Des fonctions différentes en France
« En France, ce métier ne fonctionne pas comme aux États-Unis où les showrunners sont également – en règle générale – les producteurs de la série. Il y a des différences à tous les niveaux, même outre-Atlantique : certains sont, par exemple, créateurs de séries, d’autres non, car il est tout à fait possible de diriger une fiction sans en être à l’origine. En France, ce métier tend à se développer en raison de la profusion de séries. Il y a un vrai engouement pour ces dernières, ce qui a permis de remettre sur le devant de la scène les scénaristes et les showrunners. Le milieu s’est rendu compte qu’un chef d’orchestre était nécessaire pour garder la mémoire de la série et répondre à tous les interlocuteurs impliqués dans sa fabrication. »
Le showrunner, un directeur d’écriture
« Avant de choisir les scénaristes de la série, mon rôle est de faire des propositions pour construire une intrigue et faire évoluer les personnages. Mais le showrunner ne travaille jamais seul, surtout sur des séries qui demandent beaucoup de temps et d’énergie. Il noue un partenariat avec le producteur. Sur Engrenages, je formais ainsi un vrai duo avec Vassili Clert avec lequel j’ai d’ailleurs cofondé ensuite la société Sortilèges Productions. En partenariat avec Canal +, nous avons pris en charge la fabrication de la série. Une fois l’intrigue validée par la chaîne, j’ai développé les arches narratives (les intrigues principales qui structurent la série – NDLR) avec Simon Jablonka, mon coauteur, avant de choisir une équipe de scénaristes que j’ai encadrée. »
Un métier à responsabilités
« Comme d’autres scénaristes, j’ai appris ce métier par la force des choses. J’ai coécrit les saisons 3 et 4 sans avoir le contrôle de la série. Puis de scénariste en chef, je suis peu à peu devenue directrice d’écriture et productrice artistique (donnant son avis aussi bien sur les décors que sur le casting – NDLR), car je connaissais bien l’univers et les personnages de la série. Je savais ce que je voulais raconter. Certains scénaristes ont vocation à devenir showrunner, d’autres préfèrent travailler avec un chef d’orchestre qui les accompagne plutôt que prendre la lourde responsabilité de diriger l’écriture : le showrunner est en effet le garant de la bonne fabrication de la saison. C’est également un métier où l’on est en première ligne : il faut avoir des idées, savoir les exposer aux différents interlocuteurs… C’est un poste de manager peu évident, car nous n’avons pas fait d’école (des formations existent désormais, notamment à la Fémis – NDLR) : nous l’avons appris en même temps que les producteurs et les chaînes, en fabriquant des séries. ».
Un interlocuteur privilégié
« Il y a de plus en plus de showrunners en France, car les chaînes et producteurs se sont rendu compte de l’intérêt d’avoir un auteur responsable, capable de dire aussi bien au repéreur qu’à la directrice de casting ou au réalisateur : « Attention, si cette séquence a été écrite ainsi c’est pour telle raison. » Ils sont pour la plupart très contents d’avoir un interlocuteur unique faisant le lien entre les différentes personnes impliquées dans le développement de la série. »
Un métier de partage
« C’est un vrai travail commun : tout l’objet de ce métier est de créer une complicité dans une famille de travail. Je n’impose rien par la force, il y a beaucoup de discussions, notamment avec les comédiens pour leur expliquer certaines situations et essayer de comprendre ce qui leur déplaît dans certaines scènes. Je n’ai jamais eu besoin d’imposer des choses, mais j’ai toujours partagé avec les personnes qui m’entourent : il faut être ouvert et attentif à ce que disent les autres personnes impliquées dans la production, ce qui permet de s’enrichir soi-même. J’ai, par exemple, beaucoup appris avec les comédiens qui ont une connaissance intime du personnage qu’ils portent en eux. Le plus important est de faire la meilleure série possible : nous sommes au service d’une œuvre et je mets tout mon talent pour y parvenir en m’appuyant sur d’autres talents. »
Le synonyme d’un changement profond
« Le contenu et la forme de nos fictions ont été repensés grâce aux séries. Leur arrivée a mis les scénaristes sur le devant de la scène. Le travail des auteurs est peut-être davantage pris en compte qu’auparavant. Scénariste depuis 25 ans, j’ai assisté à cette évolution. J’écrivais des fictions de 90 minutes, mais une fois mon travail terminé, le réalisateur arrivait et je disparaissais : tout était très cloisonné. Aujourd’hui, ce n’est plus possible, nous avons besoin de travailler ensemble. Je suis actuellement en train de préparer le tournage d’une minisérie pour TF1 et je travaille main dans la main avec la réalisatrice : nous échangeons beaucoup tout en respectant la place de chacune. Mais nous avons besoin l’une de l’autre. »