Simon Bouisson : « Le web nous permet de toucher de nouveaux spectateurs »

Simon Bouisson : « Le web nous permet de toucher de nouveaux spectateurs »

12 mars 2020
Séries et TV
STALK
STALK Silex Films - France Télévisions - Pictanovo
Réalisateur de Stalk, la nouvelle création de la plateforme Slash de France Télévisions lancée demain, vendredi 13 mars, Simon Bouisson revient sur sa série pensée pour les smartphones.

Stalk raconte l'histoire d'un jeune étudiant qui, après avoir été harcelé par ses camarades lors d'un week-end d'intégration, se venge via leurs téléphones et grâce aux réseaux sociaux. D’où vient cette idée ?

Dans un de mes projets précédents, Wei or Die, je parlais de ce téléphone, et de la place qu’il occupe pour la jeunesse. L'idée de Stalk était de rentrer dans l'intimité de la nouvelle génération à travers leur support privilégié. Et quel est l'objet le plus collé à cette jeunesse sinon le téléphone ? On l'a toujours dans la main. Et si un jour quelqu’un arrivait à s’immiscer à l’intérieur ? C'est avec cette question, au moment où l’affaire Snowden a éclaté, que l'idée de Stalk a germé. Je raconte toujours cette anecdote qui m’amuse beaucoup : quel est le point commun entre Trump, le Pape et Mark Zuckerberg ? Ils ont tous les trois un bout de scotch fixé devant l’objectif de leur webcam ! Snowden a rendu très concrète l’idée qu'on peut désormais avoir accès au micro ou à la caméra d'un téléphone portable.

C'est donc une série dans l'air du temps, qui surfe sur les paranoïas actuelles autour des appareils connectés ?

Complètement. Ce côté parano – « Est-on "stalké", traqué en permanence ? » – me permettait de mieux comprendre cette génération et de la filmer, d'en faire le portrait. La jeunesse d’aujourd’hui est ambivalente. Il y a ceux qui sont hyper-connectés, et ceux qui refusent cela et s’inscrivent dans une volonté de décroissance.

Mais, comme dans Wei or Die, votre série s’intéresse aux week-ends d'intégration et à la difficulté de s'intégrer. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ces rites sociaux ?

Dans Stalk, on suit un personnage qui n'a pas les codes. Lux (joué par Théo Fernandez) est quelqu'un d'un peu asocial. Après avoir été humilié pendant le week-end d'intégration, il a une raison d'utiliser son talent de génie informatique. Au début, il s’agit de se venger. Et puis au fur et à mesure, il veut prendre la place des leaders qui l'ont humilié. Et c'est ce qui m'a beaucoup plu dans cette idée du "stalking" : à force d'observer ces gens à leur insu, il va réussir à aspirer leurs codes, leurs modes de vie, et à s'intégrer. L'intrigue amoureuse permet également de démonter le processus de séduction... C'est l'un des volets les plus anxiogènes du "stalking" d’ailleurs : dans une société paranoïaque, si quelqu'un commençait à nous séduire, je crois qu’on se demanderait tous si on n’a pas été observé en permanence par cette personne… Au fond, Stalk permet de réactualiser le voyeurisme – un des grands ressorts du cinéma et de notre relation au monde. Lux regarde par le trou de la serrure, mais cette serrure, c’est l’œil de la caméra du smartphone.

Comment la série sera-t-elle diffusée sur France Télévisions ?

La série arrivera le vendredi 13 mars sur la plateforme Slash de France Télévisions, et donc sur le web et leur application. Au départ, j'ai écrit Stalk en pensant à un format court à regarder sur les téléphones portables. L’idée était de regarder la série sur l'objet qui en est le sujet principal pour mettre le spectateur dans la position des principaux personnages, comme s’il avait une lentille braquée sur lui. Toutes les séquences de Stalk, vues à travers le prisme d'un portable, ont réellement été tournées avec un téléphone pour que les spectateurs puissent découvrir le point de vue qu’aurait une personne regardant à travers leur smartphone.

Vous avez tourné Wei or Die et plus récemment République, et maintenant Stalk. Trois fictions interactives. Qu'est-ce qui vous plaît tant dans ce format ?

J'aime bien le côté hyperréaliste des images, même si après elles génèrent de la fiction. Il y a toujours un aspect presque documentaire dans la manière dont on filme les jeunes et l’interactivité est au fond un moyen de renouveler le genre. La question du voyeurisme - l’idée de rentrer dans les téléphones - n’avait jamais été traitée. On a travaillé avec des hackers et des personnes payées par des entreprises pour dénicher les failles de sécurité. On a validé avec elles tous les langages et la sémantique du hacker employés par Lux. Tout est vrai techniquement, tout ce qu'on raconte est possible. Cependant, à la fin de la série, je ne pense pas que le spectateur reparte en étant inquiet d'être un jour "stalké". Par contre, j’espère qu’il sera plus vigilant sur cette société où l'on est traqué, ciblé, et où l’on observe une vraie diminution de l'espace intime.

Ce genre de formats vous permet aussi de toucher un jeune public, toujours plus connecté.

Le format 10x26 minutes est plus souvent celui de la comédie. L'originalité de Stalk est de reprendre cette forme pour pénétrer le genre du thriller. Ça permet de renouveler un peu ce format-là. J'avais même en tête à l’origine un 10x10 minutes... C'est pour ça notamment que les premiers épisodes sont très rythmés. Je souhaitais que le déroulement de l'intrigue soit rapide, qu'on puisse regarder ces épisodes dans le métro sur son téléphone portable.

Après Skam France et Mental, France.tv Slash est-elle en train de devenir une nouvelle plateforme de liberté pour les créateurs ?

Cette économie-là, qui est aussi celle d'OCS, est assez difficile car on a peu de budget pour travailler. Mais la contrepartie, c'est qu'on est effectivement très libre. Même en termes de mise en scène, on tente des choses que la télévision classique ne nous laisserait pas faire. D'ailleurs, en écrivant, je pense spontanément à ces plateformes. Parce que je sais aussi qu'on pourra toucher le spectateur via le web.

Stalk a été soutenue par le CNC.