Deux ans après le Mali, Sentinelles se déplace en Ukraine. Pourquoi ce choix ?
Antoine Szymalka : Dans la foulée de la sortie de la saison 1, la France a retiré ses troupes du Mali. Nous ne pouvions donc pas continuer l’histoire là-bas. Nous nous sommes demandé quelle autre zone du globe rassemblait aussi des militaires français. Nous avons pensé à la Ligne bleue, qui est cette zone tampon gérée par l’ONU au Liban, à la frontière avec Israël. Une zone devenue tristement célèbre depuis quelques mois. Mais à l’époque, il y a deux ans, il s’agissait simplement d’une zone tampon du Moyen-Orient où sont historiquement déployées des centaines de Casques bleus français. Nous avons commencé à écrire sur le sujet avec Thibault Valetoux et Frédéric Krivine. Nous avons établi des arches puis la guerre en Ukraine s’est soudainement déclarée. Quelques semaines plus tard, Frédéric Krivine me suggère de laisser le Liban pour traiter l’Ukraine. Nous ne pouvions pas passer à côté d’une guerre sur notre continent. Nous avons donc bifurqué sur ce terrain, mais il a ensuite fallu trouver une intrigue impliquant nos personnages. Parce qu’aucun soldat français n’a mis le pied en Ukraine officiellement. Nous sommes tombés sur cette histoire de GPA en Ukraine et y avons plongé les personnages de Sentinelles.
Vous êtes-vous demandé si ce n’était pas trop tôt pour faire de ce conflit un sujet de série ?
Jean-Philippe Amar : Non, parce qu’en plaçant le point de départ au moment de l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes, nous avions suffisamment d’éléments pour déployer une trame précise. Il ne s’agissait pas de fabriquer un scénario de politique-fiction. Les auteurs se sont documentés et ils ont découvert que la France avait déployé des soldats en Roumanie, pour protéger les frontières de l’OTAN.
A.S : Nous nous sommes tout de suite dit qu’il fallait que l’histoire se déroule dans une temporalité très courte. La saison 2 commence la veille de la guerre en Ukraine et se finit quelques jours plus tard. Elle s’étale sur quatre ou cinq jours. Comme nous avons écrit quelques semaines après le début du conflit, toute cette période appartenait déjà à l’Histoire. D’une certaine manière, en écrivant le scénario en avril 2022, nous réalisions déjà une série historique.
Est-ce à dire qu’on évite de faire de la géopolitique, en privilégiant la petite histoire dans la grande ?
J-P.A: Oui, c’était notre parti pris. Nous n’avons pas voulu faire une fiction qui aurait été trop collée au réel. Ça aurait cassé la distance.
A.S : Et puis ce qui nous intéresse surtout, ce sont les récits humains, les destins des personnages, qui nous racontent une forme d’humanité dans le grand mouvement de la guerre. Nous ne sommes pas là pour faire une fresque historique racontant toute la guerre en Ukraine. Ce n’est pas le même genre de production ou d’imagerie. L’idée n’a jamais été de raconter les combats, mais plutôt les destins de gens, de civils qui se retrouvent à faire la guerre, tandis que nos soldats français sont postés en Roumanie et, eux, ne font pas directement la guerre.
Comment restitue-t-on le réel dans une fiction à budget raisonné ?
J-P.A : Nous avons tourné la partie ukrainienne en Lituanie. Et la partie roumaine, sur l’OTAN, a été filmée à Mourmelon, une base située dans la Marne, dans l’est de la France. Après, je suis habitué à travailler dans cette économie. Ce qu’il faut, c’est de la cohérence entre le scénario et sa faisabilité. À partir du moment où il y a cette cohérence, je peux tourner ce qui est écrit.
A.S : Le talent de Frédéric Krivine, c’est justement d’écrire des séries qui sont faisables, en matière de coûts et de moyens. Thibault Valetoux et lui n’écrivent pas des séquences que nous ne pourrons pas se payer. Cela étant, il faut des comédiens qui acceptent de jouer le jeu d’un tournage qui se fait à un rythme soutenu, parfois dans des conditions climatiques compliquées, puisque nous avons pas mal filmé dans le froid et la neige. Mais cela apporte aussi une certaine énergie sur le plateau, qui donne une série nerveuse et efficace.
Comment rendre à l’écran les horreurs d’une guerre encore en cours, sans tomber dans une forme de cynisme ?
J-P.A : Je me suis beaucoup documenté. J’ai regardé de nombreux reportages sur la réalité de la guerre en Ukraine, en essayant de trouver des références de réalité, pour former un socle sur lequel s’appuyer. Comme je viens du documentaire, j’ai naturellement un rapport au réel très fort. J’ai plus envie de filmer des choses réalistes que de magnifier la guerre. Et puis nous avons fait appel à des comédiennes et comédiens ukrainiens. C’était une condition importante pour moi. Je trouvais essentiel de trouver des professionnels ukrainiens pour jouer certains rôles secondaires, à intégrer à notre troupe. Nous en avons trouvé en Lituanie ou à Berlin, qui avaient fui la guerre.
Quelles différences avez-vous notées par rapport au tournage de la saison 1 qui s’était déroulé au Maroc ?
J-P.A : La première saison au Mali parlait vraiment de l’impuissance de la France en Afrique. D’un ennemi très difficile à trouver. Il y avait cette idée de filmer l’attente des militaires, dans une forme de western, au milieu de ces grandes étendues arides. La saison 2 est beaucoup plus dans l’urgence. Tout va très vite, puisque l’intrigue se déroule sur cinq jours. Il a donc fallu traduire cela de manière bien différente à l’image. Et le décor glacé est totalement à l’opposé de la saison 1. La neige est presque un personnage de la saison 2. Les paysages de Lituanie sont bien différents aussi, plus montagneux, plus arborés. Toute cette atmosphère a contribué à créer de la tension.
Comment avez-vous pensé la place de la musique d’Éric Neveux, honoré au dernier festival de La Rochelle ?
J-P.A : Dans la saison 2, il y a beaucoup de routes et de bruits autour. Et je voulais qu’Éric rebondisse dessus. Je lui avais donné comme référence le film de Lars von Trier, Dancer in the Dark. Cette idée de la musique qui vient se confondre avec les outils. Un coup de marteau donne naissance à une mélodie, etc. Nous avons voulu jouer avec ça, comme le bruit du marquage au sol qui sonne comme une mélodie quand on est dans la voiture. Il s’est magnifiquement emparé de cette idée.
Pensez-vous déjà à une saison 3 de Sentinelles ?
A.S : Le Liban serait d’actualité, mais cette actualité est encore trop instable pour écrire un récit qui soit fiable en aussi peu de temps. Maintenant, nous avons envie de faire une suite. Nous avons créé des personnages et un type sériel qui nous paraît important parce qu’il réagit à chaud à l’actualité, ce qui est très rare en France. Sentinelles a désormais cet ancrage d’une série militaire parlant de sujets impliquant la France aujourd’hui. De là à avoir une saison 3 dans les tuyaux, il est trop tôt pour le dire.
Sentinelles - Ukraine, 6x52mIn
Créée par Thibault Valetoux, Frédéric Krivine
Réalisée par Jean-Philippe Amar
Produit par Antoine Szymalka et Emmanuel Daucé (Tetra Media Fiction)
Musique composée par Éric Neveux
Avec Pauline Parigot, Louis Peres, Yannick Choirat…
A voir sur Ciné+ OCS
Soutien du CNC : Fonds de soutien audiovisuel (Aide à la production – automatique)