Vous aviez déjà signé la lumière du précédent long métrage de Thomas Salvador, Vincent n’a pas d’écailles. En quoi votre travail sur La Montagne s’inscrit-il dans une continuité ?
La préoccupation principale de Thomas [Salvador] réside dans le rapport du corps à la nature, notamment la manière dont celui-ci se situe dans un environnement précis. À chaque fois, il y a un jeu avec l’eau, la forêt... Dans La Montagne, le ciel, les nuages, la terre, la roche obligent le protagoniste à faire corps avec eux. Il se met dans une situation particulière avec cette nature, il peut ainsi éprouver chaque situation qui s’offre à lui.
Le ton du film est très particulier, le fantastique vient se fondre dans le quotidien...
Quel type d’image cet aspect presque contradictoire doit-il produire ? C’est une question qui se pose d’emblée. Nous sommes dans un film de fiction qui s’inscrit dans un territoire souverain. La montagne est plus forte que tout, elle s’impose à vous de manière très forte. En tant que chef opérateur – et sur ce point Thomas était très clair –, il ne fallait pas que l’image brouille les choses, mais qu’elle puisse restituer le plus simplement possible ce qui s’offrait à elle. Il était donc nécessaire de trouver un style qui ne déforme pas notre perception.
C’est-à-dire ?
Être à l’écoute de ce que nous avions devant nous, accepter tous les bouleversements possibles. En montagne, la météo est très changeante. Tout va très vite. Une lumière extrêmement forte peut laisser place à une atmosphère plus sombre, voire étrange. Il faut pouvoir accueillir tout ça. Ce merveilleux offert par la nature s’ancre dans quelque chose de très physique. Mais le protagoniste reste le catalyseur de l’action.
Quelles indications vous avait données Thomas Salvador avant le tournage ?
Thomas n’est pas du genre à trop intellectualiser les choses. Il est davantage dans le ressenti, c’est un intuitif... Il préférera toujours que nous nous adaptions aux situations – fussent-elles imprévisibles – que d’essayer de les transformer par souci d’efficacité. Prenez la séquence où des nuages passent devant le héros assis... Il fallait pouvoir réagir très vite pour capter ce moment. Le tournage était un jeu permanent avec la nature. Nous avons donc travaillé principalement en lumière naturelle, caméra à l’épaule. Mais cela ne veut pas dire que nous improvisions. Nous avons réalisé plusieurs essais avant le tournage afin de déterminer la texture de l’image que nous cherchions.
Le film joue beaucoup avec différentes lumières : naturelles, bien sûr, mais aussi fantastiques avec l’apparition de ces lueurs étranges sur la roche...
Afin que l’étrangeté ne prenne pas le pas sur le réalisme du film, il fallait garder cette idée de lumière directe. Lorsque le héros voit apparaître des lueurs, nous avons placé des lampes sous la glace... La simplicité de l’effet n’empêche pas le trouble. Des marionnettistes s’occupaient en direct du déplacement de ces formes lumineuses sur la montagne. Les lampes étaient alors enveloppées dans du coton et devaient produire une lumière à dominante rouge. En tant que chef opérateur, il y a eu certains réglages à mettre en place, car les scènes avec ces formes lumineuses étaient tournées de nuit. Or, nous passions sans arrêt d’une obscurité presque totale à des irruptions lumineuses. Dans certains cas, nous ne pouvions plus travailler en direct. Il m’arrivait ainsi de fermer le diaphragme pour capter les brillances, les éclats de rouge ou de blanc. À d’autres moments, lorsque nous étions dans le noir quasi complet, il fallait ouvrir au maximum.
Revenons à cette réactivité souhaitée par Thomas Salvador... En quoi cette légèreté dans l’exécution vous a-t-elle aidée ?
Thomas voulait faire entrer dans le cadre des non-acteurs, comme le guide ou les montagnards. Il voulait les filmer sans tricher. La Montagne, je le répète, est un film fantastique ancré dans le réel. Par certains aspects, la mise en scène avait presque l’allure d’un documentaire. L’image ne devait pas prendre le pas sur ce qu’elle est censée montrer... Il y a assez peu de dialogues dans le film. Les images et les sons racontent donc l’histoire. Cela participe grandement au mystère du film. Or ce mystère ne vient pas de la dissimulation. Tout ici est dévoilé : les lueurs, la façon qu’a le héros d’entrer dans la roche... Le mystère vient paradoxalement de cette grande lisibilité, de cette façon de ne pas créer de la confusion. Ma lumière devait être au diapason.
La Montagne
Réalisation : Thomas Salvador
Scénario : Naïla Guiguet et Thomas Salvador
Chef opérateur : Alexis Kavyrchine
Son : Yolande Decarsin, Benoît Hillebrant et Olivier Dô Huu
Musique : Chloé Thévenin
Production : Christmas in July
Coproduction : Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma
Distribution : Le Pacte
Ventes internationales : Le Pacte
En salles depuis le 1er février 2023
Soutien du CNC : Avance sur recettes avant réalisation, Aide à la création visuelle ou sonore
