Le réalisateur Pierre Schoeller plonge « Dans l’ombre » des politiques

Le réalisateur Pierre Schoeller plonge « Dans l’ombre » des politiques

24 octobre 2024
Séries et TV
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« Dans l’ombre »
« Dans l’ombre » France.tv/Elzévir Films

En adaptant le livre d’Édouard Philippe et Gilles Boyer en série pour France 2, le réalisateur de L’Exercice de l’État crée un univers politique détaché de l’actualité immédiate, mais profondément enraciné dans le réel. Un travail d’équilibriste qu’il nous détaille. Entretien.


À l’origine de la série, il y a le livre d’Édouard Philippe et Gilles Boyer, Dans l’ombre. Comment l’avez-vous adapté ?

Pierre Schoeller : Il n’y avait pas de couleur politique précise dans le livre. Ce qui fonctionnait sur le papier, mais pas pour une série. Il fallait donc poser un univers politique plus précis. C’est pourquoi j’ai proposé que ce soit celui de la droite. Baron noir avait en effet déjà exploré le terrain de la gauche, et je trouvais pertinent qu’il y ait une série qui campe clairement celui de la droite. Nous avons dessiné un monde politique parallèle, avec une opposition et tout ce qui va avec, c’est-à-dire des affiches, des sujets de division, des thèmes de campagne, etc. Dans chaque épisode, nous décrivons l’entourage, tous ceux qui papillonnent autour de ce monde politique, à travers des archétypes que Gilles Boyer et Édouard Philippe ont rencontrés dans la réalité, sans pour autant faire directement référence à des personnes existantes. L’idée est de mieux faire connaître ceux qui font vivre la politique derrière les têtes d’affiche. Et montrer comment un événement extérieur peut venir gripper cette machine bien huilée…

Dans l’ombre a-t-elle l’ambition d’être une série politique résolument réaliste ?

Ce n’est pas nécessairement la série la plus réaliste. Je pense même qu’elle est assez déjantée. Il y a plein d’éléments irréalistes. Tout dépend où l’on met le focus. Ici, nous avons fait la lumière sur une équipe en campagne, sur le doute qui s’installe. C’est une série qui raconte ce qui se passe lorsqu’on commence à douter du patron et de son engagement. « Pour qui est-ce que je travaille ? » « Qui est cet homme que je croyais connaître ? » Des questions cruciales en politique, car on ne peut s’y appuyer que sur une seule chose : sa foi en un homme ou une femme, quelqu’un à qui l’on donne sa vie ! Alors, que faire quand on se rend compte qu’on s’est trompé ? Gilles Boyer et Édouard Philippe en ont fait un roman. C’est juste un roman. Il faut détacher la politique de ceux qui la font.

Ce qui m’intéresse, c’est de filmer le temps présent. Je trouve que la politique est l’endroit idéal pour faire une photographie de l’époque. 

Quelle a été la place d’Édouard Philippe dans le processus d’écriture ?

Il a directement participé à l’écriture de plusieurs épisodes, tout comme Gilles Boyer. Mais il ne venait pas vraiment sur le plateau. Les scénaristes viennent peu sur les plateaux. Édouard Philippe est venu une fois et il a largement échangé avec les comédiens, partagé son expérience…

Avez-vous essayé de décorréler la fiction du réel au maximum ?

Il ne faut pas confondre le réel et l’actualité. On sait que le paysage politique est fluctuant. Nous avons voulu détemporaliser l’action absolument. Notre fiction ne fait pas de clin d’œil à l’actualité, nous ne titillons pas ce qui se passe dans les nouvelles du moment. En revanche, nous sommes ancrés dans le réel ! La scène où Marie-France (Karin Viard) apprend sa défaite, c’est un vrai morceau de politique réelle, ce moment de la chute, rarement montré à l’écran, c’est quelque chose de fort.

 

Vous aviez réalisé L’Exercice de l’État en 2011 pour lequel vous aviez remporté le César du meilleur scénario. Qu’est-ce qui vous fascine autant dans le monde politique ?

Ce n’est pas un milieu qui m’excite particulièrement. Ce qui m’intéresse, c’est de filmer le temps présent. Je trouve que la politique est l’endroit idéal pour faire une photographie de l’époque. L’Exercice de l’État m’a permis d’être reconnu par le milieu politique. Il est même étudié à Sciences Po. Donc, je pense qu’il montre quelque chose de juste. C’est aussi parce que j’ai fait ce film que j’ai été contacté par les productrices Marie Masmonteil (Elzévir Films) et Marie Dubas (Deuxième Ligne Films) pour adapter le roman d’Édouard Philippe et Gilles Boyer.

Sur la durée d’une série, nous avons le temps de dessiner un personnage dans toutes ses contradictions. Mon travail, ce n’est pas de rendre sympathique ou antipathique, mais d’explorer l’humanité. 

Quelles ont été vos influences en réalisant Dans l’ombre ?

La série The West Wing [Aaron Sorkin] a été une influence au départ, mais j’ai vite réalisé que l’écriture d’une série américaine n’est pas du tout la même que celle d’une série française. Et puis j’ai été frappé par le film Don’t Look Up [Adam McKay], qui est visuellement très efficace, très disparate dans son imagerie. Il dépeint un réel qui opère une diffraction permanente avec l’image. Un réel utilisé comme un écho au cœur des images… J’avais très envie de faire cela dans la série et de jouer ainsi avec l’esthétique.

Comment expliquez-vous l’engouement du public pour les séries politiques ?

Je crois qu’il y a une véritable demande de politique dans la société. Un besoin profond même. C’est pour cela que la fiction s’empare autant de ce sujet avec succès. Cela permet, d’une certaine manière, aux citoyens de renouer avec leurs politiques. Mais mon travail, ce n’est pas de rendre sympathique ou antipathique, mais d’explorer l’humanité. Sur la durée d’une série, nous avons le temps de dessiner un personnage dans toutes ses contradictions. Quelle image donne Dix pour cent du milieu des acteurs ? On le connaît mieux. Mais en sort-t-on avec une meilleure image du monde des agents ? Je n’en suis pas sûr… La série montre aussi la cruauté du milieu politique et ses coups bas. L’époque est ainsi. Nous sommes dans un temps d’hyperviolence. Et je pense au contraire que mettre à l’écran un brin de lucidité, un brin de justesse, peut provoquer l’inverse. D’une certaine manière, nous donnons des repères pour mieux comprendre la politique. Déconstruire un peu le système ne le dévalorise pas.

Dans l'ombre

« Dans l’ombre »

Dans l’ombre– saison 1 en 6 épisodes – à voir sur France 2
Créée par Pierre Schoeller d’après le livre de Gilles Boyer et Édouard Philippe
Écrite par Pierre Schoeller, Lamara Leprêtre-Habib, Édouard Philippe, Cédric Anger et Gilles Boyer
Produite par Marie Masmonteil (Elzévir Films) et Marie Dubas (Deuxième Ligne Films)
Réalisée par Guillaume Senez

A partir du 30 octobre sur France 2 et France.tv

Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (FSA)