Parvenir à rendre fluide, accessible au plus grand nombre un récit initiatique centré sur une étudiante en maths obsédée par les chiffres et les équations… Tel est le défi relevé par la réalisatrice Anna Novion avec son troisième long métrage, Le Théorème de Marguerite, grâce à sa direction d’acteurs (Ella Rumpf, dans le rôle-titre) et à l’atmosphère visuelle de son film. Une photographie léchée, des costumes étudiés, sans oublier le travail minutieux effectué sur les décors réalisé par Anne-Sophie Delseries. La cheffe décoratrice s’est d’ailleurs vu décerner en mai dernier, à Cannes, le prix de la jeune technicienne 2023 par le jury de la CST (Commission supérieure technique de l’image et du son). Une forme de mise en lumière d’une femme de l’ombre, passionnée de cinéma depuis sa prime jeunesse, mais qui n’envisageait pas d’en faire son métier. « J’ai fait des études d’histoire de l’art à l’École du Louvre. Et je me destinais –sans grande conviction– à devenir conservatrice de musée », raconte-t-elle. Et puis, à la demande d’un ami réalisateur, alors en première année d’études à la Fémis, elle se retrouve à construire un décor pour son court métrage– elle terminera alors son cursus à l’École du Louvre par un travail sur le thème « décor et cinéma ». Un déclic instantané. « J’ai adoré faire ça et j’ai compris que j’avais besoin d’un métier où l’on met la main à la pâte. »
Après cette première expérience fructueuse, la jeune femme va se mettre en quête d’autres courts métrages pour pratiquer mais aussi passer le concours d’entrée de la Fémis, dont elle sortira diplômée en 2014. « Je n’ai pas hésité une seconde, même s’il fallait repartir pour quatre ans d’études. Et je ne le regrette pas. La Fémis met à votre disposition des moyens incroyables qui vous offrent l’opportunité de construire des choses qu’on n’aurait jamais eu la possibilité de faire ailleurs. Ça permet de chercher, de comprendre ce qu’on aime et ce qu’on aime moins. D’apprendre à travailler en équipe aussi. Même si la déco est un département à part au cœur de cette institution, j’ai tissé des liens étroits avec plusieurs cinéastes en travaillant sur leurs films d’école et j’ai eu le bonheur d’en retrouver certains quelques années plus tard sur leurs courts ou leurs longs métrages, comme Rémi Brachet ou Héloïse Pelloquet avec La Passagère.»
Cinéma d'auteur
En sortant de la Fémis, Anne-Sophie Delseries prend un chemin hors des sentiers battus. Car en parallèle à son travail de cheffe déco, elle travaille régulièrement comme ensemblière, chargée de réunir les différents objets qui seront disposés dans le décor. « Je sais que certains trouvent ça étrange, mais pour moi cela constitue un équilibre. J’ai besoin de mettre la main à la pâte comme à mes débuts, d’aller chiner mais aussi de travailler pour d’autres chefs décorateurs. Ces deux métiers sont complémentaires avec cette même idée du cinéma comme œuvre collective. C’est ce qui me galvanise. » En tant que cheffe déco, la filmographie d’Anne-Sophie Delseries témoigne d’un penchant très net pour le cinéma d’auteur. « Mes choix, je les fais au feeling. Mais le plus important, c’est la relation aux réalisateurs. »
Mais Anne-Sophie Delseries est une femme de défi. Elle l’a démontré dès son premier film comme cheffe déco : Les Filles au Moyen Âge d’Hubert Viel en 2016. Une comédie décalée en costumes avec des moyens –et une équipe– réduits à la portion congrue. « C’était vraiment de l’artisanat, mais quelque chose d’incroyablement ludique où on a joué avec la part d’enfant qui est en nous. » La comédie décalée, elle s’y déploie aussi avec Benoît Forgeard, « un réalisateur à l’univers qui ne ressemble à aucun autre et un bosseur fou » via Yves (2019), l’histoire d’un réfrigérateur connecté et intelligent qui va finir par participer au concours de l’Eurovision. Ou encore Terrible Jungle (2020), du duo Hugo Benamozig-David Caviglioli, « projet lui aussi passionnant où il a fallu recréer la Guyane à la Réunion avec énormément de constructions à réaliser, dont un bidonville entier ».
Entre réalisme et maniérisme
Avec Le Théorème de Marguerite, Anne-Sophie Delseries change d’univers. Son travail s’est d’ailleurs révélé assez différent de celui qu’elle avait imaginé au départ. « À la lecture du scénario, j’avais spontanément en tête quelque chose de sobre. Mais dès notre premier échange, Anna (Novion) m’a exposé sa vision… exactement à l’opposé ! Elle m’a parlé des films de Wong Kar-wai, de Millennium Mambo (Hou Hsiao-hsien) : une ambiance très colorée, entre réalisme et maniérisme pour un résultat qui soit beau mais pas joli. » Depuis, la jeune femme a signé les décors de Robot T-O de Giulio Callegari, avec Blanche Gardin, qui se situe dans un futur proche et de Pourquoi tu souris ?, une comédie de Christine Paillard et Chad Chenouga avec Jean-Pascal Zadi, Raphaël Quenard et Emmanuelle Devos. Et quand on lui demande ce qu’elle conseillerait à quelqu’un qui aimerait se lancer dans ce métier de chef déco, sa réponse tient en quelques mots : « Essayer. Chercher. Créer des univers. » Le parfait résumé de ce qui l’anime depuis ses débuts.
Le théorème de Marguerite
Réalisation : Anna Novion
Scénario : Anna Novion, Mathieu Robin, Marie-Stéphane Imbert, Agnès Feuvre
Photographie : Jacques Girault
Montage : Anne Souriau
Musique : Pascal Bideau
Production : TS Productions, Beauvoir Films
Distribution : Pyramide Distribution
Ventes internationales : Pyramide International
Sortie en salles le 1er novembre 2023
Soutien du CNC : Aide au développement d'oeuvres cinématographiques de longue durée, Aide sélective à la distribution (aide au programme)
