Ayse Toprak : « Une image intime vaut plus que de longs discours politiques »

Ayse Toprak : « Une image intime vaut plus que de longs discours politiques »

10 mai 2022
Cinéma
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Husein dans Un visa pour la liberté - Mr. Gay Syria © Outplay
Husein dans "Un visa pour la liberté - Mr. Gay Syria" Outplay

Pour son premier long métrage documentaire, Un visa pour la liberté : Mr. Gay Syria, la réalisatrice turque Ayse Toprak aborde le sujet difficile des réfugiés gays syriens. Rencontre.


Un visa pour la liberté : Mr. Gay Syria suit les aventures de deux réfugiés gays syriens, Mahmoud et Husein, qui partagent un projet fou : celui de participer à Mr Gay World, un concours de beauté international réservé aux hommes gays. Alors que le premier, journaliste réfugié en Allemagne, est le fondateur du mouvement LGBT syrien, le second est un coiffeur de 24 ans réfugié à Istanbul, en Turquie, accompagné de ses parents et de sa femme avec qui il a été marié de force. Pour Husein, ce concours est l’espoir d’obtenir un visa pour l’Europe, loin des discriminations. S’il atteint son objectif, il sera le premier Arabe du Moyen-Orient à participer à l’événement. De son côté, Mahmoud voit à travers la participation de Husein l’occasion de donner une visibilité aux homosexuels vivants au Moyen-Orient et aux réfugiés gays. 

La réalisatrice Ayse Toprak Outplay Films
D’où vient votre intérêt pour le documentaire ?

Le cinéma a toujours fait partie de mon parcours. Après le lycée, j’ai suivi des cours de cinéma et de documentaire à l’Université de New York. De nombreux réalisateurs venaient nous présenter leurs œuvres et leur trajectoire. Durant mon cursus, l’Université m’a demandé de les aider à organiser leur vidéothèque. En bref, je regardais juste des films toute la journée (rires.). C’est ainsi que je suis tombée amoureuse du médium cinématographique.
Une fois diplômée, j’ai travaillé pendant une longue période à la télévision. J’y ai réalisé des documentaires d’environ trente minutes. Cette expérience a constitué une sorte de terrain d’entraînement pour raconter des histoires courtes. Avec Mr. Gay Syria, mon premier long métrage, c’est presque, d’une certaine façon, comme si je retournais à l’école de cinéma.

Comment est née votre envie d’aborder le sujet des réfugiés gays syriens ?

Tout est parti de ma rencontre avec Mahmoud, il y a plusieurs années, au début de la guerre en Syrie. Ce journaliste a été mon médiateur sur un projet de documentaire autour des enfants syriens réfugiés à Istanbul, et notamment sur leur éducation dans le contexte difficile du déracinement.  
Dès notre premier échange, il m’a dit sans aucun détour : « Je suis gay, donc si tu as des problèmes avec les gays et avec les LGBTQ, on ne peut pas travailler ensemble ». Je lui ai répondu « aucun problème ». À partir de là, nous avons développé une relation autant professionnelle qu’amicale.

Pour attirer l’attention sur les problèmes des gays syriens, Mahmoud a compris qu’il devait faire quelque chose de scandaleux, ou du moins d‘un peu excentrique. C’est en suivant cette idée qu’il a découvert le concours Mr Gay World sur internet. Cet événement international réservé aux gays vise à élire un ambassadeur des droits des personnes LGBTQ à travers le monde.


Pour Mahmoud, présenter le premier réfugié gay syrien de l’histoire du concours serait un geste fort pour éclairer les obstacles et les inquiétudes de cette communauté. En temps de guerre, les inégalités et les problèmes sociaux ont d’autant plus tendance à être effacés et oubliés au profit d’une logique uniquement martiale. On peut le voir, aujourd’hui aussi, avec la guerre en Ukraine…

Husein lors de la soirée de nomination de Mr. Gay Syria Outplay Films

Combien de temps a mis le projet à être réalisé ?

De son lancement à son bouclage, ce film a mis deux ans et demi à voir le jour. Sans compter les décalages de sa sortie en raison de la crise due à la COVID-19.  
En tant qu’initiateur du projet, Mahmoud était à l’origine le protagoniste principal de Mr. Gay Syria. Mais au cours du tournage, nous avons réalisé la place centrale qu’occupait Husein. Ce dernier est donc devenu le narrateur et l’acteur principal du documentaire. Tout invitait à le choisir comme fil conducteur du film entre sa double vie de jeune syrien gay et de père de famille, sa quête d’un visa pour l’Allemagne et sa participation au concours.

Avez-vous rencontré des difficultés durant le tournage à Istanbul ?

Non, pas vraiment. J’y suis née et j’y ai passé une grande partie de ma vie. Je connais donc bien la ville et ses habitants. De plus, mon équipe et moi-même avions déjà fait des tournages en Turquie. Bien sûr, il y avait des situations où nous devions être prudents et ne pas révéler le sujet de notre film. Nous avons tourné il y a un peu plus de deux ans à une époque où, il me semble, le pays était plus libre et sûr. Réaliser ce projet dans la Turquie d’aujourd’hui serait, je pense, plus compliqué.

Comment avez-vous fait techniquement pour rendre votre message le plus fort possible ?

À travers le montage, j’ai décidé de mettre en avant plusieurs moments d’intimité entre les individus filmés. Ce choix rend le film plus humain et montre la dureté des épreuves qu’ils doivent traverser. Je ne suis pas une cinéaste « activiste » dans le sens où je ne réalise pas des films qui vous « sautent au visage » avec leur message.
Pour moi, l’histoire humaine, intime est la plus importante. Pendant la réalisation de ce documentaire, je me suis posé la question suivante : « à quelle distance peut-on s’approcher d’eux ? ». La scèned’anniversaire à travers une webcam entre deux amants séparés par les aléas des attributions de visas illustre en une image la situation d’un réfugié et tout ce qu’elle implique : la distance, le déchirement, l’éloignement…  

Ce genre de moments d’intimité éclaire la vie des réfugiés sous une autre lumière. On ne peut les filmer à la seule condition d’avoir développé une relation privilégiée avec eux. Ma mise en scène n’est pas frontale ni militante à base de slogans. Une image intime vaut plus que de longs discours politiques.

Un visa pour la liberté : Mr. Gay Syria

Réalisation et scénario : Ayse Toprak
Photographie : Hajo Schomerus, Anne Misselwitz
Montage : Nadia Ben Rachid
Production française : Les Films d’Antoine
Production étrangère : Coin Film, Toprak Film - Distribution France : Outplay Films
Ventes internationales : Taskovski Films

Soutiens du CNC : Avance sur recettes après réalisation, Aide sélective à la distribution de films