une série d’envergure ensemble plutôt que plein de petites séries, chacun de son côté.
Fabienne Servan-Schreiber : Nous avons ainsi tout filmé en langue anglaise, mais c’est assez anecdotique puisque, de toute façon, 95 % des téléspectateurs français regardent les séries en Version Française. L’important, c’est que nous avons réussi à garder le fait que les Afghans parlent leur langue.
Comment les diffuseurs ont-ils travaillé ensemble ? Les critères, exigences et contraintes étaient-ils différents ?
Charlotte Ortiz : Dans l’écriture, les auteurs ont dû répondre aux problématiques européennes requises par une coproduction avec des diffuseurs différents. C’est-à-dire avoir des personnages et des histoires qui soient emblématiques de chaque pays. Donc il fallait des Allemands, des Italiens, et pas seulement des Français au centre de l’histoire. C’était une première contrainte à l’écriture. Ensuite, il a fallu des comédiens de chaque nationalité. Puis, il y a eu des contraintes de tournage, liées à l’impossibilité de filmer en Afghanistan, évidemment.

Comment avez-vous justement pensé le tournage en Grèce ?
Fabienne Servan-Schreiber : Avant même de terminer l’écriture des scripts, nous sommes allés voir la productrice Sandrine Paquot, en lui expliquant qu’il fallait d’abord trouver un lieu de tournage avant d’aller plus loin. Elle a exploré le Maroc, la Jordanie, et d’autres pays, en tenant compte des paysages, de la figuration et des équipes techniques disponibles sur place. Et puis, il fallait que cela fonctionne avec les règles de coproduction internationale. En effet, nous cherchons à chaque fois le « rebate » : ce qu’on va dépenser dans un pays, ce pays nous en rend une partie. La Grèce offre 40 % de « rebate », et puis une population sur place très diverse, qui correspond à celle de l’Afghanistan. Enfin, le pays dispose de très bonnes compétences techniques.

La série bénéficie également d’un casting important, avec presque 5 000 figurants. Comment les avez-vous trouvés ?
Matthias Weber : Sur place. La région d’Athènes compte des camps accueillant des migrants, dans lesquels se trouvent des réfugiés afghans. Ce qui était assez bouleversant, parce que pour des séquences du tournage, comme la scène d’Abbey Gate à l’aéroport de Kaboul [l’attentat-suicide du 26 août 2021 –NDLR], certains avaient vécu ces événements que nous reconstituions. C’était fort en émotion. Nous avons toujours fait les choses avec beaucoup de bienveillance, et la plupart des Afghans sont heureux que nous racontons leur histoire, que nous parlons d’eux et que nous rendons hommage à leur courage et à leur parcours.
Que voudriez-vous que le public retienne d’une série comme Kaboul ?
Fabienne Servan-Schreiber : D’abord la tragédie derrière cette histoire. Et l’enfermement du peuple aujourd’hui sur place. D’ailleurs, nous terminons avec un hommage aux femmes afghanes. À l’heure où le monde occidental se ferme aux réfugiés et aux migrants, raconter la vie de ces gens-là, expliquer pourquoi ils quittent leur pays est nécessaire afin de remettre en avant une vérité sur la situation géopolitique de notre planète.
Kaboul, minisérie en 6 épisodes

A voir sur France.tv et dès le 31 mars 2025 sur France 2
Créée par Olivier Demangel, Thomas Finkielkraut
Écrite par Olivier Demangel, Thomas Finkielkraut et Joé Lavy
Réalisée par Kasia Adamik et Olga Chajdas
Avec Jonathan Zaccaï, Thibault Evrard, Olivier Rabourdin, Shervin Alenabi…
Produite par Fabienne Servan-Schreiber, Matthias Weber, Thibault Gast et Charlotte Ortiz
Musique de Flemming Nordkrog
La série a bénéficié du Fonds de soutien audiovisuel (aide automatique) du CNC.