Elle se définit comme un « agent provocateur de décors ». Valérie Segond est repéreuse en France, location manager à l’international. Un métier pour lequel elle prend le temps de scruter les moindres recoins de son environnement. Souvent c’est en voiture qu’elle passe ses journées pour se rendre d’un point à l’autre avec toujours le même objectif en tête : débusquer le décor parfait susceptible de plaire au réalisateur. « Notre profession consiste en une sorte de jeu de piste, une mission d’investigation au quotidien », raconte celle qui a démarré dans le milieu il y a près de vingt ans. Au carrefour de l’artistique, de la décoration et de la logistique, le repéreur intervient en amont de la réalisation d’un film ou d’une série. Il s’occupe de la recherche de décors en extérieur et en intérieur, privés et publics, hormis ceux tournés en studio gérés directement par l’équipe de production. Bien souvent, le casting des comédiens n’est pas encore lancé quand il intervient. « Nous sommes parmi les premiers à lire le scénario, rappelle Valérie Segond. Notre travail est d’imaginer les lieux que les personnages traversent encore sur le papier ».
Bureaux désaffectés, usines, parkings, appartements ou maisons de particuliers… : pour chasser des décors privés, l’aide des agences de repérages qui disposent de catalogues avec de nombreux sites à disposition facilite le travail du repéreur, mais celui-ci enfile souvent la casquette d’un enquêteur solitaire un peu particulier. « Une fois après avoir obtenu le brief précis de la part des équipes de réalisation et de production, il m’arrive de me lancer dans du porte-à-porte. Je me balade, j’aperçois une maison qui me plaît et je laisse un papier dans la boite aux lettres ». Le tout avec des résultats. « Sur une cinquantaine de mots, j’obtiens en moyenne une dizaine d’appels », souligne Valérie Segond. Et quand elle trouve porte close, elle saisit son téléphone pour contacter la mairie, le service du cadastre ou encore les voisins…
La maison du hasard
Valérie Segond a « casté » l’un des décors de la série Lupin, produite par Netflix, dans la rue. C’est par hasard qu’elle a déniché en pleine campagne la maison abandonnée dans laquelle Lupin retrouve son fils. Au départ, elle avait en tête l’idée d’un château repéré précédemment lors de ses recherches. « Une fois sur place, je m’arrête près d’un portail dans un virage pour vérifier mon chemin, raconte-t-elle. Je lève la tête et j’aperçois les volets fermés d’une bâtisse intrigante ». Par chance, l’une des propriétaires habite dans le quartier. Valérie Segond trouve là le lieu idéal pour y camper une partie des aventures du gentleman cambrioleur. Les propriétaires, eux, un moyen de redonner une seconde vie à leur maison de famille coûteuse à entretenir.
La série Lupin n’en était qu’à ses balbutiements quand Valérie Segond a rejoint le projet. « J’ai commencé à travailler sur le scénario, se remémore-t-elle. Entre-temps, le directeur de production qui m’avait contacté, a organisé un casting pour trouver le chef décorateur. Il s’avère qu’ils ont choisi Françoise Dupertuis avec qui j’ai souvent collaboré. Je connaissais sa façon de travailler et ses goûts en matière de décors. Tout a été plus simple ». « Conserver le côté conte pour enfants » : tel était le cahier des charges donné à Valérie Segond.Musée d’Orsay, Pyramide du Louvre… : les lieux emblématiques de la Capitale ont ouvert facilement leurs portes au tournage. « Quand on a un casting qui compte, entre autres, Omar Sy, cela facilite le travail ». Pour tourner dans des décors publics ou des institutions, les repéreurs peuvent aussi solliciter l’aide des Commissions du film, au nombre de trente-deux en France, dont le rôle est de faciliter les tournages en région.
La repéreuse peut l’assurer : débusquer le décor adéquat prend parfois l’allure d’un don du ciel. En témoigne la cachette de Lupin qu’elle a trouvé à « 5h du matin » à la manière d’une « révélation » divine. « Je me suis réveillée en sursaut avec en tête l’image de la salle d’archives d’un lycée précis parisien ». Un membre de sa famille y est scolarisé, et la repéreuse a visité cet endroit « fabuleux » niché sous les toits il y a quelques années. « Je suis allée le matin même le photographier. Il y avait de nombreux bustes en plâtre notamment d’écrivains de renom… Tout à coup, cela a été une évidence : je tenais la planque de Lupin ».
Valérie Segond a travaillé sur des productions et coproductions françaises et des productions étrangères. Pour la série Irma Vep, projet bilingue et international d’Olivier Assayas, elle a réinventé la maison de famille de Lupin en demeure de vampire. « Elle est filmée tellement différemment que nous avons l’impression qu’il s’agit d’un tout autre décor », remarque celle qui a déjà travaillé avec le réalisateur français sur Doubles vies en 2017. « Le défi sur Irma Vep était de trouver des décors à la fois contemporains et historiques car la série passe sans cesse du genre à l’autre ». En 2014, Valérie Segond est dépêchée au Luxembourg pour travailler sur les décors de la série allemande The Dark Side of The Moon. « J’avais beaucoup de lieux en forêt à trouver. La recherche s’est jouée autour d’une carte où, avec le régisseur général, nous avons posé des repères là où j’étais susceptible de rencontrer les décors imaginés ». Exercer ce métier auprès d’une équipe internationale a-t-il des spécificités ? « Je ne crois pas, je dirais que le plus difficile quand on travaille pour une série étrangère, et encore plus américaine, est de devoir dialoguer avec une dizaine d’interlocuteurs ». En France, le repéreur travaille principalement avec le réalisateur, le chef décorateur et l’équipe de production.
Aux États-Unis, Valérie Segond a été primée d’un LGMI (Location Manager Guild International) Awards pour son travail sur la série Lupin. Une récompense prestigieuse qu’elle a reçu au côté du régisseur général Thomas de Sambi. « Je ne savais pas que ce genre de prix existait pour notre métier », s’étonne-t-elle. C’est une énorme reconnaissance pour notre profession ». Aux États-Unis, le profil de location manager est un mix entre celui de repéreur et de régisseur général. « Là-bas, le location manager est chargé du repérage des décors, mais aussi de l’administratif (conventions de tournage, démarches avec les assurances…), explique Valérie Segond. Il travaille de concert avec le scoot location, qui, lui, est responsable du décor du début jusqu’à la fin du tournage ».
Flair et autonomie
Devenir repéreur n’exige pas de formation spécifique en France, mais réclame de solides capacités d’anticipation et des notions de logistique. « Il faut pouvoir imaginer l’organisation du tournage, il faut savoir se poser des questions du type « est-ce que 50 personnes vont pouvoir être accueillies en même temps dans le décor que je viens de choisir ? ». Et puis bien sûr, une certaine culture artistique et historique est nécessaire afin de proposer une variété de décors d’époques ou de styles différents ». Parmi la trentaine de professionnels qui composent l’association des Repéreurs dont elle est présidente, certains opéraient auparavant comme régisseurs ou photographes, d’autres comme assistants de réalisation à l’image de Valérie Segond. Elle a fait ses armes sur La Science des Rêves de Michel Gondry en 2005. « Mon rôle d’assistante de réalisation était devenu difficile à concilier avec la maternité, raconte-t-elle. J’avais besoin d’aménager mon temps de travail ». Au quotidien, Valérie Segond organise sa semaine entre recherches à son bureau et repérages sur le terrain.
La profession s’exerce en autonomie et requiert du flair, mais l’association des Repéreurs permet de s’entraider et de gagner du temps. « Il m’arrive parfois de buter 15 jours sur un décor, alors je lance une bouteille à la mer sur le groupe de l’association ». Le métier relève de l’intermittence. « Comme n’importe quel technicien ou cadre du cinéma, rien n’est jamais acquis. Aujourd’hui je travaille, demain je ne sais pas ». La fonction de repéreur de décors pouvait auparavant être confiée au régisseur adjoint, au premier ou au deuxième assistant, « voire à des stagiaires ». Depuis une dizaine d’années, elle est devenue une profession à part entière en France avec toutefois des disparités de statut entre le cinéma et la télévision. Grâce aux LGMI Awards, l’association des Repéreurs a noué des contacts avec des confrères étrangers, notamment au Royaume-Uni et surtout aux États-Unis, pays dans lequel l’organisation professionnelle – la Location Managers Guild International – rassemble pas moins de 600 membres. Un chiffre qui impressionne la présidente de l’association française. « Cela nous fait évidemment rêver. Qui sait ? Un jour peut-être, nous aurons également notre propre cérémonie ».
Les séries Lupin et Irma Vep ont bénéficié du Crédit d’impôt international (C2I).