Pourquoi avoir choisi de tourner Magma en Guadeloupe ?
Émilie Tisné : Quand Cyprien Vial, le réalisateur, nous a dit qu’il voulait raconter une histoire de volcan, nous lui avons d’abord suggéré La Réunion, où le fonds de soutien est très bien doté. Mais il nous a expliqué que le volcan de La Réunion n’avait pas la même dynamique que celui de la Soufrière. Son projet était également ancré dans les questions sociales et les tensions propres à la Guadeloupe.
Isabelle Madelaine : Le film s’inspire de faits réels survenus en 1976, quand le volcan s’est réveillé et que deux scientifiques, Haroun Tazieff et Claude Allègre, se sont opposés sur la conduite à tenir. La thèse d’Allègre l’a emporté, conduisant à l’évacuation pendant plus de six mois de dizaines de milliers de personnes, pour des raisons qui se sont avérées non justifiées. Cet épisode a créé un véritable désastre social, point de départ de notre récit.
Comment se sont déroulés vos premiers contacts sur place ?
Isabelle Madelaine : Nous avons découvert que le bureau d’accueil des tournages était fermé depuis 2020, à la suite de la crise du Covid-19. Une personne a été désignée pour nous aider pendant la préparation, mais elle est ensuite partie. Nous nous sommes donc retrouvées sans structure d’accueil. Il faut tout de même rappeler que la Guadeloupe est un territoire français. Avec les mêmes règles administratives, les mêmes autorisations de tournage, un fonds régional bien doté… On avait déjà produit Proxima d’Alice Winocour, qui nous avait amenées en Russie, à Baïkonour. La Guadeloupe ne nous semblait pas particulièrement intimidante.
Émilie Tisné : Notre première démarche a été de chercher un producteur exécutif local. Parce que la distance géographique complique forcément le travail depuis Paris. Malheureusement, notre producteur exécutif a quitté le projet après un mois et demi. Notre directeur de production et notre régisseur général parisien ont dû partir pour reprendre l’organisation sur place.

Quelles ont été les principaux défis rencontrés sur le terrain ?
Émilie Tisné : Les défis étaient principalement logistiques. Nous tournions dans le sud de Basse-Terre, une zone beaucoup moins touristique que le reste de l’île. L’hébergement, la restauration et le transport des équipes y étaient bien plus complexes qu’à proximité de Pointe-à-Pitre. Nous avons également découvert que même les techniciens locaux résidaient tous en Grande-Terre. Les trajets étant particulièrement longs et difficiles, nous avons dû les loger en Basse-Terre comme s’ils venaient de métropole. Cette situation a finalement créé une cohésion, puisque techniciens hexagonaux et guadeloupéens partageaient les mêmes lieux de vie, sans distinction.
En tant que productrices, quelles difficultés supplémentaires la distance a-t-elle créées ?
Isabelle Madelaine : Huit heures d’avion imposent une présence discontinue. Même si nous avons passé environ trois semaines sur le tournage, l’impossibilité de réagir immédiatement aux problèmes exige une confiance totale envers le directeur de production. Notre collaboration avec Diego Urgoiti a heureusement été excellente. La Guadeloupe possède aussi ses propres codes de communication : là où les emails restent souvent sans réponse, le contact direct par téléphone ou en personne est bien plus efficace. À distance, cette particularité peut donner l’impression que les choses n’avancent pas.
Comment avez-vous géré votre présence sur le tournage ?
Émilie Tisné : Nous nous sommes rendues sur place à plusieurs moments stratégiques. D’abord pendant la préparation – où nous avons été accueillies par une tempête tropicale qui nous a confinées pendant deux jours, une expérience impressionnante mais heureusement pendant la prépa et non le tournage. Nous avons assisté aux repérages, visité les décors et rencontré les chefs de poste. Nous sommes ensuite restées pour la première semaine de tournage, puis revenues pour les dix derniers jours. Contrairement à un tournage métropolitain, où l’on peut passer une journée sur le plateau quand c’est nécessaire, ici nous étions soit complètement présentes, soit complètement absentes. Le décalage horaire ajoutait une difficulté supplémentaire à cette gestion à distance.
Comment avez-vous suivi le tournage depuis Paris ?
Émilie Tisné : Pour les rushes, nous voulions éviter les envois DHL hebdomadaires et avons mis en place un système de transmission par internet. Malgré la complexité initiale – traverser l’océan numériquement n’est pas simple – nous avons finalement pu recevoir les rushes quotidiennement, avec seulement un jour ou deux de délai, ce qui était précieux tant pour nous que pour le laboratoire.
Isabelle Madelaine : La couverture réseau est excellente, comparable à celle de l’Hexagone avec la 4G. La véritable préoccupation était météorologique. Suite à notre expérience de la tempête Philippe, nous avons programmé le tournage fin octobre, après la saison des cyclones. Même ainsi, les précipitations peuvent être extrêmement intenses, suivies d’un soleil éclatant quinze minutes plus tard. Le chef opérateur a dû s’adapter à ces conditions changeantes – attendre systématiquement une météo idéale pour les raccords aurait paralysé le tournage. L’équipe entière a fait preuve d’une grande flexibilité face à ces contraintes.
Vous vouliez faire appel au maximum à des techniciens guadeloupéens. Comment cela s’est-il concrétisé ?
Émilie Tisné : Nous avons rencontré une difficulté inattendue : les techniciens guadeloupéens, dont le talent est indéniable, travaillent principalement sur des séries, qui les engagent sur de longues périodes, parfois six mois par an. Malgré notre volonté de constituer une équipe majoritairement locale, nous avons dû faire appel à davantage de techniciens métropolitains que prévu. Les conseils d’une autre productrice nous ont néanmoins permis de trouver certains professionnels locaux disponibles.

Pourquoi était-ce important d’intégrer des équipes locales ?
Émilie Tisné : Le film relate des événements profondément ancrés dans l’histoire de la Guadeloupe. Cette authenticité était essentielle à tous les niveaux, y compris dans la façon de tourner. Cyprien Vial a également intégré des comédiens non professionnels, souvent des habitants des lieux de tournage, comme ces personnes âgées filmées dans leur propre maison. Nous avons veillé à traiter équitablement tous les membres de l’équipe, qu’ils soient guadeloupéens ou métropolitains : mêmes grilles salariales, mêmes conditions d’hébergement et de défraiement. Cette égalité a contribué à l’excellente ambiance de tournage et au succès du projet. Dans ce même esprit d’inclusion, nous avons organisé une sortie anticipée en Guadeloupe, deux semaines avant la sortie nationale. Nous y sommes retournées avec le réalisateur pour des avant-premières. Notre plus grande fierté est que les Guadeloupéens, pourtant légitimement exigeants sur ces sujets, ont pleinement adopté le film. Leur enthousiasme s’est traduit par une fréquentation remarquable dans les deux cinémas de l’île.
Auriez-vous pu envisager de tourner ce film ailleurs qu’en Guadeloupe ?
Isabelle Madelaine : Impossible.
Émilie Tisné : Nous n’avons jamais envisagé cette option, même face aux contraintes budgétaires. Dès que nous avons compris la nature de l’histoire, tourner ailleurs est devenu inconcevable. Le film puise sa force dans la réalité guadeloupéenne – ses habitants, ses paysages, son atmosphère unique.
Isabelle Madelaine : Contrairement à d’autres productions où le lieu sert de toile de fond interchangeable, dans Magma, la Guadeloupe est intrinsèque à l’histoire. Pour atteindre l’authenticité recherchée, il était essentiel de tourner sur les lieux mêmes des événements.
MAGMA

Réalisation : Cyprien Vial
Scénario : Cyprien Vial et Nicolas Pleskof
Production déléguée : Isabelle Madelaine (Dharamsala) et Émilie Tisné (Darius Films)
Distribution France : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide internationale
Sortie en salles le 19 mars 2025
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