Comment a été réalisé "Genius Loci" d’Adrien Merigeau ?

Comment a été réalisé "Genius Loci" d’Adrien Merigeau ?

16 mars 2021
Cinéma
Genius Loci
Genius Loci Kazak Productions - Folimage
Le court métrage Genius Loci (Kazak Productions/Folimage) suit une jeune femme, Reine, dans le chaos urbain d’une ville la nuit. Réalisé en dessin papier avec de l’encre et de l’aquarelle, ce film qui a nécessité plus de trois ans de travail entremêle différentes esthétiques visuelles, passant d’un cadre dépouillé à des images juste esquissées, des tourbillons de formes et de couleurs à du noir et blanc. Adrien Merigeau, son réalisateur, revient sur le processus de création de ce film nommé dans la catégorie meilleur court métrage d'animation aux Oscars 2021. Il a déjà remporté l’Audi Short Film Award à la Berlinale 2020 ainsi que la Mention spéciale du jury national au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 2020.

Adrien Merigeau Baptiste Chanat

Comment cette histoire d’errance physique et psychique est-elle née  ?

Un ami m’a donné une première idée de personnage difficile à cerner  : il ne possédait pas grand-chose et déambulait ainsi. Cette démarche aseptique était presque spirituelle pour moi, j’aimais son détachement et le regard qu’il portait sur les choses.

Dans ce court métrage, je souhaitais évoquer ces choses qui perdent leur fonction, qui peuvent être abandonnées en ville… A travers cette remise en question d’identité – « A quoi servent-elles lorsqu’elles ne sont plus fonctionnelles ? » -

Je voulais faire un lien entre le mouvement urbain et des éléments plus chaotiques comme la nature. Le chaos urbain est comme une forêt, une rue comme une rivière. J’aimais cette analogie-là. Reine a le chaos autour d’elle, mais il y a une forme de présence, un esprit, qui la guide à travers les situations chaotiques. Mais quand le chaos entre en elle, elle se transforme à son tour.

Est-ce pour refléter ce chaos que vous avez choisi de changer l’esthétique du film presque à chaque image  ?

Oui, j’avais cette idée de ne pas faire une narration classique, au grand dam de mon producteur, mais de m’inspirer de carnets de croquis où d’un côté il y a des choses très esquissées et de l’autre des dessins plus aboutis. J’aime beaucoup le fait qu’en lisant le carnet de croquis d’une personne, il en sort une histoire très naturelle, spontanée, et pas organisée. Elle émerge juste de tous les éléments présents dans le carnet et n’a pas forcément de cohérence visuelle. Mais elle a une autre forme de cohérence car les éléments ont été faits par la même personne. Dessiner de cette manière est très intuitif et je souhaitais que l’histoire se construise ainsi.

Pourquoi au grand dam de votre producteur  ?

(Rires) Le film a été compliqué à réaliser. Nous étions partis, au départ, sur un rendu plus classique, mais je me suis finalement rendu compte que ça ne m’intéressait pas. Il m’a fallu beaucoup de temps pour choisir une animatique et lancer la production car je voulais quelque chose de sensoriel et intuitif, difficile donc à prévoir en animatique lorsqu’on n’a que le story-board. C’est en fabriquant le film qu’on y arrive. Prévoir le plan de production n’a donc pas été facile  et mon producteur a été très patient.

Quelles techniques de création avez-vous utilisées ?

Nous avons beaucoup utilisé le papier. J’ai notamment travaillé en partie à Valence, au sein de Folimage, avec une équipe d’animateurs qui préférait travailler sur l’ordinateur. Nous imprimions donc ensuite les lignes d’animation et toutes les couleurs étaient faites par couches d’encre sur le papier. Une séquence du film a également été réalisée par Céline Devaux : celle où Reine sort pour la première fois de chez elle. Je voulais vraiment changer de graphisme à ce moment qui marque le début de sa déambulation. J’aimais beaucoup le travail de Céline sur son film Le Repas dominical  : elle a une manière musicale de composer ses images et ses séquences. Elle a travaillé avec une technique de grattage sur pellicule  : elle fait sécher de l’encre sur des plastiques transparents et la gratte ensuite avec des outils pour créer les images. Le plastique transparent est rétroéclairé par le dessous et il est placé sous une caméra. La voir travailler directement sous la caméra de manière aussi spontanée et intuitive était très beau.

Pourquoi avoir choisi de peindre sur papier et de ne pas mettre les couleurs sur ordinateur au moment de leur animation  ?

Je voulais travailler cette esthétique de carnet de croquis, et en peignant directement, je pouvais avoir un rendu très esquissé. Je pouvais aussi apporter rapidement une touche de couleur, d’encre ou d’aquarelle et avoir une image terminée alors que la couleur à l’ordinateur doit être très travaillée pour avoir ce beau rendu fini.

Peindre directement me permettait également de travailler avec la transparence de l’encre, en cohérence avec le travail de l’auteur de BD Brecht Evens avec lequel j’ai collaboré sur ce film. Les personnages étaient travaillés par couches  : d’un côté les parties claires, de l’autre les plus foncées. Et la superposition des couches donnait des accidents que je trouvais très beaux et qui me permettaient de rester en dehors de la narration pure. Je souhaitais que l’image soit toujours distrayante et hypnotisante  : le personnage de Reine est toujours distrait par ce qui se passe autour d’elle et le spectateur devait être dans le même état. Il y a donc des boucles d’encre et d’aquarelle qui fourmillent et qui restent très vivantes.

Genius Loci Kazak Productions/Folimage

Comment s’est articulé le travail entre vous, Céline Devaux et Brecht Evens  ?

J’ai pu collaborer avec Brecht Evens grâce à mon producteur Amaury Ovise (Kazak Productions) qui l’a contacté pour faire les décors. Brecht a davantage fait un travail de mise en scène même s’il a réalisé quelques décors. Il a une manière très graphique de mettre en scène les histoires et c’est ce que j’aime chez lui. Je ne pensais pas qu’il accepterait de collaborer pour ce court métrage car il a déjà une carrière lumineuse. Dès notre première rencontre, il a commencé à prendre des notes et c’était incroyable pour moi. Même si je connaissais le travail de Céline, c’est par le biais de Brecht, son compagnon, que j’ai pu la rencontrer.

Il y a plusieurs références à des tableaux cubistes dans Genius Loci (il y a par exemple un minotaure rappelant Guernica de Picasso). Pourquoi  ?

Le peintre Paul Klee, qui travaillait beaucoup à l’encre, m’a énormément influencé. Gustav Klimt et Picasso faisaient aussi partie de nos références. J’avais par exemple l’idée du minotaure depuis longtemps. Je vis à Barbès, à la Goutte d’or, et je trouve, dans la rue, qu’il y a une forme de masculinité un peu enfermée, avec des hommes très beaux et forts mais aussi puissants dans leur masculinité et leur présence. D’où cette allégorie avec ce minotaure très puissant enfermé dans un piège, dans un labyrinthe. L’animation permet d’avoir ces récits très modernes et expérimentaux tout en gardant un aspect mythologique avec des transformations et allégories.

Les bruits de la ville sont la musique du film. Comment a-t-elle été composée  ?

Mes parents font de la musique contemporaine. Ils ont été très influencés – et moi à travers eux – par la philosophie du compositeur américain John Cage pour qui – si on simplifie – ce n’est pas la musique qui commence et se termine, mais son écoute  : pour lui, juste les sons suffisent pour faire de la musique. Il n’a pas besoin de plus de choses que les bruits de la ville pour considérer la musique. Cette manière d’écouter les choses me parlait. J’ai travaillé en famille. Mon beau-père, Lê Quan Ninh, est percussionniste et a en grande partie composé la musique. Ma mère, Martine Altenburger, est violoncelliste et on l’entend dans certaines séquences. Enfin, mon frère Théo Merigeau joue l’orgue que l’on entend dans l’église.

Genius Loci a été soutenu par le CNC.