Les Engagés est souvent décrite comme la première série française qui revendique son identité gay et lesbienne. C’était une nécessité qu’elle existe enfin chez nous ?
La télévision et les séries ont une certaine obligation de représentation, mais on a pas mal de retard sur ces questions-là en France. La première série LGBT en Angleterre, par exemple, c’était Queer as Folk en 1999... Il y a peu de séries qui représentent les minorités chez nous, même si ça commence à changer. On a fait partie de ce mouvement.
Vous avez été président de l’association LGBT Moove ! Lyon. Même si la série n’est pas autobiographique, elle se veut très réaliste...
Effectivement, je connaissais bien cet univers associatif, cela m’a permis d’en faire un traitement réaliste dans la série. Même si j’ai travaillé sur la saison 1 presque dix ans après avoir quitté Lyon... Il était cependant important de mettre de la fiction dans Les Engagés. Bien qu’on tourne dans les véritables locaux du centre LGBTI de Lyon, on a inventé un nom, une association et on indique clairement qu’on raconte l’histoire de personnages de fiction. Nos personnages sont imparfaits, on ne voulait pas qu’il y ait d’amalgames. Par ailleurs, je garde des sentiments assez complexes de mon passage par le militantisme. Les Engagés permet de dire qu’il est indispensable qu’il y ait des militants dans le monde d’aujourd’hui pour dénoncer ce qui ne va pas. Mais en même temps, militer est une vie impossible, à l’image de ce qu’on raconte dans la série. 90 % de l’énergie qu’on dépense est inutile, liée à des luttes internes et non aux problèmes contre lesquels on est censé lutter. Il y a beaucoup de divisions entre des gens qui se retrouvent sur les diagnostics, mais qui sont en désaccord sur la manière de lutter. Tout le défi de l’associatif, c’est de réussir à fabriquer de l’action collective. Sachant que, et c’est aussi de ça dont parle Les Engagés, les gens qui décident de militer dans une association viennent souvent parce qu’ils ont d’abord un problème à régler avec eux-mêmes. Et ce n’est pas toujours facile d’aider les autres quand on n’a pas réglé ses propres problèmes.
C’était votre cas ? Vous vous êtes inspiré de votre propre parcours ?
Oui bien sûr, même si aucun personnage n’est inspiré de personnes croisées dans la vie réelle. Mais évidemment que ces caractères, ces traits psychologiques, ces tendances de fond sont des choses que j’ai pu observer et qui m’ont concerné aussi.
À l’origine, Les Engagés était diffusée sur la plateforme Studio 4. Mais elle a été très compliquée à vendre…
Quand je suis devenu scénariste, c’est la première série pour laquelle j’ai écrit un pilote. C’était en 2011. Pendant toutes les années qui ont suivi, je n’ai pas réussi à la vendre. Tous les producteurs me disaient que c’était impossible à produire en France. Il faut se souvenir qu’à cette époque, il n’y avait pas de streaming et que la fiction était uniquement diffusée à la télévision. C’était impossible d’envisager un programme avec une très large majorité de personnages LGBT sur une grande chaîne française. Mais je n’ai jamais cessé de travailler dessus. Le projet a évolué et les choses se sont débloquées quand les plateformes de fiction sur le Web ont émergé, comme Studio 4 (France Télévisions). Il y a eu de fait un appel d’air. Et, curieusement, tout ce qui rendait ce projet impossible à produire à la télé est devenu un atout sur le Web. Notamment le fait d’avoir une communauté internet sur laquelle s’appuyer pour faire connaître la série.
C’est France.tv Slash qui va diffuser la saison 3. Est-ce que ça a changé des choses en termes de production ?
Studio 4 a fermé juste après la diffusion de la saison 2 et on savait que l’avenir de la série serait ailleurs. Pour nous, ce fut l’occasion de la réinventer un peu. France.tv Slash n’était pas forcément intéressé par des formats courts et cela nous a incités à modifier la durée de la série. On a décidé de s’interroger, d’envisager cette saison 3 comme un nouveau départ, même pour ceux qui n’avaient pas vu les premières saisons. À l’arrivée, on a choisi de faire trois épisodes de 45 minutes — contre des épisodes de dix minutes précédemment. Ça s’appelle Les Engagés : XAOC, mais il faudra regarder cette troisième saison pour comprendre ce que ça veut dire ! L’idée a été de placer nos personnages dans une histoire plus grande, et plus seulement dans leur quotidien. Voir comment ils vont réagir quand il leur arrive quelque chose d’extraordinaire... Il y a un grand mystère qui sous-tend toute la saison.
On attend cette nouvelle saison depuis trois ans. Où en êtes-vous ?
On vient de terminer la postproduction, donc pour nous, c’est bouclé ! Ce sera diffusé cette année, c’est tout ce que je peux vous dire.
Vous avez écrit Les Engagés : XAOC comme une dernière saison ?
Je vous le confirme. La deuxième saison se terminait de manière très ouverte donc il fallait faire cette saison 3. Après, même si notre passage sur France.tv Slash nous a apporté un peu plus de budget — on a pu filmer en partie à Bruxelles notamment — cela reste des projets très fatigants pour les équipes, qui demandent beaucoup d’engagement. On ne peut pas tirer sur la corde trop longtemps. C’est l’économie qui dicte ça d’une certaine façon. On s’engage sur une durée courte, pour faire éclore des projets qui ne pourraient pas exister autrement.
Quel message avez-vous envie de laisser avec la fin de la série ?
Je crois que le plus intéressant, à l’échelle de la télé française, c’est cette question de la diversité. Se dire qu’on a pu représenter des tas de personnages qu’on avait très peu vus à la télévision française jusque-là. Je me souviens que lorsque l’on filmait la saison 1, j’avais dans l’idée de parler de transidentité dans la saison 2. Mais à l’époque, des acteurs trans, je n’en connaissais pas. Quatre ans plus tard, les choses ont changé. C’est vraiment une évolution intéressante de la profession. Une jeune personne qui faisait sa transition, à l’époque, se disait qu’il/elle ne pourrait jamais être acteur/actrice. Aujourd’hui, c’est possible.
Récemment, on a vu Pose ou Sense8, des séries LGBT+ qui sont devenues populaires et qui ne s’adressent plus seulement à cette communauté. C’est aussi une évolution majeure, non ?
C’est l’époque qui veut ça… Quand on voit que It’s a Sin, une série qui parle du sida dans le milieu LGBT des années 80, a fait un carton cette année en Angleterre... Je crois que personne n’aurait misé dessus. En fait, avec le temps, on a compris qu’il n’était pas nécessaire d’être LGBT pour apprécier une série parlant des LGBT. Mais cela demande de montrer cette diversité régulièrement à l’écran. Mais il y a encore du travail en France. Quand on parle de Pose, la série américaine dont les personnages principaux sont tous des acteurs transgenres et de couleur, je ne suis pas sûr que cela puisse se faire demain chez nous...
Les Engagés : XAOC
Réalisation : Sullivan Le Postec et William Samaha
Scénario : Sullivan Le Postec
Avec : Mehdi Meskar, Éric Pucheu, Denis D’Arcangelo, Adrián De La Vega...
Production : Christian Delhaye, Sophie Deloche, Dylan Klass, Baptiste Rinaldi