Rares sont les réalisateurs à transcender le folklore dont ils s'inspirent par un commentaire social aussi acéré qu'humaniste. Alain Guiraudie, dont l'œuvre est entièrement diffusée à la Cinémathèque française du 28 février au 6 mars, est de ces exceptions. Cette rétrospective complète s'ouvrira avec la diffusion, en avant-première, de son dernier long métrage, Viens, je t'emmène, présenté à la Berlinale 2022, dans la section Panorama. Une comédie dramatique où un trentenaire clermontois (Jean-Charles Clichet) s'éprend d'une prostituée plus âgée que lui (Noémie Lvovsky), alors qu'un attentat vient juste de frapper la ville auvergnate.
Le cinéaste aveyronnais fera le déplacement samedi 5 mars pour une conversation avec le directeur de la programmation de la Cinémathèque, Jean-François Rauger, au sujet de L'Inconnu du Lac. Joyau central et solaire de la filmographie de Guiraudie, L'Inconnu du lac est une tragédie où s'entremêlent désirs inavoués et pulsions meurtrières. Pierre Deladonchamps y campe le rôle de Franck, jeune homosexuel qui tombe sous le charme du dangereux Michel - un meurtrier moustachu à la virilité archétypale, apparenté à un silure géant qui menacerait les baigneurs égarés.
Cette dimension légendaire nourrit le cinéma de Guiraudie depuis ses premiers courts métrages, notamment dans La Force des choses (1997), où le cinéaste situe son action dans la forêt chimérique d'Ouranie. Il continue son exploration des mythes de sa montagne natale dans Du soleil pour les gueux (2001), moyen-métrage dans lequel se bousculent des personnages aux patronymes dignes de la plume de Frank Herbert (Djema Gaouda Lon, Pool Oxanosas Daï...), et dans Voici venu le temps (2004) où bandits et guerriers sillonnent la terre fantasmée d'Obitanie. Avec ses fables aux croisements de la féodalité et de l’actualité, Alain Guiraudie a façonné une œuvre singulière, celle de l’un des derniers conteurs du monde moderne.